Pauline Cousseau (Polette) "Notre modèle économique nous permet de vendre nos lunettes 30 euros"

Pour son 5ème exercice complet, la marque en ligne de lunettes de vue approche les 60 millions d'euros de chiffre d'affaires. Sa cofondatrice explique ce succès éclair.

JDN. Pierre Wizman et vous avez cofondé Polette mi-2011. Comment fonctionnez-vous ?

Pauline Cousseau, cofondatrice de Polette © S. de P. Polette

Pauline Cousseau. Vivant en Chine, nous avons constaté que les prix des lunettes en sortie d'usine sont extrêmement bas : 4 ou 5 euros pour les montures et 5 ou 6 euros pour les verres, traitements anti-rayures et anti-reflets inclus. Nous avons fait le tour des usines, en avons sélectionné plusieurs et, depuis Shanghai, avons créé nos propres designs, que nous livrons en 10 jours partout dans le monde. Ce modèle économique nous permet de commercialiser nos paires de lunettes à partir de 30 euros tout compris.

Un modèle différent de Jimmy Fairly ou Warby Parker, donc…

Ils sont en effet beaucoup plus chers, avec des lunettes autour de 100 euros sans les options, qui montent vite haut. De plus, un Warby Parker ne commercialise que 20 modèles déclinés en plusieurs couleurs et matériaux, tandis que nous en avons un millier et que nous en sortons de nouveaux toutes les semaines.

D'où vient cet écart de prix ?

Du fait que nous sommes producteurs. Les autres nouvelles marques de lunettes travaillent avec des intermédiaires : tradings ou fabricants européens s'appuyant sur des usines chinoises. A l'inverse, nous avons nos propres usines. Une usine de verres, dont nous détenons 40%, et des usines partenaires.

Les verres sont-ils d'aussi bonne qualité que chez un opticien ?

La Chine produit depuis des années les verres de lunettes du monde entier. Ce sont des experts en la matière. Donc oui, la qualité de nos verres est la même que chez un opticien, la seule différence est qu'ils ne sont pas estampillés Essilor. Et côté montures, notre acétate est aussi bon que celui d'une monture Gucci à 600 euros (l'acétate de cellulose est une matière plastique synthétique considérée comme idéale pour les montures de lunettes, ndlr).

Vous économisez aussi sur la distribution physique…

Les achats se font uniquement sur notre site. Y compris depuis nos showrooms, qui ne portent pas de stock et ne procèdent pas au montage des verres. Tout est basé dans notre labo de Shanghai. Cela représente des économies énormes par rapport à un acteur comme Warby Parker qui fait tout en boutique et doit y avoir du stock. Ce qu'ils font est vraiment réussi, ils ont réussi à créer une belle image de marque. Simplement, notre positionnement et notre stratégie ne sont pas du tout les mêmes. Ils ont des marges plus importantes ; nous voulons vendre en quantité dans le monde entier. Nous n'avons d'ailleurs aucun concurrent dont le modèle soit comme le nôtre.

"Nous avons enregistré 45 millions euros de ventes en 2015 et crû d'environ 30% en 2016"

Envisagez-vous d'autres canaux de distribution ? D'autres distributeurs physiques que vous, marketplaces…

Aucun n'est en projet. Nous voulons tout contrôler car c'est grâce à l'absence d'intermédiaire que nos lunettes sont bon marché.

Comment se déroule une commande chez Polette ?

L'acheteur sélectionne la monture, remplit le formulaire de personnalisation des verres, choisit éventuellement de les teinter, puis scanne son ordonnance ou la remplit manuellement. Notre algorithme vérifie que toutes les informations sont présentes et notamment l'écart pupillaire, que la loi oblige maintenant l'ophtalmologue à indiquer. Ensuite, la commande est préparée à Shanghai et expédiée. Le taux de retour est très faible : 5% seulement. En showroom, nos opticiens peuvent vérifier les corrections et aider à passer commande. Ils sont d'ailleurs disponibles aussi en ligne par chat et par mail. Mais l'expérience en boutique est géniale, car tout est bouclé en quelques minutes.

Permettez-vous aux internautes d'essayer avant d'acheter ?

Nous vendons aussi les montures avec des verres de démonstration, sans correction. Vous les renvoyez alors au SAV pour faire monter les verres et nous remboursons celles que vous ne gardez pas. Mais entre l'ouverture des boutiques et le fait que nos clients apprennent à connaître nos produits, cette utilisation tend à diminuer.

"Avec Polette, on peut posséder plusieurs paires et en changer très souvent"

Quel est votre chiffre d'affaires et quelles sont vos ambitions de croissance ?

Nous avons enregistré 45 millions euros de ventes en 2015 et crû d'environ 30% en 2016. Nous voulons doubler notre chiffre d'affaires dans les deux prochaines années mais notre objectif est surtout un projet : créer une image de marque, ouvrir 50 boutiques en Europe et pourquoi pas en Amérique du Nord, et devenir une référence en termes de lunettes de style. Nous voulons être le Zara de la lunette.

Polette est aujourd'hui basé à Amsterdam. Pourquoi ?

Nous avons quitté Shanghai il y a un an et demi pour nous rapprocher de nos clients et partenaires. Comme nous sommes une entreprise internationale, il nous fallait implanter notre siège social dans une ville où tout le monde parle anglais. Nous avons opté pour Amsterdam qui est une ville très créative et dynamique. Nous y sommes aujourd'hui 35 et 70 au total dans le monde.

Combien avez-vous de showrooms ?

Cinq. Deux à Amsterdam, un à Utrecht, un à Lille et un à Djakarta où nous testons un marché intéressant : l'Indonésie a d'importants besoins de produits optiques, les consommateurs sont intéressés par la mode et achètent beaucoup en ligne. En 2017 nous devrions en ouvrir dans trois ou quatre grandes villes de France dont Paris. Nous allons aussi en ouvrir de nouveaux en Hollande, notre deuxième marché après la France. Et nous visons l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et Londres.

Ces ouvertures mises à part, quels sont vos grands chantiers actuels ?

Nous lançons une collection pour enfants : Polette Kids. Les boutiques demeurent néanmoins notre principal chantier car il a beaucoup d'impact. Lorsqu'on en ouvre dans un nouveau pays, cela signifie aussi un site dans la même langue, ainsi que des événements pour les faire connaître : tout ce qui nous permettra de devenir une référence dans la mode.

"Nous avons commencé avec 2 000 euros et sommes autofinancés"

Car voir n'est pas uniquement un besoin vital. Les lunettes nous accessoirisent, représentent notre personnalité. Lorsque vous n'aimez pas vos lunettes, vous n'aimez plus non plus vous voir dans la glace. Mais avec Polette, on peut posséder plusieurs paires et en changer très souvent. Certains de nos clients en achètent comme des bonbons ! Des lunettes de vue, des solaires, et pour toute la famille. 65% de nos clients sont récurrents, c'est-à-dire commandent plusieurs fois dans l'année.

Comment êtes-vous financés ?

Nous sommes autofinancés. Nous ne projetons pas de lever des fonds, nous arrivons à subvenir à nos envies de projets. Or il nous a fallu investir beaucoup, qu'il s'agisse des usines ou des boutiques, pour arriver à notre chiffre d'affaires actuel. Pour commencer nous n'avions rien : 2 000 euros. Cela nous a appris à faire attention à toutes nos dépenses pour économiser sur tout, donner le meilleur prix à nos clients et continuer à exister.

Comment faites-vous connaître votre marque ?

Principalement par les réseaux sociaux, les blogueurs et les médias. Nous essayons toujours d'être différents, de choquer un peu. Ca interpelle et ça plaît. Nos clients et followers appartiennent à la génération zapping. Il faut du changement tout le temps.

N'avez-vous pas envie d'aller plus vite, avec l'appui de fonds ou d'un industriel ?

J'ai envie d'aller très vite mais la patience a ses vertus. Depuis le début, nous faisons de petites erreurs et nous nous perfectionnons. Les erreurs à grande échelle, ça déstabilise complètement. Si nous décidons d'ouvrir dix boutiques demain matin, nous risquons d'avoir des problèmes avec certains recrutements, au service client… Nous préférons avancer au rythme actuel : vite, mais pas trop.

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