Rémi Le Druillenec (Héroïne) "Les marques doivent aménager leurs magasins pour inviter les consommateurs à explorer leur monde digital"
Le cofondateur et directeur général de l'agence de design d'expérience client Héroïne distille quelques conseils pour permettre aux marques de mieux appréhender la réalité augmentée et le metaverse en 2022.
JDN. Quelles évolutions avez-vous observées dans le retail en 2021 ?
Rémi Le Druillenec. Au-delà du format classique du magasin, nous avons observé une multiplication de formats plus éphémères, dans les zones de flux. Globalement, on constate que le paysage retail se diversifie pour s'adapter aux nouvelles pratiques de consommation issues de la pandémie, notamment plus de sédentarité avec le télétravail. Grâce au retail, les marques cherchent à aller au plus près des consommateurs qui voyagent beaucoup moins, plus près de chez eux et moins longtemps.
L'hybridation du format physique avec le digital a également gagné du terrain sur l'année écoulée. Au-delà du QR code à scanner, les marques peuvent désormais proposer des expériences augmentées afin de ponctuer le parcours client en boutique. Ces ouvertures vers le digital peuvent prendre la forme de NFT dans le metaverse, de vidéos d'immersion ou encore de contenus et diagnostics en ligne.
Dans quelle mesure les NFT et le metaverse occuperont l'espace retail en 2022 ?
Dans un premier temps, les marques doivent revoir leur approche du QR code en l'envisageant comme une passerelle vers le monde digital en termes d'expérience, d'engagement et d'interaction avec le client. Actuellement, nous accompagnons certains projets où les clients sont amenés à imaginer la version metaverse d'une marque telle qu'elle sera disponible prochainement. Par exemple, au cours de l'événement en boutique, une make-up artiste aide le client à préparer son look et en parallèle, celui-ci est invité à créer son avatar en NFT qui sera amené à évoluer dans le metaverse créé par la marque.
Pour y trouver un nouveau magasin en ligne ?
Je suis dubitatif sur le fait que les consommateurs recourent au metaverse pour y acheter des produits. Dans l'immédiat, je ne suis pas certain que l'intérêt du metaverse soit de répliquer purement et simplement des magasins dans un monde parallèle. Je crois au contraire que le metaverse permet de créer des espaces où la communauté de la marque pourra s'engager à travers des expériences inédites dans un nouvel univers. Par la suite, cela signifie que les achats dans le monde physique seront boostés et influencés par ce nouvel engagement suscité par le digital. En 2022, les marques doivent se demander comment aménager leurs espaces physiques de manière à inviter les consommateurs à explorer leur monde digital.
Quelles sont les marques à suivre en ce moment en matière d'approche digitale dans le retail ?
La marque américaine Allure propose une approche pratique et pragmatique du retail augmenté. C'est l'exemple idéal du QR code qui permet une expérience client plus fluide et plus rapide. Les vitrines des magasins comportent des QR code à côté de chaque produit, et même en-dehors des heures d'ouverture de la boutique, le client peut acheter le produit présenté en vitrine via le QR code. Dans la boutique, tous les produits présentés peuvent être testés et si le client souhaite concrétiser un achat, la démarche s'effectue là aussi en scannant le QR code. On revient donc à une vision du retail relativement simple et épuré, avec peu d'effet et d'écrans partout, mais le QR code constitue une porte vers le digital et offre une grande possibilité avec la réalité augmentée.
La marque suisse de running ON s'appuie sur la technologie et le téléphone pour proposer une expérience d'essayage performante. Le client est invité à courir sur un espace au sol de la boutique, de 10 mètres de long. Le sol et le plafond sont composés de plusieurs capteurs permettant de mesurer la foulée, le mouvement du pied ou encore la vitesse du client. Le vendeur est équipé d'un téléphone relié à tous ces capteurs et après quelques minutes, celui-ci dispose de tout le diagnostic sur le client et sa manière de courir. Le vendeur peut ainsi orienter le consommateur vers tel ou tel modèle de chaussures de running. Tout ce dispositif contribue à offrir une approche très personnalisée pour répondre aux besoins du client.
Pour l'heure, les NFT et le metaverse captivent surtout le monde du luxe et quelques grands noms du retail comme H&M. Pensez-vous que ces technologies se démocratiseront en 2022 ?
Aujourd'hui, les marques de luxe et les marques internationales pourront s'offrir ces technologies car elles disposent d'une capacité d'investissement plus rapide. Mais elles coûteront de moins en moins cher et deviendront accessibles. Ensuite, tout dépend de l'ambition de la marque, mais le retail augmenté ne signifie pas forcément d'aller tout de suite dans le metaverse. Car il faut savoir quoi y faire mais aussi y proposer quelque chose d'intéressant.
Aujourd'hui, le metaverse s'adresse surtout à une clientèle très jeune et très connectée et toutes les marques ne disposent pas des clients réceptifs au concept. En revanche, la marque peut investir dans une meilleure expérience client en magasin grâce au digital et aux smartphones des clients pour présenter des innovations produits, proposer des questionnaires en ligne, etc. Ce sont des outils moins sensationnels mais tout aussi intéressants d'un point de vue expérience client.
Héroïne a retenu le conscious retail parmi les tendances du secteur pour cette année. D'après vous, comment les enseignes traditionnelles peuvent-elles aller encore plus loin et plus vite que les marques digitales ?
En 2022, les clients s'attendent à ce que chaque marque leur présente ses missions, d'un point de vue de la planète, du produit mais aussi des personnes et des salariés mobilisés tout au long de la chaîne de production. Soit la marque décide de fermer les yeux sur ces questions, soit elle est prête à faire des concessions sur sa marge, à perdre certains marchés de manière à avoir une chaîne de production plus cohérente et engagée. Le risque est que les DNVB, avec leurs modèles vertueux, fassent vaciller le business model des acteurs traditionnels du retail, et c'est déjà en cours…
Diplômé d'une licence en architecture à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Lyon, et d'un master marketing & communication de Sup de Pub, Rémi Le Druillenec débute sa carrière en 2007 en tant que chef de projet pour différentes agences de création parisienne. En 2011, il devient responsable du pôle "Retail & architecture" chez Brandimage, poste qu'il occupera cinq ans. Après avoir occupé consécutivement les postes de directeur du développement retail chez CBA Design et de directeur commercial retail design au sein de Servaire & Co, il décide de se lancer dans l'aventure entrepreneuriale aux côtés de Quentin Obadia, en fondant Héroïne en janvier 2020.