Marc Lolivier (Fevad) "Le modèle économique des marketplaces ne doit pas voler en éclat sous le poids des obligations"

Le délégué général de la Fevad revient pour le JDN sur les avancées amenées par le Digital Services Act après qu'un accord provisoire ait été trouvé entre les autorités européennes.

JDN. Avant de s'intéresser au Digital Services Act (DSA), petit retour sur le Digital Market Act (DMA) pour lequel Parlement et Conseil européen se sont mis d'accord en mars 2022. Est-ce que le DMA peut concerner certains marchands ? Quels sont les conséquences pour eux ?

Marc Lolivier, délégué général de la Fevad © Fevad

Marc Lolivier. Le DMA s'applique bien aux marchands et aux marketplaces, mais, les conséquences de son application ne sont pas encore précises. Ils seront concernés sur les questions de concurrence, de l'accès aux données et de leur utilisation. Au-delà de cela, les entreprises de l'e-commerce ont recours aux autres plateformes telles que les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche pour leur publicité. Faire entrer plus de concurrence sur ces plateformes aura un intérêt pour l'utilisateur avant tout.

Dans le texte du DMA, l'association de données personnelles à des fins de publicité ciblée n'est autorisée que sur consentement explicite fourni au contrôleur d'accès. Qu'est-ce que cela change par rapport au RGPD ?

Il n'y a pas de réel changement par rapport au RGPD, mais cela pose une limite pour les grandes plateformes qui ont des services concurrents de ceux d'autres acteurs. Elles pourraient utiliser les données collectées pour promouvoir leurs propres services. Cette mise en concurrence donne donc un choix aux utilisateurs sur les marchés où il y a une forte concentration. Avec ce texte, la Commission européenne ouvre la concurrence et interdit l'utilisation des données pour certaines activités, pour éviter les standards de certaines entreprises qui bloquent la concurrence et donnent le contrôle du marché à quelques entreprises.

Venons-en maintenant au DSA, il y avait la directive dite e-commerce de 2000, qu'apporte le DSA par rapport à celle-ci ?

Le DSA est un outil universel qui vient fixer un cadre pour les intermédiaires. La directive de 2000 était binaire avec d'un côté les hébergeurs et de l'autre les éditeurs. Ces hébergeurs avaient une responsabilité limitée. Vingt ans plus tard, ces mêmes hébergeurs ont bien évolués, ils ont trouvé leur modèle économique et des intermédiaires comme les marketplaces se sont créées. Ceci implique donc de revoir le régime des responsabilités.

Le DSA donne accès à la Commission européenne et aux Etats membres aux algorithmes de ces très grandes plateformes. Qu'est-ce que cela veut dire pour les marketplaces ?

Avec ces mesures, les autorités européennes ont choisi de traiter de tous les intermédiaires et des obligations vont en découler. Elles seront différentes suivant la taille et l'activité de ces plateformes. Ces contrôles sur les algorithmes apportent de la transparence pour le consommateur sur les systèmes de recommandations, que ce soit ceux sur les réseaux sociaux ou ceux sur les marketplaces, en indiquant le système de référencement lorsqu'il est payant. C'est une mesure de transparence quant à la navigation sur les très grandes plateformes. L'utilisation correcte des recommandations va être contrôlée par les autorités européennes. En revanche, ce cadre ne règle pas toutes les questions en suspens et les règlements européens sont soumis à interprétation. Mais, il est rassurant de voir que la Commission européenne a la main sur ces sujets-là, elle va apporter de l'harmonie dans l'interprétation de ces textes, contrairement au RGPD pour lequel des comités européens étaient à la manœuvre.

Le DSA évoque des places de marché plus responsables qui devront s'assurer que les consommateurs puissent acheter des produits et des services en ligne sûrs. Jusqu'où devra aller la plateforme pour garantir les informations fournies par le vendeur ?

C'est une mesure de transparence qui impose au vendeur de fournir des informations supplémentaires. C'est aussi une obligation pour les plateformes de proposer une interface sur laquelle les vendeurs tiers pourront remplir ces obligations. Les intermédiaires seront responsables de la fourniture d'une telle interface aux vendeurs. Le changement repose sur la transparence, la marketplace doit bien se présenter comme telle et non comme vendeur. Si elle vend ses propres produits, elle devra remplir les obligations du vendeur. Les obligations se renforcent donc, et le vendeur tiers doit être bien identifié. Si son identification n'est pas claire pour le consommateur, l'intermédiaire devient vendeur aux yeux de la réglementation.

Les interfaces truquées, ou dark patterns, qui trompent le consommateur sont visées par le DSA. Quelles sont exactement les pratiques visées ?

C'est une mesure qui est entrée au dernier moment dans le DSA et ce sujet n'est pas évident car il est subjectif. Ce sont les techniques qui auraient un impact sur le libre choix du consommateur, qui imposent de partager ou de cliquer, ou encore de cases pré-cochées. La Commission européenne le définira dans la directive.

Comment seront contrôlées et financées ces mesures ?

Le DSA introduit un mécanisme de financement des mesures et contrôles proposés qui représente un pourcentage du chiffre d'affaires des très grosses plateformes. Seront mises en place des autorités de contrôle, les plateformes seront soumises à des reporting annuels et devront analyser leurs risques. Un responsable de conformité devra être mis en place dans chaque entreprise comme cela s'est vu aux Etats-Unis.

Quels sont, selon vous, les points à surveiller ?

Nous comprenons bien ces obligations mais il faut s'assurer de la proportionnalité des efforts demandés entre très grandes entreprises d'un côté, et PME de l'autre. Il faut aussi attendre d'en savoir plus sur la qualification de grandes plateformes. Nous parlons de 45 millions d'utilisateurs actifs, mais, s'agit-il de possesseur de comptes ou de clients ? Et ces 45 millions devront être adaptés entre d'un côté les réseaux sociaux et de l'autre les marketplaces. Seules les très grandes plateformes devraient se voir appliquer ces obligations plus contraignantes. Il faudra aussi observer la transposition de ces obligations. L'Europe du numérique doit se mettre en place autour de règles communes, les fondations sont là.

Ces règles sont intéressantes car elles mettent en place une concurrence loyale, mais les marketplaces ont un rôle à jouer dans le développement des PME et les TPE. Il ne faut pas que cette régulation plus contraignante fasse grimper le prix des commissions. Contrairement à d'autres domaines, celui des marketplaces est un des seuls à présenter une vraie concurrence et des commissions basses. Trop de contraintes favorisent la concentration du marché, il est important de placer le curseur entre transparence et concurrence.

Combien de temps les marketplaces auront pour se mettre en conformité ?

Les délais ne sont pas encore clairs, nous parlons de 6 à 7 mois pour les grandes plateformes et 15 mois pour les PME et TPE à compter de la publication au Journal officiel. Les règles doivent aussi être clarifiées sur certains points.

Avant de devenir délégué général de la Fevad en 2002, Marc Lolivier a occupé le poste de directeur des affaires juridiques Europe au sein de Reader's Digest Association, un magazine mensuel familial et généraliste, entre 1995 et 2002.