Comment la traçabilité peut-elle amener les marques de mode à être plus durables ?
Face à la pression croissante des consommateurs et des réglementations en faveur de pratiques durables, les marques de mode doivent réviser leur approche pour réduire leur impact environnemental.
Disposer d’une parfaite visibilité complète de toutes les étapes du cycle de vie, de l’origine des fibres à la vente au détail est l’un de leurs principaux défis. Sans une parfaite traçabilité de la matière utilisée, il est en effet extrêmement difficile de vérifier et donc d’établir le caractère durable des vêtements produits et commercialisés.
Les marques de mode à la recherche de la durabilité
Selon l’Ademe, l’industrie du textile (vêtements et chaussures) émet 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit plus que les vols internationaux et le trafic maritime réunis. Si les tendances actuelles de consommations dans le secteur textile perdurent, celui-ci sera à l’origine de 26% des émissions globales de gaz à effet de serre d’ici 2050. Face à ces données, la mode durable est devenue en quelques années un sujet d’actualité crucial, une part croissante de consommateurs prenant conscience de l’impact environnemental et social de leurs décisions d’achat.
Une étude menée en 2022 par Première Vision et l’Institut Français de la Mode révèle que 90,5% des consommateurs français, italiens, allemands, britanniques et américains souhaitent modifier leur manière de consommer des articles de mode. La matière et le lieu de production des vêtements sont les principaux critères qu’ils considèrent en matière de mode durable. En réponse, de nombreuses marques s'engagent à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement et propices à une réduction de leur empreinte carbone.
Il s’agit non seulement de satisfaire les attentes des consommateurs, mais aussi de se conformer aux exigences des gouvernements et des régulateurs, qui jouent un rôle essentiel dans cette évolution. L’initiative prise par la France avec la loi anti-gaspillage pour une économique circulaire, puis avec la loi Climat et résilience, en un bon exemple de l’engagement du gouvernement pour faire progresser l’industrie et créer des conditions équitables pour tous les acteurs. Les règlementations en matière d’affichage environnemental, notamment dans le secteur des textiles d’habillement - où il deviendra obligatoire en janvier 2024 - doit informer les consommateurs sur l'impact environnemental de leurs vêtements, considérés sur l'ensemble de leur cycle de vie.
La traçabilité comme point d’entrée vers la durabilité
Ces dernières années, l’industrie textile a été confrontée aux limites évidentes de son fonctionnement traditionnel, caractérisé par une surproduction significative et la génération de déchets tout au long de la chaîne de valeur, l’augmentation de l’utilisation de matériaux synthétiques à base de pétrole, et la mondialisation des chaînes de production et d’approvisionnement. . La traçabilité des produits est devenue particulièrement difficile à établir, alors même que l’essor de la Fast Fashion a souligné l’impact environnemental négatif de certaines pratiques et modèles économiques. Or, la traçabilité est désormais essentielle pour garantir le caractère responsable des approvisionnements et des productions, générer la confiance entre tous les acteurs de la chaîne de valeur et répondre aux enjeux de conformité règlementaire des marques, tout en participant à la construction d’une image beaucoup plus positive de l’industrie dans son ensemble.
Toutefois, la mise en place d’une traçabilité efficace tout au long de la chaîne de valeur du textile est une démarche très complexe pour les marques, en particulier en raison du grand nombre d’intermédiaires impliqués dans le processus de fabrication des vêtements. Pour pallier cette difficulté, les marques doivent avoir accès à des informations fiables depuis l’approvisionnement en fibres textiles jusqu’à la fin du cycle de vie des vêtements. Ce qui était encore une gageure hier est désormais rendu possible par l'utilisation des nouvelles technologies et la mise en œuvre de processus inspirés de la blockchain pour améliorer la transparence et la sécurisation des informations utilisées dans les systèmes de gestion de la chaîne d'approvisionnement des fabricants et des marques de mode.
Ces solutions technologiques permettent non seulement de suivre précisément l'origine des matières premières, les étapes de fabrication et de distribution des produits, mais elles offrent également la possibilité de partager ces informations avec les consommateurs. En adoptant de telles solutions, les marques renforcent leur crédibilité en matière de durabilité et de responsabilité sociale, répondant ainsi aux attentes croissantes des consommateurs en matière de transparence et d’éthique.
La technologie comme nouveau vecteur d’authenticité, de fiabilité et de disponibilité des données
Trois principes fondamentaux sont essentiels pour parvenir à une parfaite traçabilité dans la chaîne d'approvisionnement textile. Tout d'abord, il est impératif de travailler avec des sources de données de confiance dès le début de la chaîne d'approvisionnement, en collaborant avec des producteurs de fibres certifiés. Cela garantit que la traçabilité repose sur des données fiables dès le départ. Des parties tierces peuvent ici venir combiner des preuves physiques – comme des échantillons de fibres testés en laboratoires – et digitales – comme des factures et des ordres d’expédition – pour garantir l’authenticité des données liées aux fibres utilisées et expédiées.
Deuxièmement, il est crucial d'établir un système en boucle fermée, où les données sont authentifiées, vérifiables et non contrefaisables. Cela évite la duplication de l'inventaire et maintient la cohérence des données. En créant un jumeau numérique de la matière première, on peut beaucoup plus facilement suivre et contrôler son utilisation au fil des différentes étapes de la chaîne de valeur.
Enfin, le troisième principe implique la responsabilisation de tous les acteurs de la chaîne d'approvisionnement pour la saisie de leurs propres données primaires, éliminant ainsi, à chaque étape, les risques d’erreurs ou de falsification des données lorsque celles-ci n’émanent pas directement des acteurs concernés en premier lieu.
L’adoption de principes proches de ceux utilisés par la blockchain, technologie de stockage et de transmission d'informations, permet de mettre en place un jeu à somme nulle, garanti par une validation de pair à pair. Chaque kilo de matière dans le monde réel doit correspondre à un kilo de matière dans le monde digital, et chaque acteur de la chaîne de valeur atteste de la conformité entre le volume et la nature de la matière déclarée à l’étape précédente avec le volume et la nature de la matière traitée à son propre niveau.
La traçabilité ne repose donc plus sur un système de contrôle des informations depuis l’aval vers l’amont, qui demande aux marques de solliciter les données de toute une série de fournisseurs et prestataires. Grâce aux nouvelles technologies, il devient au contraire possible d’attester de la validité des données dès l’amont de la chaîne de valeur (au niveau des fibres) et de vérifier leur exactitude à chaque étape aval, en impliquant et en responsabilisant chaque acteur de l’écosystème.
L’adoption de ce mode de fonctionnement convient actuellement le mieux aux matériaux durables, certifiés et différenciés, car leur origine est vérifiable et distincte, tels que les fibres biologiques, les matériaux cellulosiques synthétiques, les matériaux recyclés et les fibres animales responsables. L’importance des enjeux financiers, légaux et environnementaux associés au développement d’une mode plus durable va continuer d’accroître la pression de la traçabilité déjà ressentie par les marques. Il deviendra de plus en plus difficile de ne pouvoir se baser que sur les déclarations de ses fabricants et fournisseurs pour garantir l’origine et le devenir des matières utilisées, surtout sur des marchés très fragmentés.
A terme, l’industrie de la mode a tout intérêt à généraliser une traçabilité de l’amont à l’aval, en s’organisant pour faire converger l’ensemble des acteurs vers une plateforme unique, où chacun pourra confirmer les données de ses pairs tout en participant au partage d’une meilleure visibilité quant à sa propre utilisation de la matière.