Les fonds aiment encore l'e-commerce… mais pas les e-commerçants

Les fonds aiment encore l'e-commerce… mais pas les e-commerçants Cinq fonds d'investissement majeurs dans l'e-commerce révèlent leur stratégie d'investissement et les prochains vecteurs de croissance du secteur selon eux.

Certains le regretteront, ce n'en est pas moins une réalité : les sites e-commerce ne font plus rêver les investisseurs. La faute à des stocks de plus en plus chers, à des coûts d'acquisition client toujours plus élevés et à une logistique saturée (quand elle n'est pas à créer de toute pièce). Résultat : une rentabilité au mieux faible, au pire inexistante. On a connu mieux pour faire rêver les fonds d'investissement

Mais alors, où ces derniers voient-ils l'avenir de l'e-commerce ? Après avoir interrogé cinq d'entre eux, spécialisés dans le secteur, le JDN pense avoir la réponse. Ne rêvez pas : point de révolution technologique à l'horizon, ni de niche miraculeusement inexploitée. Non, les investisseurs estiment pour l'heure que le mieux est de se concentrer sur l'optimisation de l'existant, dans le retail media et le click & collect en particulier, et d'accélérer sur les plateformes de service. Voici ce que cela donne dans le détail.

Cracker l'acquisition client

Les fonds interrogés s'accordent tous sur LA contrainte à lever dans l'e-commerce : l'acquisition. "Nous voyons, depuis deux ans, la performance des publicités baisser considérablement – mise à jour Apple, expiration des cookies tiers…, constate Xavier Faure, partner chez Spring Invest. Les e-commerçants se retrouvent donc avec des coûts d'acquisition beaucoup trop élevés".

Pour répondre à ces enjeux, le fonds d'investissement a investi dans le retail media avec Mediarithmics et dans la publicité digitale avec Dataïads. "Le retail media est une façon pour les e-commerçants de trouver un réel modèle économique avec des revenus supplémentaires", valide Jean-David Chamboredon, CEO du fonds d'entrepreneurs Isai. Lui aussi avait investi dans le retail media avec Storetail, avant que la start-up ne soit rachetée par Criteo. "Il reste des choses à déployer, à automatiser ou à optimiser sur le retail media", estime le dirigeant. Un avis partagé par Margaux Gregoir, principal chez Alven Capital : "Le retail media se développe beaucoup dans un contexte de faible marge, avec des acteurs comme Kamino Retail ou Getinside, mais ce n'est que le début". Xavier Faure et Laurent Foiry de Spring Invest avouent consacrer "le gros de leur énergie" au retail media.

Pas question de perdre des clients si durement acquis, place donc aux solution de rétention. "L'expérience online doit être la plus personnalisée, engageante et user-friendly possible", rappelle Alexandra Dubar chez Daphni. Pour cela, le fonds d'investissement a notamment pris des parts chez Emperia, qui propose des showrooms immersifs sur les sites des marques. "Nous n'avons pas investi, mais je pense aussi à des start-ups comment Veesual sur les sujets d'essayage virtuel", poursuit-elle. En résumé, pour Daphni et son fonds spécialisé Dastore, le futur du e-commerce réside dans une expérience digitale proche de celle en magasin. Une philosophie également adoptée par Alven Capital : "Plus personne n'aura la même expérience de navigation, affirme Margaux Gregoir. Ce n'est pas encore complétement rodé, mais nous sommes persuadés qu'il va y avoir des petits acteurs techniques sur le sujet de l'hyperpersonnalisation".

Optimisation logistique

Pour une expérience réussie, encore faut-il que le client récupère son colis sans encombre. Livraison du dernier kilomètre, prédiction de ventes, retours… La supply chain est le deuxième focus des investisseurs. Mais avant même la livraison, la gestion des stocks est une question : "L'enjeu est de trouver les solutions qui permettent une gestion plus fine des stocks pour limiter les ruptures de stocks ou, à l'inverse, le gaspillage", détaille Alexandra Dubar à propos de la stratégie de Daphni, qui a investi dans Ida (lutte contre le gaspillage) et dans Stockly (ruptures de stock).

De son côté, Spring Invest se concentre sur la livraison du dernier kilomètre. Pour le partner Laurent Foiry, l'équation reste à résoudre : "La livraison, le click & collect et les drives sont des services assez complexes à mettre en œuvre avec des infrastructures sous-jacentes lourdes, explique-t-il. Il faut pouvoir rendre le service opérationnel alors que les clients récupèrent leurs courses aux mêmes horaires." Pour rappel, Uber n'est rentable que depuis l'été dernier. En investissant dans OuiDrop, drive piéton entièrement robotisé, le fonds tech fait le pari de la livraison automatisée. Spring Invest a également pris une participation chez Acolyt, logisticien à destination des marques haut de gamme.

Pour Serena Capital, le sujet concerne plus spécifiquement le suivi des colis, même si le fonds n'a pas encore investi : "Nous regardons cette problématique parce qu'il reste beaucoup chose à améliorer", assure le partner Olivier Martret. Alven Capital ne s'est pas encore positionné non plus, mais le fonds "traque de près" les acteurs de la gestion des retours. "Nous sommes assez convaincus qu'il va y avoir un acteur SaaS sur l'optimisation de la logistique, avec de l'intelligence un peu plus forte que simplement le pilotage du stock, confie Margaux Gregoir. Il sera capable de dire : 'Je ne retourne pas le colis à l'entrepôt le plus proche, mais au point de vente avec la plus grande probabilité de revendre ce produit en cette taille et en ce coloris'". 

Du B2B au service

Si les fonds de venture capital (VC) n'investissent pratiquement plus dans les sites e-commerce en eux-mêmes, quelques exceptions subsistent : les plateformes B2B et de service. "Tous les segments du B2B peuvent encore profiter d'une transformation e-commerce", estime le CEO d'Isai. Le fonds de VC a par exemple financé le site d'organisation de séminaire Naboo. Serena Capital et Isai, eux, ont tous deux investi dans la plateforme de service à domicile Wecasa, "qui accélère très fortement en France, et commence aussi à prendre sur le marché londonien", affirme Olivier Martret. Les investisseurs de Serena ont également placé leurs pions chez Malt, marketplace de freelances. "Nous regardons ceux qui rendent commandable à distance et instantanément des services qui ne l'étaient pas", conclut Jean-David Chamboredon d'Isai.

La tendance du "recommerce", autrement appelé le marché de la seconde main, attire aussi l'attention, bien que les investissements y semblent plus risqués. "Nous ne nous sommes pas encore positionnés, en revanche, nous regardons de très près des plateformes comme Twice, illustre Margaux Gregoir de chez Alven Capital. Ce sont des investissements longs et difficiles, mais il y a un vrai sujet pour construire l'infrastructure de demain qui permettra de piloter la stratégie par produit unique et non par SKU comme sur le neuf". A contrario, Spring Invest a sauté le pas. Le fonds a participé à la levée de Smala, opérateur intégré de seconde main pour enfant qui a récemment atteint la rentabilité. Autant dire le Graal.