Marc Lolivier (Fevad) "Le Digital Fairness Act sera un tsunami réglementaire pour l'e-commerce"
2024 a été très chargé en réglementations et 2025 le sera tout autant. Marc Lolivier, DG de la Fevad, prévient des risques d'un texte sur les pratiques commerciales sur Internet.
JDN. A quelle réglementation les e-commerçants doivent-ils se préparer en priorité en 2025 ?

Marc Lolivier. L'énorme chantier de l'année est le Digital Fairness Act (DFA) et il faut sensibiliser les e-commerçants à ce sujet. En 2022, la Commission européenne a décidé de lancer un fitness check, c'est à dire de vérifier si le droit de la consommation existant permettait de protéger de manière suffisamment efficace le consommateur dans l'environnement numérique. Ils ont rendu leur rapport en septembre 2024 dans lequel ils concluent qu'un certain nombre de protections existent déjà mais qu'il faudrait aller plus loin avec le DFA.
Le concept de dark patterns, que l'on peut traduire par interfaces maipulatoires, est beaucoup évoqué dans le rapport. Il repose sur deux critères selon la Commission : une influence et l'absence de prise en compte de l'intérêt du consommateur. L'influence est le propre de toute publicité donc il parait compliqué que tout élément qui influence le choix du consommateur soit considéré comme un dark pattern. Le deuxième critère pose une question : acheter un produit plaisant mais superflu va-t-il contre votre intérêt ?
Concrètement, quelles conséquences pourrait avoir cette législation sur les marchands ?
Son impact pourrait être considérable, le texte pourrait sérieursement restreindre les possibilités en matière de publicité et de marketing. Pour vous donner un exemple, le rapport pointe du doigt tout ce qui aurait tendance à mettre trop de pression sur le consommateur : le fait d'ajouter un produit au panier sans action du client, qui est en fait une pratique déloyale déjà prohibée, mais aussi les décomptes de temps lors de promotions. Si l'horloge indique que vous n'avez plus qu'une heure pour acheter en promotion et qu'une heure plus tard il y a toujours la même offre, alors c'est simplement de la publicité mensongère et cela est déjà condamnable. Sinon je ne suis pas sûr de voir dans cette pratique le dark pattern.
Que reproche la Fevad à ce texte ?
Depuis que Shein et Temu ont été épinglés sur des sujets de dark pattern, beaucoup de pratiques se mêlent derrière ce terme. A mon sens, une grande partie de ces actions sont déjà couvertes par des lois existantes, typiquement l'ajout au panier forcé ou la difficulté de résiliation de services ou programmes. Là il n'y a pas de débat.
Prenons l'exemple du "confirm shaming", c'est à dire demander au client en cas d'abandon du panier s'il est sûr de vouloir renoncer à sa commande. Certains disent que c'est culpabiliser le consommateur et qu'il faut le réglementer avec le DFA car, de façon répétée, ces messages deviennent du harcèlement. Pourquoi pas, mais comment définir à partir de combien de fois sur une période définie. La directive sur les pratiques commerciales déloyales existe déjà et, au-delà des pratiques considérées comme déloyales par définition, elle laisse au juge la capacité d'apprécier au cas par cas les pratiques dénoncées.
Parallèlement, le rapport soulève des enjeux clés comme la régulation des phénomènes d'addiction et de protection des mineurs. Mais c'est un autre sujet de vouloir toucher au marketing en disant que la publicité pousse à la consommation et qu'il faut en protéger le consommateur. Il ne s'agirait pas de déresponsabiliser le consommateur moyen.
Quelles sont les prochaines étapes pour le Digital Fairness Act ?
Selon les annonces de la Commission, une consultation aura lieu au printemps prochain. La Fevad compte beaucoup travailler pour y apporter ses contributions. On parle déjà d'un tsunami réglementaire avec le Digital Fairness Act. Toute la question est de savoir si nous aurons un vrai Big Bang du droit de la consommation sur le numérique ou bien une simple adaptation du droit. La proposition de texte réglementaire par la Commission interviendra ensuite, en 2026.
Au-delà du DFA, quelles sont les autres réglementations à garder à l'œil ?
Certaines applications du DSA et du RSGP adoptés en 2024 n'entreront en vigueur pour impacter l'e-commerce que cette année. Ces textes vont mettre du temps à se mettre en place. En termes de nouvelle réglementation, nous pouvons aussi noter la législation sur l'accessibilité des sites qui va arriver en juin prochain, un très gros enjeu parfois pas suffisamment pris en compte par les e-commerçants.
Le point positif est que ces réglementations sont de plus en plus européennes. Le règlement sur les services numériques (DSA) est une vraie avancée de ce point de vue-là parce qu'il a contribué à harmoniser les règles. Nous demandons l'harmonisation des règles au niveau européen, mais il faut veiller au risque d'obésité législative avec l'Europe. Si on prend le DSA, le DMA, le RSGP, l'IA Act, le Data Act, et le DFA qui arrive, ça peut aller très vite.