Les vendeurs français impassibles face aux avances de Temu

Les vendeurs français impassibles face aux avances de Temu Malgré tous ses efforts, Temu a des difficultés à recruter des vendeurs locaux en France. La réputation de la marketplace lui colle à la peau, si bien qu'à l'évocation de son nom nous trouvons porte close.

"Chez TEMU, nous entamons une transformation stratégique pour devenir une marketplace qui valorise les produits locaux, améliore la qualité", écrivait le 2 décembre 2024 sur LinkedIn Jeanne Duan, responsable du développement commercial de Temu en Europe depuis novembre 2024. Un message que Cyril Albert, consultant indépendant expert des marketplaces et du dropshipping, analyse ainsi : "Temu n'ouvre pas sa marketplace aux vendeurs français par souhait de monter en gamme, mais par besoin de légitimité face à la réglementation européenne plus stricte. Il ne faut pas s'y tromper, les marques que nous achetons en France s'approvisionnent en Asie."

Pour mettre en œuvre cette stratégie, le géant chinois mise sur le recrutement de profils connaisseurs, c'est le moins que l'on puisse dire. Auparavant Jeanne Duan était responsable des comptes stratégiques chez Carrefour. Roberto Wang, avant de devenir responsable des affaires pour Temu Europe en août 2024, était ingénieur dans le sourcing des grands comptes pour Cdiscount. "Temu France est une petite équipe de quatre ou cinq personnes", nous confie Benjamin Bazile, CEO de Furnish1 et vendeur sur Temu.

Objectif : 80% des ventes générées par les vendeurs locaux

Au-delà de cette équipe d'experts du marché marketplace en France, la plateforme chinoise propose des avantages commerciaux agressifs pour séduire les vendeurs tricolores. Sans frais d'inscription et avec des commissions allant de 2 à 5% en fonction des catégories, Temu est compétitif face à Cdiscount et Amazon qui prélèvent 5 à 20% de la vente. "Nous facilitons un lancement rentable pour les commerçants locaux, en réduisant les dépenses relatives à l'installation, à la vente, à l'exploitation et au marketing", nous indique l'entreprise dans un mail. Des dires confirmés par Benjamin Bazile : "Temu offre une commission plus basse que les autres marketplaces, mais ils fonctionnent aussi sur un modèle hybride". Ainsi la marketplace demande au vendeur un "prix livré client" pour ensuite établir elle-même le prix de vente sur Temu. "Ils veulent gagner des parts de marché en France donc ils investissent là-dedans, explique le CEO de Furnish1. Cela leur permet d'ajuster le prix de vente en fonction de leurs algorithmes".

Sans frais d'inscription et avec des commissions allant de 2 à 5% en fonction des catégories, Temu est compétitif

De plus, le filtre et l'indication "entrepôt local" augmentent la visibilité des marques françaises qui rejoignent la plateforme. Une recette avec laquelle elle espère réaliser son objectif : "80% de nos ventes totales proviendront de vendeurs locaux", explique Temu sans donner d'échéances dans son mail.

Six mois après le lancement de cette offensive commerciale, quel bilan peut-on dresser pour celui qui se classe désormais sixième site e-commerce le plus fréquenté en France ? Interrogé, Roberto Wang a gentiment décliné, indiquant qu'il n'était pas apte à s'exprimer. Temu ne voulant pas communiquer sur ses vendeurs locaux, la pêche aux informations est lancée.

Les irréductibles Gaulois

Nous avons compris que la marketplace a tenté une approche indirecte en sollicitant les intermédiaires. Martin Gentil, DG de l'agence marketplace eTail agency, a été approché à plusieurs reprises par Temu mais a toujours refusé de pousser la marketplace à ses clients. "C'est une très bonne stratégie de conclure des partenariats avec des agences ou des éditeurs, Temu confie ainsi la mission d'évangélisation à un tiers", commente Cyril Albert. Le projet semble plus avancé au Royaume-Uni : le logiciel de gestion de stocks Linnworks a annoncé sa collaboration avec la marketplace chinoise. 

En France, notre enquête se heurte à un silence quasi-général : malgré de nombreuses sollicitations, les vendeurs tiers ne souhaitent pas s'exprimer sur leur présence éventuelle sur la plateforme. Cyril Albert ne connait, lui, aucun vendeur français sur Temu : "Aucune marque avec lesquelles je discute ne m'a dit qu'elle avait été approchée, notamment parce que je ne suis pas sûr qu'elle en soit fière." Mais le consultant indépendant conseille de contacter Rémy de la Villiardière, responsable de la marketplace chez Shein France. Une recommandation que nous a également faite Martin Gentil. Mais le responsable marketplace nous indique lui aussi qu'il ne souhaite pas s'exprimer.

Heureusement, le 19 février, Ruud Kuiper, responsable e-commerce chez le fabricant de meubles Gautier répond à nos sollicitations et indique que les marques du groupe n'ont pas été approchées par Temu à sa connaissance mais que la marque de meubles Furnish 1 vend déjà sur la marketplace. Après avoir été contacté, Benjamin Bazile, CEO de Furnish 1, confirme l'information et accepte notre demande d'interview. 

Seuls 14% des vendeurs locaux ont un siège social en Europe

La marque de mobilier est en réalité une entité européenne d'un groupe industriel chinois. L'intégration de Furnish 1 s'est fait directement entre les équipes de Temu Chine et la maison mère. "Ils étaient très en demande de marchands avec des entités légales européennes", confie-t-il. Et Furnish 1 est loin d'être un cas isolé. La section meilleurs vendeurs avec entrepôt local recense de nombreuses filiales européennes de grandes entreprises chinoises. Parmi elle, Asosom. La rédaction a tenté de contacter leur bureau en France qui indique que "si les produits Aosom sont bien référencés sur Temu, ce type de discussions est mené directement au niveau du siège et ne concerne pas la filiale française".

Les vendeurs "locaux" ne sont donc pas si Français que ça. L'analyse des 64 entreprises référencées dans la catégorie meilleurs vendeurs dans "entrepôt local" au 18 février 2025 dresse un constat édifiant : 59 de ces sociétés sont en fait d'origine asiatique. Et seules neuf entreprises sur les 64 possèdent des sièges en Europe, soit 14% des meilleurs vendeurs locaux listés par Temu. La catégorie meubles concentre la majorité de ces neuf entreprises "européennes", avec des acteurs comme Hellodom, Bhappy, SoBuy, Urban Meuble, Meuble Cosy (Furnish 1) et Effet Mer.

"Amazon a eu besoin de 10 ans pour recruter des marques mais elle a préparé le terrain pour les suivants"

Bien que les vendeurs français se fassent encore rares sur la plateforme, Cyril Albert reste optimiste quant à l'avenir de Temu : "Il leur faudra affiner leur argumentaire, mais si leur croissance se maintient, les marques finiront par les rejoindre dans les trois à cinq ans, prédit-il. Amazon a eu besoin de 10 ans pour recruter des marques mais elle a préparé le terrain pour les suivants". De plus, le consultant indépendant estime que la mauvaise santé financière de Cdiscount pousse les vendeurs tiers à trouver une marketplace de substitut.

Benjamin Bazile confirme, en demi-teinte, l'argument business : "Nous sommes depuis six mois sur la marketplace et nous avons rapidement eu des ventes quotidiennes, ce qui n'est pas le cas sur toutes les plateformes aux démarrages". Mais il nuance ses propos : "Il y a des ventes tous les jours mais là nous avons l'impression que ça plafonne à un niveau assez bas". Cependant, le CEO de Furnish 1 croit également en les capacités de Temu à s'imposer auprès des vendeurs français. "Ils ont beaucoup de moyens donc je ne doute pas qu'ils réussissent à se développer", avance-t-il. Temu était d'ailleurs présent lors du dernier Marketplace Connect au mois de février à Paris : "Beaucoup de vendeurs en parlaient et certains avec qui j'ai discuté hésitent vraiment à y aller", témoigne Benjamin Bazile.

De quoi faire réfléchir la filière professionnelle. Le 18 mars, la Fevad, la Fédération française de l'équipement du foyer (FFEF) et l'Alliance du Commerce tiennent un événement commun. Le thème ? "Comment garantir le respect de la réglementation et assurer une concurrence juste pour nos entreprises face aux plateformes e-commerce asiatiques ?".