L'e-commerce de beauté, botte secrète de la mode pour croître envers et contre tout

L'e-commerce de beauté, botte secrète de la mode pour croître envers et contre tout Du mass market au luxe, les annonces de gamme beauté dans la mode ne cessent de se multiplier depuis quatre ans. Quand la mode va mal, la beauté prend le relais, pour le grand bonheur du e-commerce.

Le 16 février 2025, Balzac Paris a franchi une nouvelle étape de son développement en dévoilant sa première gamme de maquillage. La DNVB spécialisée dans la mode et l'accessoire étend donc son périmètre à la beauté. "Nous avons poussé la porte du dressing de nos clientes il y a dix ans. Notre relation de confiance est telle, qu'assez facilement nous avons pu également pousser la porte de leur salle de bain", se félicite Chrysoline de Gastines, co-fondatrice de la griffe parisienne.

Mais la marque est loin d'être un cas isolé. De la fast fashion au luxe en passant par le premium, personne n'échappe à la tentation d'annoncer une collection de maquillage ou de soins. Les Filles en Rouje s'est lancé en 2022, Rabanne en 2023, Zara Hair en 2024… Le dernier en date étant Louis Vuitton qui annonce une collection de maquillage pour l'automne 2025.

Relais de croissance en temps de crise

Face à un marché de la mode en tension, les acteurs de l'habillement trouvent dans la beauté un nouveau souffle. Le chiffre d'affaires de la mode (retail et e-commerce) a reculé de 5,5% entre 2019 et 2024 selon l'IFM. Seuls les acteurs de la grande distribution et les pure player tirent leur épingle du jeu avec une hausse par rapport à 2019. Bien que nettement plus petit, le marché de l'hygiène et beauté dans le retail affiche un niveau légèrement au-dessus d'avant covid.  Mais surtout, les ventes en ligne de beauté ont explosé de 41% entre 2019 et 2024 selon la Fevad. Un potentiel qui séduit naturellement les acteurs du secteur.

Thomas Mesmin, partner pour le cabinet de conseil MAD, spécialisé dans le luxe, rappelle que le phénomène n'est pas nouveau : "Les marques de luxe se sont toujours réfugiées dans la beauté quand les temps étaient difficiles. Dans les années 90-2000, elles avaient ouvert de nouveaux segments (parfums, lunettes, caleçon…) sous licence ce qui avait pu nuire à leur image". Dans le contexte inflationniste des dernières années, rien d'étonnant à ce que les marques de luxe aient (re)lancé leur gamme beauté. "En poussant un peu trop sur les prix, elles se sont coupées d'une partie du bas de la pyramide client, constate Thomas Mesmin. Et le maquillage représente des prix d'entrée qui permettent de générer du trafic dans une boutique, de convertir des ventes sur des populations qui ne pourraient pas s'acheter le reste de la gamme". Une analyse valable pour le mass market et confirmée par la co-fondatrice de Balzac Paris : "L'idée est déjà de faire du panier additionnel, en ligne et en retail, mais également de rentrer par la marque via un produit moins coûteux que nos produits habituels ". Alors que le prix moyen d'un article mode chez Balzac Paris environne les 150 euros, il est de 35 euros pour les produits de beauté.

Afficher une marque lifestyle

Au-delà des considérations économiques, la tendance du lifestyle amplifie le phénomène. "Elles doivent trouver des relais de croissance sur des nouveaux territoires, mais surtout une cohérence globale pour fidéliser les clients et qu'ils arrêtent de papillonner", explique Vincent Grégoire, directeur consumer trends & insight chez Nelly Rodi. Une vision sur laquelle communique Balzac Paris : "Nous voulions vraiment accompagner notre cliente dans toutes les étapes de sa journée en commençant par la routine beauté à la Balzac, puis en l'habillant avec le look Balzac". Cette volonté de construire un lifestyle au sein de l'univers de la marque a poussé des acteurs du luxe à passer le pas alors qu'ils ne vendent qu'à travers leurs propres canaux. Ainsi Hermès a tenté sa chance en 2020 avant que Louis Vuitton annonce suivre le mouvement en 2025. "La beauté (parfum compris, ndlr) représente aujourd'hui 10% des ventes chez Hermès", partage Thomas Mesmin.

Cerise sur le gâteau, le business model n'est pas trop contraignant pour les marques. Quand elles jouent sur le terrain du luxe, les gammes beauté se lancent sous licence comme ce fut récemment le cas de Jacquemus avec L'Oréal. "C'est très bénéfique pour la marque qui n'investit rien et touche simplement des royalties", résume Thomas Mesmin. Pour les griffes moyenne gamme, il s'agit de sous-traiter la formulation et la production à un prestataire. Mais là encore, les principales dépenses restent marketing selon Vincent Grégoire. "La beauté est une catégorie résiliente où les marges sont généreuses", résume-t-il.

L'e-commerce en première ligne

Le digital s'impose comme le premier bénéficiaire de cette diversification. Les marques privilégient d'abord leur site Internet pour tester l'appétence du marché avant tout déploiement physique (quand il existe). "Le digital est un relais de communication très important, affirme Vincent Grégoire. Cela permet de donner de la visibilité à la collection, de générer du clic et de raconter des histoires beaucoup plus complètes que ce que l'on peut faire avec un réseau physique". Cette stratégie digitale s'avère d'autant plus pertinente que la beauté figure parmi les catégories en croissance continue en e-commerce, bien qu'elle ne représente que 5% des dépenses totales en janvier 2025. Une observation partagée par Thomas Mesmin : "La beauté est le segment du luxe où il y a le plus de pénétration de l'e-commerce. Selon les segments de beauté, c'est 15 à 20% du marché e-commerce, quand c'est un tout petit 10% pour les autres catégories."

Cette compatibilité entre e-commerce et beauté, Balzac en a fait le constat. "Nous avons lancé notre premier produit beauté, un parfum, alors que nous étions encore un pure player, rappelle Chrysoline de Gastines. C'est l'appétence sur ce produit en e-commerce qui nous a convaincu de créer une gamme de maquillage". La co-fondatrice dit enregistrer des premiers chiffres "très prometteurs" sur cette collection de maquillage, alors même que son activité mode est elle aussi en croissance.

Le directeur consumer trends de Nelly Rodi assure cependant qu'il faut un équilibre : "Le soin ou le maquillage restent très sensoriels donc le digital ne peut pas être le seul canal de distribution". Un conseil appliqué par Balzac Paris ou Rouje qui distribuent leur gamme beauté dans leurs quelques boutiques. Pour les plus gros poissons, il peut parfois être complexe de créer de vrais espaces cohérents au sein de l'offre en magasin. H&M a ouvert de premiers espaces beauté en 2023 en Suède mais pour les Français la gamme n'est accessible qu'en e-commerce. Zara Beauty est disponible en France sur l'e-commerce et seulement dans son magasin parisien boulevard Haussmann selon les dernières informations communiquées par la marque. Si les réseaux sociaux comme TikTok offrent également une vitrine idéale pour ces nouvelles gammes beauté, l'enjeu pour ces marques sera de transformer l'essai au-delà du buzz initial.