Geodata scientist, un mathématicien épris de géographie
Ce nouveau métier est le résultat des nouvelles capacités offertes par le big data, l'open data et l'open source. L'un d'eux, Jean-Marc Favaro, co-fondateur de Fluctuo, nous en dit plus.
Sans contexte, les données de transport ne valent rien. Car pour qui souhaite comprendre les habitudes de déplacement dans une ville, l'heure et l'endroit importent autant que la commande elle-même. C'est là qu'entrent en jeu les geodata scientists comme Jean-Marc Favaro, cofondateur de la start-up Fluctuo. Cette société a conçu une interface de programmation (API) qui consulte toutes les 15 minutes les applications de vélos, scooters et trottinettes en libre-service.
Elle en extrait des données brutes dont le geodata scientist va tirer des enseignements. "Les données de mobilités sont statiques : nous n'avons que la latitude, la longitude, le niveau de batterie, et l'horaire auquel nous avons repéré un véhicule", explique Jean-Marc Favaro. "Mon job consiste à construire des algorithmes qui analysent chaque jour ces millions de points de données pour reconstituer le nombre de trajets effectués, connaître leurs trajectoires et compter le nombre d'appareils disponibles", détaille-t-il. Des analyses qui sont ensuite présentées sous formes de visualisations, cartes et tableaux disponibles sur une plateforme couvrant une quarantaine de villes. Une partie du travail est manuelle, lorsque l'entreprise souhaite réaliser des études spécifiques, par exemple sur l'impact des grèves RATP sur l'usage de ces services en Ile-de-France.
Couteau suisse
Le geodata scientist est un mélange de plusieurs métiers préexistants. Jean-Marc Favaro se considère donc comme "un couteau suisse". "Je fais de la géomatique, mais je ne suis pas aussi bon qu'un vrai géomaticien, de la géographie, des statistiques et des traitements informatiques de bases de données. Il faut toute une palette de compétences pour gérer l'intégralité de la chaîne des données."
Un mélange qui se ressent dans sa formation et son parcours. Il est d'abord responsable d'études géomarketing dans le privé jusqu'au début des années 2000, après un master en économétrie et un DEA de géographie. Puis devient statisticien pendant quatre ans au Centre national de la recherche scientifique (Cnrs), où il travaille sur des modélisations et simulations du comportement humain à l'échelle d'une ville, dans le cadre d'un doctorat en géographie. Avant de repasser dans le privé et l'analyse statistique, jusqu'à un premier poste de geodata scientist chez la société de marketing géo-localisé AdMoove, où il rencontre l'un des associés avec lequel il fondera Fluctuo en 2017.
"L'avènement du big data a tout changé"
Si ce métier existait déjà avant, éclaté entre plusieurs professions, il a fortement évolué. "L'avènement du big data (le traitement de volumes massifs de données, ndlr) a tout changé", assure Jean-Marc Favaro. "Il y a quelques années, nous devions davantage déduire et deviner. La mobilité était analysée via des sondages ou de petits échantillons. Aujourd'hui, nous utilisons d'énormes échantillons avec des centaines de millions de lignes de tableur, contre quelques dizaines de milliers autrefois."
De quoi permettre l'avènement du "big geodata", l'apparition de montagnes de données géographiques issues des GPS intégrés aux smartphones ou aux vélos, trottinettes et autres scooters. Le métier est aussi devenu plus abordable, grâce à l'apparition de l'open data, offrant quantités d'informations sur la ville et ses transports publics accessibles gratuitement. Mais aussi de l'open source, des logiciels gratuits dont le code est librement réutilisable, et qui ont démocratisé l'usage de la cartographie.
Pour l'épauler et accompagner la croissance de sa société, Jean-Marc Favaro prévoit de recruter d'autres geodata scientists. Quels profils recherche-t-il ? Idéalement le même que le sien, car "si vous n'êtes pas géographe, vous allez passer votre temps à réinventer l'eau tiède. Cependant, les outils utilisés sont très quantitatifs, il faut donc un profil statistique et informatique". "Des gens forts en maths qui adoraient l'histoire-géo à l'école", résume-t-il.
Cet article est originellement paru dans Le Figaro Tech, supplément trimestriel du quotidien Le Figaro, fruit de la collaboration entre les équipes du Figaro Economie et du JDN. Objectif de ce cahier : créer un point de repère dans l'innovation technologique, pour distinguer les modes des phénomènes de fond.