Data des collectivités : pour déloger les acteurs historiques, les start-up rentrent par la petite porte

Data des collectivités : pour déloger les acteurs historiques, les start-up rentrent par la petite porte Zenbus, Vianova et Manty développent des plateformes de données adaptées aux collectivités, qui utilisent des logiciels métiers lourds rendant difficile l'exploitation de leurs propres données.

L'organisation des collectivités est lourde, les logiciels et systèmes informatiques qui la sous-tendent aussi. Pour réaliser leurs missions de services public, elles font appel à de nombreux logiciels métiers vieillissants, pas toujours adaptés aux nouvelles exigences de l'open data, et dont elles ont du mal à se dépêtrer. Il leur est parfois impossible de récupérer leurs propres données dans un format exportable et exploitable. Parce que ces logiciels ne le permettent pas, ou bien au prix de traitements spécifiques pour lesquels les éditeurs demandent à être rémunérés. Payer pour obtenir ses propres données, a fortiori lorsqu'elles appartiennent au domaine public, est considéré comme une aberration par les collectivités. Certaines, comme Paris, ont engagé des renégociations de leurs contrats avec les fournisseurs afin de faire cesser ces pratiques. D'autres, comme Nevers, se sont mises à extraire à la sauvage leurs données sans demander l'autorisation à l'aide de programmes informatiques spécialisés.

Dans ce contexte, une nouvelle vague de start-up françaises, qui ont levé des fonds en 2020, commence à rentrer dans les systèmes des collectivités sur de petites parties de leurs missions. Elles leur proposent des interfaces modernes au niveau de l'expérience utilisateur grand public et leur permettent de récupérer ou produire des données afin de les aider dans leurs prises de décision et améliorer leurs services.   

"Les systèmes n'étaient pas capables de produire des données de qualité, ni de les nettoyer, et encore moins de les ouvrir"

Zenbus s'intéresse par exemple aux données des bus. Créée en 2011 dans l'idée d'offrir aux voyageurs une vision plus dynamique des trajets, avec des horaires de passage en temps réel et des estimations de temps de voyage, comme les VTC commençaient alors à le faire, la société s'est vite heurtée à un mur. "Nous nous sommes rendu compte que les systèmes d'exploitation lourds des opérateurs de transport n'étaient pas capables de produire des données de qualité, ni de les nettoyer, et encore moins de les ouvrir", raconte Olivier Deschaseaux, co-fondateur de Zenbus.  

La start-up a donc commencé en 2013 à produire les données elle-même, en installant des smartphones dans les bus, puis des capteurs GPS et infrarouge. En recalculant le temps de trajet en fonction du retard ou de l'avance du bus à chaque station, l'entreprise se dit capable d'afficher des temps d'arrivée à la prochaine station précis à la seconde près. Elle travaille avec des petites et moyennes collectivités comme Mantes-La-Jolie, Calais ou les départements du Nord et de Charente Maritime, ainsi que sur les extrémités du réseau de plus grosses métropoles, comme Nantes et Nice. Zenbus s'occupe également de mettre en open data les données produites par les collectivités et a développé une plateforme d'analyse de données sur laquelle elles peuvent voir en temps réel l'état de leur réseau, ainsi qu'accéder à des analyses historiques, par exemple sur le niveau de ponctualité de chaque ligne. L'entreprise a levé environ 3 millions d'euros en deux tours en 2017 et 2020, notamment auprès de la Caisse des Dépôts.

Organiser les nouvelles mobilités

Toujours dans le transport, ViaNova s'invite dans les collectivités par le biais des nouvelles mobilités. Elle travaille avec une douzaine de villes en Europe, dont Bruxelles, Stockholm et Zurich, en s'interfaçant entre elles et les opérateurs de vélos, trottinettes et autres scooters en libre-service. Tous leurs remontent des données en temps réel qui permettent aux collectivités de vérifier que les entreprises respectent leurs obligations réglementaires et de mieux comprendre les flux de ces nouveaux modes de déplacement. 

La start-up a levé 1,8 million d'euros auprès de la RATP en décembre. Elle espère accélérer son développement grâce à cet apport de fonds et au carnet d'adresse de RATP Dev, la filiale du groupe qui exploite des réseaux hors du territoire francilien historique. "Nous visons 20 à 25 villes d'ici fin 2021", ambitionne Thibaud Febvre, co-fondateur de ViaNova. La société travaille aussi sur un nouveau produit, qui permettra aux collectivités de suivre et organiser en temps réel les opérations de livraison des entreprises de logistique, alors que cette activité, qui génère une part significative du trafic ainsi que des problèmes de stationnement, est de plus en plus scrutée par les grandes villes.  

On peut égaler citer Manty, une start-up qui se focalise sur l'aide à la décision des collectivités en se connectant à tous leurs logiciels métier pour structurer leurs données et en tirer des tableaux de bord, ainsi que des analyses de données. Une cinquantaine de collectivités sont clientes de cette plateforme, baptisée Manty Vision, qui leur promet d'obtenir une vue d'ensemble de leurs politiques publiques, habituelles cloisonnées entre les différentes directions métier. Manty a accueilli la Caisse des Dépôts, Axeleo Capital et Kima Ventures à son capital l'année dernière, dans le cadre d'un tour de table à 2,4 millions d'euros.  

Rester dans sa niche ou déloger les historiques

Après avoir apporté ces bonnes pratiques d'interface et de données dans les entreprises privées, les start-up et les fonds d'investissement commencent à s'intéresser aux collectivités, où il reste fort à faire. "L'accélération des services technologiques à partir des années 2000 a d'abord touché les consommateurs, puis les entreprises, car ce sont les cibles qui promettaient les rendements les plus rapides. Mais à présent, pour passer au stade supérieur et avoir une nouvelle phase de croissance chez les consommateurs, il faut effectuer un rattrapage chez ceux qui n'ont pas suivi le train : les collectivités", analyse Thibaud Febvre. Il y voit également une prise de conscience de certains investisseurs en lien avec le coronavirus, comme le prestigieux fonds californien Andreessen Horowitz, qui a appelé à construire des produits qui passent à l'échelle moins rapidement, mais sont plus utiles

Ces start-up travaillent pour l'instant sur des niches pas encore couvertes par les fournisseurs de logiciels métier, ou bien pour Zenbus avec de petites collectivités qui n'ont pas les moyens de se payer les services des gros éditeurs. Réussiront-elles à aller plus loin et déloger les acteurs historiques ? Zenbus commence à monter en gamme et tente de convaincre des plus grosses collectivités de l'utiliser sur l'intégralité de leur réseau de bus, plutôt que ses extrémités. Chez Vianova, le sujet "est en réflexion", raconte Thibaud Febvre. "Certaines villes, comme Bruxelles, cherchent à construire un agrégateur de mobilités à l'échelle de tout leur territoire, ce qui nécessiterait de créer un data lake rassemblant toutes les données de transport du territoire. On nous a demandé si c'était quelque chose que nous saurions faire. Nous ne sommes pas encore positionnés sur le sujet". Mieux vaudrait ne pas trop tarder à se décider, car les acteurs historiques finiront bien par se mettre au niveau des exigences des collectivités.