La plateforme de services de l'Ile-de-France déborde de données mais manque d'utilisateurs

La plateforme de services de l'Ile-de-France déborde de données mais manque d'utilisateurs En mélangeant des data du public et du privé, la région a développé une plateforme regroupant une vingtaine de services numériques à l'audience encore confidentielle.

Pour développer de nouveaux services, les collectivités ont besoin d'aller chercher des données, où qu'elles soient. Illustration en Ile-de-France avec la plateforme Smart Services développée par la région depuis 2019. Deux ans après son lancement, à la suite d'un appel d'offres remporté par Engie et sa filiale Siradel en 2018, une vingtaine de nouveaux services numériques ont été déployés par la collectivité. Et ce en mêlant ses propres données à celles d'autres échelons administratifs (communes, départements, Etat...), mais aussi grâce à des données provenant de partenaires du privé. Plus de 160 institutions ont collaboré au projet. Malgré son appellation de plateforme par la région, il ne s'agit pas d'un service unique, mais plutôt d'un portail donnant accès à une vingtaine de services assez distincts les uns des autres.

Parmi les services les plus aboutis, on peut citer Smart Implantation. L'outil permet à une entreprise qui souhaiterait s'implanter dans la région de trouver le lieu idéal pour cela, en fonction de son secteur d'activité, du type de bâtiment recherché (bureau, site de production, commerce, entrepôt...), du nombre d'employés et de la taille souhaitée, ou encore de paramètres locaux comme le maillage autoroutier et la présence d'autres entreprises dans le secteur. L'outil va ensuite proposer plusieurs territoires affichés sur une carte en fonction de ces nombreux paramètres, et peut même renvoyer vers des propositions de biens à louer chez le partenaire Bureauxlocaux.com. "Il y a un enjeu de lisibilité de la région, en particulier pour les entreprises internationales, entre les différentes zones d'activité économique comme Paris, La Défense ou le plateau de Saclay", explique Nelly Garnier, conseillère régionale et déléguée spéciale à la smart région.

Calculer son potentiel solaire

Autre service intéressant, pour les particuliers cette fois-ci, Mon potentiel solaire permet d'entrer son adresse afin de savoir à quel point sa toiture pourrait profiter de l'installation de panneaux solaires, en fonction de sa taille, son inclinaison et son exposition au soleil. Mais aussi d'autres paramètres légaux : par exemple, les nombreux toits classés de Paris rendent impossible les installations photovoltaïques. Une cartographie de toute l'Ile-de-France affiche également le potentiel de chaque bâtiment, selon un code couleur allant du gris (bâtiment classé) au rouge (potentiel très important). 

Parmi les autres services développés on peut également citer SmartWork, qui recense tous les espaces de coworking de la région, Roulez Branchez, qui fait de même pour les bornes de recharge électrique, ou encore l'espace Solutions Covid-19, qui répertorie des solutions numériques utiles aux citoyens, associations, commerçants et acteurs de la santé. Ou encore une plateforme qui permet aux cantines de trouver des produits locaux et aux producteurs de s'y référencer.

Des nouveautés et du réchauffé

Mais tous les services affichés proposés ne sont pas aussi innovants. Certains se bornent à reproduire des services existants. Par exemple A vélo en Ile-de-France, qui reprend des fonctionnalités d'affichage des pistes cyclables et des stations Vélib' que l'on peut trouver dans les applis Géovélo (d'ailleurs partenaire de la région sur ce service), ViaNavigo ou Vélib'. D'autres "services", comme Mon Réflexe Zéro Déchet sont en fait de simples pages web, qui renvoient vers d'autres pages et articles. Le désenchantement est particulière vif pour le service Lissage des heures de pointe, qui promet une "météo du trafic" mais affiche en réalité de simples graphiques RATP au format image de statistiques de fréquentations des transports en commun. La page conseille même de regarder Waze ou Citymapper, avant de renvoyer vers Sytadin, un outil de trafic en temps réel de la direction des routes d'Ile-de-France dont l'interface nous replonge avec nostalgie dans le Web du début des années 2010.

Au-delà de l'anecdote, ce dernier exemple illustre aussi la difficulté pour les collectivités d'obtenir des données d'entreprises privées, pour lesquelles elles revêtent souvent une valeur commerciale et stratégique. D'autres collectivités, comme la métropole de Rennes ou la région Occitanie, s'y sont frottées auparavant. Et elles ont la plupart du temps constaté qu'il était très difficile d'aller au-delà d'un premier cercle d'entreprises "parapubliques", c'est-à-dire issues d'anciens monopoles publics, ou qui vivent de la commande publique et des appels d'offres (énergéticiens, opérateurs de transports publics, entreprises de construction...) et dont certaines sont déjà obligées par la loi à publier des données en open data. 

Widgets, SDK : les développeurs en renfort

"Nous sommes conscients de cette problématique", reconnaît Gwennaëlle Costa Le Vaillant, directrice donnée, numérique et smart région. "Nous avons signé avec les entreprises des conventions de partage de données qui protègent la propriété intellectuelle. Nous avons été très clairs sur le fait que nous ne les forcions pas à mettre leurs données en open data, et que nous ne leur demandions pas accès aux données." Elle fait ici référence à de nouvelles approches du partage de données, qui permettent à une entreprise, plutôt que d'envoyer des données sensibles à un partenaire, de lui permettre à la place de les consulter en restant dans son environnement informatique. La région affirme avoir réussi à convaincre de nouveaux partenaires hors du giron parapublic, mais dit ne pas pouvoir les annoncer pour le moment. Elle précise aussi qu'elle ne rémunère jamais les entreprises pour la fourniture de ces données.

La prochaine étape pour la région consistera à améliorer la notoriété et l'usage de sa plateforme, pour l'instant confidentiels, et dont elle commence tout juste à faire la promotion. Car l'Ile-de-France a bien conscience qu'elle n'a pas les moyens de concurrencer les grands services numériques américains, mais elle espère au moins offrir des données et ressources informatiques à d'autres acteurs qui souhaiteraient le faire. Pour y arriver, elle compte notamment sur le développement de widgets, qui permettront d'intégrer des modules de ses services directement sur un site web ou une appli, mais aussi un kit de développement (SDK), afin de faciliter le développement de nouveaux services utilisant ces données par des acteurs tiers. L'Ile-de-France aura besoin des développeurs pour donner tout son sens à ce produit et en faire une vraie marketplace plutôt qu'un portail.