European Chips Act : une nouvelle enthousiasmante, mais…

Une course aux semi-conducteurs est donc lancée, avec une forte compétition entre les pays à l'échelle mondiale. Quels sont les enjeux et les défis auxquels l'Europe va devoir faire face ?

Ces dernières années, l'industrie des semi-conducteurs est devenue un enjeu crucial dans la supply chain mondiale. Téléphonie, datas, paiement, transport, santé, défense, etc… pas un secteur de l’industrie est exempt de puces électroniques. Leur pénurie , exacerbée par la pandémie et l'accélération de la numérisation, a mis en lumière la dépendance de nombreux pays vis-à-vis de fournisseurs étrangers. Aux États-Unis, le Chips and Science Act a été lancé avec l'objectif ambitieux de renforcer la souveraineté technologique américaine et de pallier la pénurie mondiale de puces électroniques. Sont annoncés 280 milliards de dollars d’investissements pour les Etats-Unis.

Des investissements massifs ont été déployés pour stimuler la recherche, l'innovation et la capacité de production dans ce domaine stratégique. En réponse à cette initiative, l'Europe n'est pas restée les bras croisés et a elle aussi introduit son propre plan, l'European Chips Act. Cette initiative ambitieuse, dotée d'un budget de plus de 43 milliards d'euros d'ici 2030, vise à renforcer la souveraineté technologique de l'Europe et à accroître sa compétitivité. A l’origine centrés uniquement sur le développement de puces de dernières génération, les financements ont été élargis aussi aux projets R&D, composants et design. L’objectif européen est d’atteindre au moins 20% de part de marché d’ici à 2030*.  L’Angleterre, sortie de l’Union Européenne,  a décidé de lancer son propre plan d’investissement de son côté.  

L’Europe n’est pas la seule à investir significativement dans les semi-conducteurs, la Chine, la Corée du Sud, le Japon et l’Inde ont des plans similaires. Les géants du secteur comme TSMC et Samsung prévoient également de forts investissements qui n’incluent pas l’Europe. Une course aux semi-conducteurs est donc lancée et avec une forte compétition entre les pays à l’échelle mondiale.

Ces initiatives placent sans aucun doute l’Europe en bonne position dans la course aux semi-conducteurs. Cependant, est-ce que ces actions seront suffisantes pour que l’Europe tienne une place importante sur le marché ? Les délais de mise en place seront-ils assez rapides ? Quels sont les enjeux et les défis auxquels l’Europe va devoir faire face ? La main-d'œuvre sera-t-elle suffisante ?

Limiter la dépendance européenne pour la production de puces : un mirage ?

Les investissements engagés pour le développement de l’industrie des semi-conducteurs à l’échelle européenne sont une excellente nouvelle, mais l'Europe reste malgré tout dépendante des fournisseurs de puces électroniques et autres processeurs hauts de gamme. L'industrie des semi-conducteurs est un marché mondial dominé par un petit nombre de fonderies de puces, principalement basées en Asie, notamment à Taiwan et en Corée du Sud. Les cinq principaux fondeurs - TSMC, Samsung Electronics, UMC, Globalfoundries et SMIC - détiennent 90% des parts de marché mondiales**. Ainsi, malgré tous les efforts de l'Europe pour devenir davantage compétitive et souveraine, l’approvisionnement en semi-conducteurs à proprement dit sera toujours dépendant de ces fonderies. En effet, créer une fonderie est très  complexe et nécessite 5 à 10 ans pour voir le jour et être en capacité optimale.

L'Asie a une longueur d'avance en termes de capacités de production, de technologie et de chaîne d'approvisionnement bien établie. L'Europe doit donc faire face à une concurrence féroce et à des défis logistiques pour rattraper son retard.

Par ailleurs, nous parlons depuis tout à l’heure d’Europe, mais il n’y a pas d’unité réelle, chaque pays a ses propres spécialisations, par exemple :

  • L'Allemagne est connue pour son expertise dans la conception de puces et la technologie des semi-conducteurs. Elle abrite de nombreuses usines et grandes entreprises du secteur, ainsi que des instituts de recherche de renommée mondiale. On note aussi des partenariats existants et en cours (TSMC-BOSCH.).
  • La France se concentre sur la recherche et le développement dans le domaine des semi-conducteurs. Elle abrite des centres de recherche et des universités renommées qui mènent des travaux novateurs dans le domaine. 
  • L'Italie se distingue dans la fabrication d'équipements et de machines utilisés dans la production de semi-conducteurs, elle est réputée pour ses technologies de pointe. 

Ces deux pays sont tous deux connus notamment pour l’entreprise franco-italienne STMicroelectronics, qui se classe parmi les 15 fabricants de puces mondiaux.

  • Les Pays-Bas sont connus pour leur expertise dans la fabrication de semi-conducteurs et les technologies liées à l'électronique. Le pays abrite notamment ASML, leader mondial dans les équipements sophistiqués de gravure par lithographie.

L'Europe, consciente de sa vulnérabilité face à la pénurie mondiale de semi-conducteurs, cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis des acteurs étrangers en renforçant sa capacité de production de puces. Le "European Chips Act" propose des investissements importants dans de nouvelles usines et des infrastructures de fabrication en Europe. La mise en place d'une chaîne d'approvisionnement solide et compétitive nécessite des investissements massifs, des ressources humaines qualifiées et une coordination entre les différents acteurs.

Ouvrir de nouvelles usines en Europe : quid des compétences ?

L’idée de réindustrialiser l’Europe et d’investir dans les semi-conducteurs est une belle initiative pour booster l’économie et la souveraineté, cependant, où l'industrie trouvera-t-elle la main-d'œuvre qualifiée nécessaire pour faire fonctionner ces usines et concevoir les puces qu'elles produiront ?

La fabrication de semi-conducteurs est une industrie hautement technique qui nécessite des compétences spécialisées dans des domaines tels que la conception de puces, la fabrication et les équipements associés, l'assemblage et les tests. Il est essentiel de former une main-d'œuvre qualifiée capable de répondre aux exigences de ces usines. Et pour former ces personnes, un besoin en professeurs est aussi nécessaire.

L'Europe dispose d'un réservoir de talents dans le domaine des sciences et de l'ingénierie, mais il est crucial de développer des programmes de formation et de reconversion pour combler les lacunes de compétences spécifiques et apporter la quantité attendue de candidats. Cela peut inclure des partenariats entre les entreprises, les industries, les start-ups,  les universités et les instituts de recherche pour offrir des programmes de formation adaptés aux besoins de l'industrie des semi-conducteurs. 

Ces programmes doivent être mis en place rapidement pour ne pas louper le coche et acquérir de la main d'œuvre qualifiée dans les temps. Car, oui, il faut compter 5 à 10 ans pour monter-développer les formations et en voir les premiers diplômés. C’est donc à la fois un plan long terme qu’il faut lancer mais aussi un plan avec des solutions à court terme. A titre d’exemple, les Etats-Unis, en Arizona, font venir des employés de TSMC pour démarrer la megafab et envoient leurs résidents en formation à Taïwan. C’est une course contre le temps.

Mobiliser l'écosystème entier des acteurs de l’économie des semi-conducteurs : un levier clé de succès

L’avenir de l’Europe sur l’industrie des semi-conducteurs n’est pas d’avoir une maîtrise totale de la supply chain car, comme vu précédemment, elle restera d’une certaine manière dépendante des fonderies. L’enjeu sera d’avoir un contrôle de cette supply chain et de se positionner sur ses propres forces pour atteindre les objectifs fixés et se faire une bonne place sur le marché. 
Au-delà de ces initiatives, il sera primordial de développer les partenariats à l'échelle européenne pour peser suffisamment dans les échanges et renforcer la position de l’Europe dans l'industrie mondiale des semi-conducteurs. Chaque pays pourra ainsi faire profiter de ses forces aux autres et également en tirer bénéfice. En somme, l’Union (Européenne) fait la force.

L’Europe devra aussi établir des partenariats avec des pays extérieurs, pour créer une véritable force sur l'ensemble de la chaîne de valeur des semi-conducteurs.

En collaborant étroitement avec d'autres acteurs, tels que les fournisseurs de matières premières, les fabricants d'équipements, les entreprises de conception de puces et les start-ups du domaine des semi-conducteurs, l'Europe peut renforcer sa capacité à innover, à produire et à commercialiser des produits de pointe. D’autant plus que l'Europe est déjà reconnue pour ses produits innovants, fiables et de qualité. Les états et la politique ont un rôle important à jouer.

Finetech, entreprise allemande spécialisée dans les machines d’assemblage flip-chip est directement impliquée dans cette course aux semi-conducteurs. Comme pour les autres petites et moyennes entreprises (PME) du secteur, ce contexte est vu comme une opportunité. Mais celle-ci nécessite d’innover pour suivre l'évolution rapide des technologies et de s’adapter à ce contexte politico-économique de plus en plus complexe. 

*Source : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-industrial-policy/eu-chips-industry/

**Source : https://fr.statista.com/infographie/27908/plus-grandes-fonderies-semi-conducteurs-selon-chiffre-affaires/