OS embarqués : les stratégies des constructeurs automobiles français

OS embarqués : les stratégies des constructeurs automobiles français Alors qu'Apple et Google s'affrontent pour s'emparer des écrans de nos véhicules, les constructeurs français veillent à conserver leur indépendance.

C'est une guerre d'écosystèmes que sont en train de se livrer Apple et Google dans le secteur automobile. Chacun veut se faire une place sur l'écran de votre voiture et les deux géants de la Silicon Valley multiplient les initiatives pour séduire les constructeurs automobiles.

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PSA propose d'ores et déjà la connexion au smartphone avec ses petites citadines C1 et 108. © PSA

Ainsi, lors de son dernier événement mondial Google I/O, Google a dévoilé le nom de 25 constructeurs automobiles qui ont rejoint son Open Automotive Alliance, initiative créée afin d'imposer Android Auto dans les voitures. Sur cette liste figurent les différentes marques du groupe Volkswagen (Audi, Bentley, Skoda), mais aussi Ford, Honda, Fiat, Volvo et le français Renault.

Face à cette alliance, Apple propose Carplay, son propre système embarqué pour l'automobile. 27 constructeurs se sont rangés derrière l'étendard à la pomme, dont des marques prestigieuses comme Mercedes-Benz, Ferrari, ainsi que BMW, Toyota... et PSA Peugeot Citroën. Attention à ne pas résumer cette partie de Monopoly à un face à face Renault/Google contre PSA/Apple. Ces accords n'ont rien d'exclusifs et absolument aucun constructeur ne veut tout miser sur l'un ou l'autre de ces protagonistes. Déjà, Audi, Fiat, Honda, Volvo, Nissan et certaines marques du groupe General Motors figurent sur les deux listes et, d'ici quelques mois ce sera probablement le cas de tous les grands constructeurs mondiaux. Aucun constructeur ne veut se lier fortement à l'un ou l'autre et risquer de perdre tous les acheteurs potentiels équipés des smartphones de l'autre.
 

PSA, l'un des fondateurs de Genivi

Si PSA Peugeot Citroën fait partie des partenaires d'Apple, l'OS numéro 1 de ses systèmes embarqués d'"infotainment", combinant information et divertissement, est et restera Genivi, le Linux de l'automobile. "PSA fait partie des fondateurs de l'alliance Genivi depuis son origine, en 2009", se souvient Alexandre Fromion, expert Télématique chez PSA Peugeot Citroën. "C'est la première fois que l'industrie automobile fait le choix de s'appuyer sur un OS issu du 'consumer' pour créer un OS automobile."

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La tablette R-Link qui équipe certains modèles Renault fonctionne sur un Android customisé par Tomtom. © Renault

Pour ses systèmes embarqués, PSA faisait principalement appel jusqu'alors à des OS propriétaires, comme Vxworks de Wind River. "C'est un OS qui a fait ses preuves dans l'aéronautique, notamment, mais qui est plus pauvre sur le plan multimédia", explique-t-on chez PSA. Car outre les avantages de proposer à l'ensemble des constructeurs un OS standard, et donc de permettre ainsi de mutualiser les efforts de développement de l'ensemble d'une filière, Genivi est avant tout un Linux, c'est-à-dire un catalogue d'applications très diverses, dont le code source est immédiatement accessible gratuitement. Un point crucial à l'heure où les marges réalisées par les constructeurs sur les ventes de véhicules sont minimes, voire négatives.

Outre le noyau Linux, si votre voiture dispose d'un ordinateur de bord Genivi, vous allez ainsi utiliser des composants Linux tels que dbus, Systemd, OpenSLL, Alsa, pulseaudio, gstreamers, etc. Genivi ne standardisant pas les interfaces Homme-Machine, PSA a ainsi fait le choix du système de fenêtrage Wayland. "Un choix qui paraît plutôt audacieux et qui, avec le recul s'avère être excellent", se félicite Alexandre Fromion. Aujourd'hui, BMW est certainement le constructeur le plus avancé dans la diffusion de Genivi au sein de sa gamme. Tous ses nouveaux modèles en sont équipés depuis le lancement de la S3. Le groupe PSA va lancer en concessions sa première voiture Genivi au début de l'année 2015. Quelle sera le modèle à en bénéficier le premier ? Mystère...
 

Renault mise sur Android, mais pas seulement

Renault a fait beaucoup parler de lui en dévoilant R-Link, sa tablette tactile Android. C'était lors de l'événement LeWeb en 2011. "R-Link s'appuie sur une plateforme Android, mais il ne s'agit pas à 100% de l'OS développé par Google", détaille Olivier Guetta, expert leader embedded software technology de Renault. "C'est un OS modifié afin de répondre aux besoins spécifiques de l'automobile. Les modifications apportées dans le cadre de R-Link ont été réalisées par notre fournisseur TomTom." Une coopération de longue date puisque Renault et Tomtom ont introduit Linux dans les voitures de la marque au losange bien avant le lancement de Genivi. Carminat Tomtom a été lancé en 2009. "Nous avons été les premiers à commercialiser Linux sur le multimédia", précise François Ougier, expert architecture logiciel IHM multimédia de Renault. "C'était une approche en rupture avec les pratiques de l'époque, où il y avait des systèmes propriétaires type QNX, entre autres."

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Le Renault Captur est, avec la Clio IV, l'un des premiers modèles du constructeur a disposer d'un calculateur compatible AutoSAR. © Renault

Mais attention à ne pas croire que Renault est un allié indéfectible à Google et un inconditionnel d'Android. Tout comme PSA, Renault fait partie de l'alliance Genivi, un ralliement qui date de 2010 et sur lequel le constructeur ne compte pas revenir : "aujourd'hui, nous avons R-Link, mais nous ne fermons pas la porte aux autres solutions, pas du tout !", s'en défend Olivier Guetta. "Ces systèmes évoluent tellement rapidement que nous devons rester ouverts. L'intérêt d'une solution comme Genivi, c'est de viser la standardisation, mais cela ne nous empêche pas de continuer à regarder ce que Google va faire sur Android." Renault proposera une option Google Auto, mais peut-être Apple Carplay aussi. Le responsable Renault avoue avoir été approché par la marque à la pomme avant le lancement de R-Link. La base installée plus large d'Android a alors poussé le constructeur vers Google mais Renault, tout comme PSA, ira là où la demande de ses clients le portera.
 

PSA et Renault se rejoignent dans le temps réel "dur"

S'il est un domaine où PSA et Renault ont adopté la même stratégie, c'est sur le système embarqué de l'ECU, le calculateur du véhicule. C'est lui qui gère l'électronique à bord, de la climatisation aux vitres électriques en passant par la fermeture des portes, etc. Un système critique qui nécessite un vrai OS temps réel, ce que ni Android ni iOS ne sont aujourd'hui. "On divise le monde en deux, entre ce qui est calculateur temps réel d'un côté et infotainment de l'autre", explique Olivier Guetta de Renault.

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"Aujourd'hui, nous avons R-Link, mais nous ne fermons pas la porte aux autres solutions, pas du tout !", Olivier Guetta, expert leader du logiciel embarqué chez Renault. © Renault

L'expert détaille : "Pour ce qui est du calculateur temps réel, on cible aujourd'hui le déploiement généralisé du standard AutoSAR. Ce standard va nous permettre à la fois d'avoir un processus de développement robuste, et à terme d'échanger des fonctions entre différents calculateurs. Aujourd'hui, on a un mix entre des fournisseurs qui nous proposent déjà ce type de solutions ouvertes sans que cela ne soit exigé par Renault, et des solutions propriétaires." Sur les derniers modèles de la marque, comme le Captur ou la Clio IV, le calculateur de contrôle habitacle fourni par l'équipementier Continental, est sous le standard AutoSAR. "AutoSAR nous apporte une indépendance avec les couches hardware que l'on ne connaissait pas dans l'industrie automobile. Cette couche logicielle fonctionne quelle que soit la plateforme hardware en dessous. AutoSAR nous apporte aussi une indépendance entre la partie logicielle applicative et la partie logiciel de base, à la manière de Windows sur un PC", explique Olivier Guetta. Même analyse chez PSA qui mise sur AutoSAR, et équipe désormais ses nouveaux modèles avec ce système standard. C'est déjà le cas de la Citroën C4 et la Peugeot 508.
 

Ni Apple, ni Google n'ont, pour l'instant, d'OS automobile

Pour l'heure, ni Apple ni Google ne concurrencent véritablement Genivi dans l'automobile. La raison est toute simple : aucun d'eux ne propose de véritable OS embarqué, comme le souligne Alexandre Fromion de PSA : "pour l'instant, Apple avec Carplay et Google avec Android Auto proposent du déport de fonctions de smartphone sur l'écran du véhicule, un peu à la manière de VNC sur un PC." Apple et Google proposent finalement une approche semblable à MirrorLink, solution conçue par la Connected Car Consortium (CCC), l'alliance des constructeurs automobiles (et qui est aujourd'hui disponible sur certains modèles PSA). Microsoft s'est appuyé sur cette technologie pour son démonstrateur Windows in the car dévoilé en avril 2014 lors de sa conférence Build.

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L'architecture du calculateur interne des voitures s'est désormais standardisée autour d'AutoSAR. Ce n'est pas encore le cas pour les systèmes d'infotainement. © AutoSAR

Il devrait donc être techniquement possible à terme d'activer, selon le véhicule et l'option choisie par le client, la connexion Carplay ou Android. Lors de Google I/O, Google a semblé indiquer qu'il compte aller plus loin et véritablement installer Android dans le véhicule. "C'est quelque chose que nous suivons avec intérêt, sachant qu'Android, c'est aussi Linux, et que le passage de l'un à l'autre est relativement simple", ajoute Alexandre Fromion. Olivier Guetta chez Renault abonde en ce sens : "ce que propose Google aujourd'hui est différent d'un OS. Il propose de connecter des applications développées pour le smartphone qui, lui, vient s'interfacer avec le système multimédia du véhicule. Il vient en complément d'applications qui, elles, seraient directement installées dans le véhicule.". Et Olivier Guetta d'expliquer : "Avec R-Link, nous voulions maitriser les apps qui allaient être installées dans le véhicule. Nous avons rallié l'Open Alliance car nous sommes bien conscients que de plus en plus de clients souhaitent avoir cette réplication des apps de leur smartphone sur le véhicule."

Google ira-t-il plus loin et proposera-t-il un Android Auto pouvant être installé dans l'ordinateur de bord et fonctionner sans smartphone ? Il n'est pas du tout certain que les constructeurs suivent l'américain sur ce terrain.