Stéphane Fermigier (CNLL) "Les logiciels propriétaires facilitent l’espionnage"

Le Conseil National du Logiciel Libre vient d’élire deux nouveaux coprésidents. L’un d’eux détaille au JDN ses missions, et les défis qui attendent l’open source en France

JDN. Vous venez d’être élu, pour deux ans, coprésident, aux côtés de Philippe Montargès, du CNLL, le Conseil National du Logiciel Libre. Quelle est votre priorité numéro 1 ?

Stefane Fermigier a fondé Nuxeo et Abilian, deux éditeurs open source. Il est depuis 2009 président du Groupe Thématique Logiciel Libre du Pôle Systematic Paris-Region, et à ce titre cofondateur du CNLL (2010).© S.F.

Stéphane Fermigier. Nous n’avons pas de priorité numéro 1, mais plusieurs missions. Il est d’abord important que nous fassions comprendre à quel point la filière du Libre est dynamique. Elle représente en effet 40 à 50 000 emplois en France, et la croissance de 20 à 30% de son chiffre d’affaires est bien supérieure à celle observée sur l’ensemble de la filière informatique.

Nous voulons aussi mieux faire comprendre les business models des acteurs de cette filière, car beaucoup ne comprennent pas comment on peut avoir une activité rentable grâce à des logiciels libres gratuits. Nous voulons globalement mieux nous faire connaître, pour éviter que l’on nous réduise à notre caricature de geeks barbus enchainant les hack partys.

Le CNLL doit aussi bien communiquer sur les avantages actuels du logiciel libre, car les avantages d’hier ne sont pas forcément ceux qui intéressent le plus aujourd’hui... Par exemple, les révélations de Snowden ont bien mis en évidence que les logiciels propriétaires facilitent l’espionnage. En conséquence, utiliser des logiciels libres, et donc auditables, apparait aujourd'hui comme un bon moyen de ne pas se faire espionner... Les sondages réalisés dernièrement montrent d’ailleurs que la sécurité et la transparence sont désormais cités parmi les avantages les plus attendus des logiciels libres, aux côtés de la réduction des coûts.

Il y a aussi deux arguments que l’on tient aussi à faire valoir. Le premier veut souligner à quel point les dernières innovations majeures sont toutes portées par des solutions open source, que ce soit le Big data, l’Internet des Objets, les réseaux sociaux d’entreprise, ou le hardware libre. Le deuxième argument tient à mettre l’accent sur les bénéfices apportés par l’interopérabilité des logiciels libres.

Reste à définir cette interopérabilité… C’est ce que cherche à faire la nouvelle version du "RGI", le Référentiel Général d'Interopérabilité, porté par la Disic, la DSI interministérielle, qui semble aller dans votre sens… Mais des contraintes seront-elles prévues dans le texte pour favoriser cette interopérabilité et le Libre au sein des administrations ?

Bien définir cette interopérabilité est en effet un enjeu important, car certains éditeurs peuvent essayer de faire croire que leurs solutions propriétaires sont interopérables...  Une première version du RGI avait d’ailleurs finalement été transformée, notamment à cause d’un lobbying de Microsoft, ce qui avait d’ailleurs donné lieu à des débats houleux. Au final, le document, très édulcoré, ne servait à rien, il avait été vidé de sa substance.

Depuis que François Hollande est président, il y a eu des avancées.

Aujourd’hui, la Disic propose une nouvelle définition qui va en effet dans le bon sens, mais je ne sais pas si le document final sera contraignant. Je ne crois pas que des pénalités seront prévues, et je ne pense d’ailleurs pas qu’il faille infliger des sanctions financières aux communes qui ne respecteraient pas cette interopérabilité... On ne veut pas en arriver là. Nous ne voulons pas imposer ainsi le logiciel libre, mais plutôt qu’il soit préféré "toutes choses égales par ailleurs", c’est-à-dire s’il remplit les mêmes fonctions attendues qu’un autre logiciel propriétaire. Nous allons en tout cas bien suivre cette nouvelle version du RGI, car le contexte est aujourd’hui différent comparé à celui de la sortie de la première version, et le gouvernement n’est d’ailleurs plus le même…

François Hollande avait pris plusieurs engagements concernant les logiciels libres lors de sa campagne présidentielle. Après 3 ans de mandat, ont-il été tenus ?

Il l’avait promis, et nous voulions plus de logiciel libre dans l’éducation. Or, cela a bien été débattu dans les deux projets de loi, que ce soit celui sur la refondation de l’école ou celui relatif à l'enseignement supérieur. Si la priorité au logiciel libre n’a finalement pas été retenue dans la loi de refondation de l’école, elle l’a bien été dans celle concernant l’enseignement supérieur. La loi sur l’enseignement supérieur fait d'ailleurs sans doute partie des victoires les plus marquantes de ces dernières années. Parmi les belles réussites, il y a également eu la circulaire Ayrault. Cette deuxième version du RGI est aussi bien partie. Reste à voir si elle ne sera pas édulcorée.

Après, sur la neutralité du net, c’est au niveau européen que cela semble se jouer, et il faut surveiller attentivement car le Conseil de l'Union européenne semble vouloir aller contre des efforts déjà entrepris qui allaient dans le bon sens. Quant à la brevetabilité des logiciels, tout est loin d’être parfait, mais la situation semble s’être calmée aux Etats-Unis, et il ne faudrait pas, avec ce mouvement de recul aux Etats-Uni,s que l’Europe n’aille pas dans la même direction. Depuis que François Hollande est président, il y a donc eu des avancés sur certaines des 10 propositions formulées par le CNLL en 2012.