Rachat de LinkedIn : quelle stratégie pour Microsoft ?

L'acquisition de LinkedIn, c’est un pas de plus dans la stratégie d’implantation de Microsoft en entreprises. Ce rachat est amené à étoffer l’offre de CRM du géant IT américain, et combler le vide de la dimension sociale et collaborative d'Office.

26,1 milliards de dollars : c’est le montant du rachat surprise LinkedIn par Microsoft. Surprise ? Pas totalement : ce n’est pas la première fois que le géant sort le chéquier. Souvenons-nous de l'acquisition de Skype en 2011 pour 8,5 milliards de dollars, plus récemment en 2014 de celle de la société Mojang (l’éditeur du jeu de briques Minecraft) pour 2,5 milliards de dollars, et enfin le retentissant rachat de la division mobile de Nokia en 2013 pour 5,5 milliards de dollars.

LinkedIn est l’une des premières pépites de la Silicon Valley : fondé en 2003, le service se targue, à fin 2015,  d’être utilisé par plus de 400 millions de membres dans le monde, dont 125 aux États-Unis, avec un CA a 3 milliards de dollars, ce qui en fait le premier réseau social d’entreprise dans le monde. Seul l’irréductible français Viadeo lui fait de l’ombre, mais soyons honnête, en France seulement.

Cette croissance, LinkedIn la doit à ses investissements pour rendre son modèle économique viable, en monétisant l’ensemble de ses services: offres d’emplois (Talent Solutions), contenus sponsorisés (Marketing Solutions) et abonnements LinkedIn Premium. Finalement, tout va bien pour LinkedIn ? Pour les investisseurs, la réponse est « peut mieux faire », à l’image d’un Twitter en perte de vitesse. Les investissements consentis par l’entreprise en R&D et rachats ont été lourds (à l’image de la start-up spécialisé en MOOC Lyndia racheté 1,5 milliard en 2015). De même, les actionnaires craignent une stagnation du marché du fait de la surconcentration du réseau social sur le sol américain.

C’est à ce moment que Microsoft frappe.

“Cloud first and mobile first”, et “company first” aussi

En 2014, Satya Nadella devient le nouveau CEO de l’ogre américain. Sa stratégie est en rupture avec celle de son prédécesseur, Steve Ballmer (désormais l’heureux propriétaire d’une franchise NBA). Après plusieurs échecs de ce dernier (l’incongrue Windows Vista, l’incompris Windows 8, le flop Windows Mobile et le rachat de Nokia), la réorientation de Microsoft est claire : « cloud first and mobile first ». Peu étonnant lorsque l’on sait que Satya Nadella est l’ancien vice-président de la branche Cloud & Entreprise. Cette stratégie se matérialise autour de 3 grands axes : le développement des services de cloud (avec Windows Azure, Dynamics CRM), l’unification des OS (PC / téléphone, et un peu Xbox) et le portage des produits phares du groupe sur les supports concurrents (dont la disponibilité de la suite Office sur iPhone est le meilleur exemple).

Pour Microsoft, les leviers de croissance ne sont plus sur l’utilisation du PC familial tournant sous Windows : avec 90% de part de marché, le secteur est saturé. Après avoir raté le tournant des réseaux sociaux (qui a dit Yammer ?) et du mobile grand public, Microsoft a décidé de miser sur les entreprises. Comme évoqué, le développement de la suite Office sur Android et iOS est fait avant tout pour séduire les entreprises et leurs besoins accrus de mobilité. La mobilité et flexibilité en entreprise, deux enjeux majeurs dans les prochaines années ? Peut-être. « Sûrement », vous répondrait cette fameuse et incomprise génération Y. La mobilité, Microsoft souhaite la pousser grâce à la réunification des OS maison sous un seul et même système, Windows 10.

Les rumeurs vont bon train depuis quelques temps, mais elles convergent toutes dans un sens : la prochaine gamme de mobile Microsoft serait résolument tournée vers l’entreprise, avec des caractéristiques techniques hors d’atteinte pour le portefeuille de monsieur Toutlemonde. Pourquoi ? Il s’agit simplement de transformer votre téléphone en PC miniature grâce au fameux (ou totalement inconnu) Mode Continuum. En connectant le téléphone à un écran (et un petit boitier), tous vos documents sont alors accessibles, les applications disponibles car conçus pour être utilisées dans les deux environnements. Vos outils de travail avec vous, partout.

Et LinkedIn dans tout ça ?

Le rachat de LinkedIn, c’est un pas de plus dans la stratégie d’implantation en entreprises. Ce rachat est amené, notamment, à étoffer l’offre CRM  du géant américain et son logiciel Microsoft Dynamics CRM et combler le vide de la dimension sociale et collaborative de la suite Office. Rappelons que la prise de risque est limitée pour Microsoft : en investissant massivement pour rendre son modèle économique viable, l’entreprise est désormais rentable (à l’opposé d’un Nokia qui était en total décrochage).

Pour LinkedIn et Dynamics CRM, l’utilité est toute trouvée : un enrichissement immédiat du profil des acheteurs et clients, une détection de nouveaux potentiels de vente. Compléter des offres de cloud, l’attaque sera frontale contre Salesforce.

LinkedIn et Office, c’est l’assurance pour Microsoft de connecter l’ensemble de l’entreprise, en utilisant votre profil comme identifiant unique sur ses services. En pleine rédaction d’un PowerPoint ? LinkedIn vous proposera du contenu en lien avec votre sujet (grâce notamment au progrès du Machine Learning), et vous suggèrera des collègues experts sur le sujet pouvant vous prêter main forte. En parcourant le profil de votre collègue, vous êtes intéressés : un appel Skype, une réunion Outlook, et le tour est jouer. Ceci, c’est Satya Nadella lui-même qui en parler dans son mail adressé aux salariés Microsoft pour justifier ce rachat. A défaut d’être maintenant, le changement est pour bientôt.

Toutefois, ne soyons pas totalement naïfs, Microsoft ne fait pas ça que pour rendre notre vie plus belle et plus simple. Acquérir LinkedIn, c’est mettre la main sur plus de 400 millions de données personnelles. Lier les utilisateurs d’Office à un profil, et le potentiel devient immense. A l’heure où la donnée est reine, où les informations se revendent à prix d’or, la richesse du réseau social combinée à l’omniprésence de Windows en entreprise risque de frapper fort. A quand des publicités ciblées sur son poste de travail ? Encore un peu de patience…. Mais promis, vous serez les premiers au courant.