Voiture autonome : quelle intelligence artificielle sous le capot ?

Voiture autonome : quelle intelligence artificielle sous le capot ? Quels défis techniques restent à relever pour aboutir à un véhicule à conduite 100% déléguée ? Cette perspective est-elle réaliste ? Où en sont les Français PSA et Renault ?

BMW, Ford, PSA, Renault, Toyota… Engagés dans une course contre la montre, tous les grands constructeurs automobiles investissent massivement la voiture autonome. Dans le sillage du Californien Tesla, la plupart proposent déjà des dispositifs intelligents d'aide à la conduite (ou ADAS). Mais on reste loin de la voiture 100% autonome. "Là, on parle de donner le permis de conduire à une IA et c'est une toute autre affaire", souligne Olivier Simonin, responsable de l'équipe de recherche INRIA/INSA Chroma, spécialisée sur la question. Les défis techniques à surmonter avant d'y parvenir sont encore colossaux.

De prime abord, les nouvelles technologies d'IA paraissent prometteuses face au défi de la voiture autonome. "Le deep learning est très performant pour résoudre des situations de navigation complexes", reconnait Vincent Abadie, responsable du véhicule autonome chez PSA. Pour gérer l'entrée d'une automobile sur un rond-point par exemple, un logiciel classique basé sur un moteur de règles aurait besoin d'un volume massif de lignes de code. Avec le machine learning, le système apprend à partir d'un corpus de cas de figure de circulation. Ensuite, sa matrice est généralisée pour faire face à des situations qu'il n'a pas encore rencontrées. Le tout par le biais d'une application infiniment plus légère. "Mais un réseau de neurones peut toujours se tromper, et surtout ses résultats ne sont en général pas explicables mathématiquement. Il pourra très bien décider dans de très rares cas de prendre un rond-point en sens inverse. Et ce sans qu'on soit capable de comprendre pourquoi", constate Vincent Abadie.

Aboutir à l'homologation d'une telle IA se révèle donc pour l'heure impensable. Les autorités de régulation et de certification ne peuvent raisonnablement pas apposer leur tampon sur un véhicule dont l'intelligence ne serait pas prédictible. "Les chercheurs investissent le sujet. La question est loin d'être tranchée. N'oublions pas non plus qu'un deep learning de qualité doit aussi s'appuyer sur un corpus d'exemples fiables et correctement annotés", insiste Olivier Simonin. Pour résoudre l'équation, le chercheur de l"INRIA/INSA entrevoit deux issues. La première : concevoir une IA redondante avec d'un côté un moteur de prise de décision à base de deep learning et, de l'autre, un système plus prédictible pour valider toute décision. "Ce dernier pourrait reposer sur un modèle probabiliste de type perception bayésienne", indique Olivier Simonin. Seconde solution avancée : réserver l'apprentissage profond à des tâches plus spécialisées. Une deuxième voie qui est clairement celle choisie par PSA.

"La conduite autonome pourrait rapidement s'appliquer à basse vitesse"

"Nous avons tendance à miser sur les IA de première génération qui ont fait leurs preuves et qui, elles, sont prédictibles telles les systèmes experts ou à base de logique floue. Pour l'heure, nous limitons nos développements en matière de réseaux de neurones à des domaines spécifiques, comme la reconnaissance de panneaux de signalisation pour gérer la régulation de la vitesse", confirme Vincent Abadie. Mais le responsable des véhicules autonome chez PSA le reconnait : "La technologie avance vite, y compris d'ailleurs autour des IA de première génération. Et côté deep learning, les constructeurs informatiques proposent désormais des systèmes de calcul haute performance capables de résoudre des scénarios de circulation complexes : traverser un rond-point ou une intersection, doubler un camion... "

L'ensemble des experts s'accordent sur un point : l'évolution des produits sera progressive. La conduite autonome, sans supervision, pourrait rapidement s'appliquer à basse vitesse, à moins de 60 km heure, dans des situations prédéfinies, tels les bouchons. Avec l'assistant Embouteillage disponible sur son XC90, Volvo a été l'un des premiers à s'engager sur cette voie.

Le Graal de l'homologation

Pour optimiser sa capacité d'innovation, PSA travaille main dans la main avec l'INRIA ainsi qu'avec Vedecom, institut français de recherche publique-privée dédié à la mobilité communicante et décarbonée. Ce dernier a été fondé en 2014 par les principaux acteurs français de la filière. On y retrouve PSA, Renault, mais aussi Valeo et Safran. Dès 2015, il parvient à réaliser une démonstration de voiture autonome dans les rues de Versailles où il est installé.

Depuis lors, le défi que s'est lancé Vedecom est d'aboutir au Graal de l'homologation. Pour le relever, l'institut mise sur deux projets. Le premier : une base de données de dizaines de millions de situations routières à risque. Pour la constituer, Vedecom a fait rouler une voiture bardée de capteurs sur 700 000 kilomètres à travers l'Europe. "L'idée est de proposer un référentiel étalon sur lequel s'appuyer juridiquement pour éprouver la qualité des véhicules à conduite déléguée via la simulation logicielle", précise Philippe Watteau, son directeur général. Olivier Simonin confirme : "Pour aboutir à l'homologation, la simulation permet de tester un prototype en le confrontant à des centaines de millions voire des milliards de cas de navigation. Ce qui est tout bonnement impossible en situation réelle."

Second projet porté par Vedecom : la mise au point de standards technologiques pour permettre aux futures voitures autonomes de communiquer avec leur écosystème. "La problématique est d'une part d'offrir la possibilité aux véhicules, quelle que soit la marque, d'échanger entre eux des données sur leur situation, leur position, leur environnement, en tenant compte de multiples capteurs (caméra, lidar, radar…). Et d'autre part de faire en sorte que les infrastructures routières puissent elles-aussi leur transmettre des informations, en vue par exemple d'anticiper un embouteillage, une situation météo gênante ou le passage au rouge d'un feu de signalisation", détaille-t-on chez Vedecom. Autres passerelles envisagées via ces standards : des interactions avec les caméras de surveillance urbaines pour détecter la présence de travaux sur la voirie ou identifier un incident. Ou encore avec les réseaux télécoms pour repérer les piétons ou cyclistes, même si ces derniers sont invisibles (à une intersection), en identifiant la signature de leur smartphone. "Un protocole wifi standard dédié à la voiture autonome a déjà été élaboré pour gérer les échanges entre systèmes", rappelle Olivier Simonin.

La délicate question du dilemme moral

Reste une question sans réponse. Celle du dilemme moral. Si une IA doit décider entre éviter d'écraser un piéton mais emboutir une moto... ou l'inverse, que devra-t-elle choisir ? "Certes ce dilemme se pose aussi à l'humain. Mais ce qui est toléré chez l'humain ne l'est pas chez un robot", argue Olivier Simonin. Et Vincent Abadie chez PSA de conclure : "Tout l'enjeu sera de démontrer, notamment via des études statistiques, que la voiture autonome sera plus sûre que l'humain."