Humain, machine et stratégie, ou comment la technologie va (et ne va pas) faire évoluer votre stratégie d’entreprise

L’innovation technologique va-t-elle remplacer l’humain dans l’entreprise ? Cette question suscite encore beaucoup d’inquiétudes quant à l’avenir de la relation entre nous, la machine et la stratégie d’entreprise. Si adopter un certain scepticisme est sain lorsque l’on se situe au cœur des problématiques métier, il est temps d’évaluer la mise en pratique de ces innovations, dont le potentiel est immense.

Coupons court à une idée reçue : l’obsolescence de l’humanité face à la machine est encore de la science-fiction. Plutôt qu’une intelligence artificielle autonome, consciente et entièrement robotisée, c’est un outil analytique de soutien à l’intelligence humaine qui s’est fortement développé. La machine s’occupe aujourd’hui de tâches répétitives et à valeur ajoutée modérée, là où l’humain a le monopole des tâches intellectuelles et décisionnelles. Elle s’inscrit dans la longue continuité du développement technologique en marche depuis toujours, plutôt que dans une révolution sans précédent, la seule différence majeure étant que ce sont désormais des tâches « de bureau » qui deviennent automatisables. Le défi majeur qui se présente n’est donc pas sans précédent : l’accompagnement des personnes directement impliquées par l’introduction de ces innovations pour leur permettre de faire évoluer, voire changer leur métier, et la gestion de leur acceptabilité de la machine.

Cette problématique d’acceptation n’est pas seulement locale, au niveau des travailleurs qui devront exploiter ces innovations, mais aussi sociétale. Comment attribuer la responsabilité des conséquences des actions prises par une entité qui n’est pas humaine ? Ici, la question n’est pas de savoir si la machine est dangereuse, mais de déterminer comment résoudre les problèmes qu’elle peut causer si elle le devient. Les sociétés humaines et leurs lois n’évoluent pas à la même vitesse que le progrès scientifique ; la loi n’accorde pas encore de statut spécifique à une machine, aussi intelligente soit-elle. Lui en créer un statut nécessiterait un débat de grande ampleur, sans précédent depuis l’émergence du concept de personne morale au XIXe siècle.

Une autre difficulté à soulever, indépendante de la limite d’acceptation, est la compatibilité de ces innovations avec les modus operandi des systèmes humains. Une de leur particularité réside dans leur malléabilité, leur flexibilité et la tolérance des imperfections, trois caractéristiques dont la remise en cause serait hautement discutable d’un point de vue éthique. Enfin, le fort besoin de comprendre l’implicite et les suggestions empêcherait toute mise en place non maîtrisée de ces outils. Un grand nombre de tâches, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans des tâches professionnelles, sont exécutées sans même connaître consciemment les étapes nécessaires, et en improvisant devant des circonstances imprévues. Les machines n’imaginent pas ; elles appliquent uniquement en fonction des expériences passées, sans questionner le présent ou anticiper le futur.

Connaissant les possibilités réelles des systèmes dits intelligents, comment les mettre en œuvre ? Regarder le quotidien des experts de l’analyse de données permet de comprendre assez vite que le travail effectué, de la modélisation de données à l’écriture des solutions algorithmiques, est systématiquement en proie à la même tâche chronophage : la préparation des données. Tous les systèmes vantés par leur marketing comme pouvant interagir avec de la donnée brute, ont bien souvent chacun leur propre définition de « brute » et consistent principalement à faire en sorte que cette donnée se conforme d’une manière ou d’une autre à leur modèle, sans forcément chercher à corriger les erreurs conceptuelles et les effets de bords qui pourraient en découler. Ensuite, une fois le système implémenté et en état de fonctionnement, il faut toujours garder à l’esprit qu’il n’est pas là pour penser, mais pour appliquer (d’une manière plus raffinée qu’avant, certes). Il s’agit donc de comprendre comment fonctionnent ces systèmes afin de correctement les utiliser.

C’est donc l’alchimie dans la collaboration entre homme et machine qui permettra de faire levier sur le pouvoir cognitif des experts et les capacités propres à l’humain : la créativité, la sagesse, l’expertise, l’empathie, l’intelligence sociale, le raisonnement symbolique, le traitement de l’ambiguïté, etc. Ces qualités sont les sources d’une prise de décision pertinente et assurant la croissance d’une activité. Pour une entreprise qui souhaite innover afin de s’inscrire dans ce nouveau modèle, la recette est simple : trouver le bon équilibre entre stratégie, transformation et analyse de données. La stratégie indique quoi faire, la transformation cherche auprès l’analyse de données quoi mesurer, cette dernière apporte les réponses plus rapidement, et plus scientifiquement qu’auparavant. Dans le sens inverse, la stratégie pose des questions à l’analyse de données, qui donne une visibilité à la transformation pour enfin indiquer comment opérer. Les trois entités doivent communiquer et être en feedback permanent les unes envers les autres.

Enfin, l’impact sociétal et humain n’est pas à négliger. Si la présence des innovations au sein des C-level et des managers restera modérée, elle deviendra majoritaire voire totale en bas de l’échelle, ce qui aura des conséquences encore difficilement mesurables à l’heure actuelle. Mais globalement, le futur de la technologie et des innovations est optimiste, à condition qu’elles soient correctement appréhendées. Rien ne sert d’investir des sommes considérables dans une technologie comme l’IA sans clairvoyance et sans approche stratégique ; c’est adopter la bonne approche qui en libèrera tout le potentiel.