(Pourquoi) Il est temps de moderniser les forces de l'ordre et la justice

Utile au quotidien des villes, la caméra de surveillance est un secteur en pleine expansion. Elle s'accompagne de logiciels pour analyser, anonymiser et faciliter le partage de vidéos, des policiers aux juristes, tout en assurant leur traçabilité.

Ces dernières années, les innovations technologiques en tous genres ont envahi l'ensemble des industries, et notre vie quotidienne. Adieu cartes routières, bonjour GPS ! On n'envoie quasiment plus de lettres postales mais des emails, des textos, des "snaps". On utilise des logiciels pour concevoir puis construire des produits, changer une ligne de production, pour tester la réaction d'un produit à son environnement… En France, les forces de l'ordre et la justice sont encore très peu concernées.

Le marché de la vidéo-surveillance innove

Utile au quotidien dans les villes, la caméra de surveillance est également un secteur en pleine expansion. De taille réduite et de plus en plus précises, les caméras peuvent maintenant se fixer partout : sur les voitures, les uniformes, les casques, les murs de la ville… Ce qui explique les quelque "60 000 caméras de surveillance sur l’ensemble du territoire national" dénombrées par Hakim Abdelkhalek (journaliste chez France Télévisions).

La technologie n’est pas seulement utile pour réduire la taille, augmenter la résolution et faciliter l’introduction des caméras de tous types dans les villes. En effet, il est d’ores et déjà possible aujourd’hui d’activer automatiquement des caméras-piétons lorsqu’une situation à risque se dessine. Dans le cadre d’une utilisation par des policiers, un accessoire attaché à l’étui de l’arme à feu a été mis au point, activant automatiquement les caméras-piétons dans un rayon de 9m lorsque l’arme est retirée de son étui ou lorsqu’un Pistolet à Impulsion Electrique TASER est mis en route. Les séquences présentes sur la mémoire tampon sont enregistrées (jusqu’à 2 minutes avant l’activation automatique) avec une autonomie supérieur à 12h, les preuves vidéo, avec des performances audio avancées, sont ainsi à disposition des forces de l’ordre quand les agents rentrent au poste.

Cependant la presse se fait écho de sérieux dysfonctionnements des caméras-piétons dont sont dotées nos policiers actuellement, notamment en termes de batterie et de fixations. Notamment le Canard Enchaîné, dans son article "Dix mille caméras anti-bavures au placard" publié le 22 janvier 2020. Ce dernier a d’ailleurs été repris par CNews ou encore L’Obs.

Les logiciels, outils clés de la protection des bases de données

Qu’il s’agisse des caméras piétons, des caméras embarquées ou des caméras de salles d’auditions, le plus important est finalement de gérer au mieux les images et sons qui sont captés. C’est pourquoi les logiciels de gestion de ces vidéos sont un incontournable. En effet, il ne s’agit pas seulement de capter et stocker les images, il est nécessaire de pouvoir les traiter, les analyser, les anonymiser, et faciliter leur partage entre les différents postes, mais également entre les différents services : des policiers aux juristes, tout en assurant une parfaite traçabilité. Il existe des logiciels qui permettraient aux forces de l’ordre de ne plus avoir recours ni aux supports physiques (DVD…), ni de devoir se déplacer pour récupérer ces vidéos, et donc passer plus de temps sur le terrain. La gestion et le partage des preuves deviennent plus simples et efficaces.

La traçabilité des modifications, des ajouts et des suppressions au sein de la base de données est essentielle et bien prise en compte par les fournisseurs de solutions. Rattacher les actions effectuées à un individu identifié permet de limiter le risque d’altérations. Du moins, elles ne peuvent plus se produire sans conséquences puisque les logiciels de gestion des preuves numériques enregistrent l’action dans le journal de bord.

La gestion des niveaux d’autorisations est un autre facteur clé pour accroître encore l’efficacité des logiciels. Autorisation de lecture, de modification, de suppression… l’attribution des droits à des individus en fonction de critères comme leur position hiérarchique, par exemple, est un atout de plus sur lequel les acteurs de la sécurité doivent s’appuyer s’ils veulent sécuriser les séquences, à l’interne comme à l’externe.

Cependant la question du stockage des données est un facteur de préoccupation :

  • Les datacenters en Europe garantissent-ils bien la sécurité des données des policiers français ?
  • Utiliser des solutions de fournisseurs de Cloud internationaux, comporte-t-il plus de risques ?
  • A quel niveau de sécurité doit-on considérer qu’une donnée vidéo doit-elle être stockée ?
  • Comment continuer à gérer un flux de vidéos de plus en plus important sur des serveurs locaux ?

De nombreux acteurs de la cybersécurité sont capables de répondre à ces problématiques en gérant l’accès aux fichiers sensibles ou en les isolant des réseaux non sécurisés… Mais cela ne suffit pourtant pas à rassurer les acteurs de la sécurité publique en France, l’appel d’offres en cours sur un cloud d’Etat permettra-t-il une accélération de la modernisation des outils ?

Dans le secteur privé, les entreprises en sont bien conscientes et ont pris des mesures en ce sens. L’accès aux documents, le partage entre entités, l’envoi vers les partenaires ou les clients… Tous et toutes utilisent ainsi le cloud aujourd’hui.

Dans le secteur public, Microsoft et Amazon Web Services ont annoncé avoir obtenu la certification en tant qu'hébergeur de données de santé.

Peut-être est-il temps pour les forces de l’ordre et la justice de se moderniser en travaillant dans la suite logique de l’annonce faite début 2018 d’une équipe commune Police-Justice pour mettre en place la dématérialisation de la procédure pénale ?

Les pratiques collaboratives, un outil délaissé en France

Au Royaume-Uni, la police a mis à disposition des citoyens un site internet, Police.uk, leur permettant d’enregistrer eux-mêmes les infractions dont ils sont témoins. Ainsi, des vidéos anonymes peuvent y être postées, et donc aider la police à faire son travail. Toute la population étant concernée par l’incivilité, chacun peut enfin agir en toute légalité pour enrayer les mauvaises pratiques. Cette implication des citoyens est un exemple à observer et, pourquoi pas, à reproduire en France ?

Le "big data de la tranquillité publique", expérience ponctuelle ou amorce d’un changement plus généralisé ?

La démocratisation du big data et de l’IA ont permis à une nouvelle forme de prévention de voir le jour, bien en amont de la gestion des preuves. Le projet "big data de la tranquillité publique" a ainsi été mis en place à Marseille en 2018. Son objectif est de collecter des informations en masse afin de prévenir un maximum de délits.

Ce centre de contrôle réunit toutes les données collectées par la police municipale depuis 10 ans, la programmation événementielle en cours, les rapports des marins-pompiers et les informations des opérateurs téléphoniques, de la Régie des Transports Métropolitains (RTM)… L’algorithme part de ces données pour calculer un indice de risque pour la sécurité publique. Ainsi, une fois les zones à risque identifiées, la police municipale peut y déployer des dispositifs de protection ou de dissuasion.

Ce type d’outil est précieux pour les forces de l’ordre car il permet une analyse complète et surtout une prévention optimale au sein de l’espace public. La gestion des données s’insère donc dans le quotidien des villes et des forces de l’ordre pour créer une smart city plus sécurisée. Il ne reste plus qu’à s’assurer que les algorithmes soient bien en conformité avec les prérogatives de la CNIL.

Cependant, il faut faire attention à l’utilisation abusive de la technologie dans le cas de la vidéo-surveillance et de la reconnaissance faciale. Pourquoi ? Car les données biométriques sont classées comme données sensibles au sens de la législation en matière de protection des données, au même titre que des données de santé ou des opinions politiques. Même si les données biométriques sont présentes dans cette catégorie depuis peu, la RGPD et la directive "police justice" ont modifié leur statut pour attirer l’attention sur les risques que soulèvent leur traitement. Il est donc interdit de collecter les données biométriques de la population sans un accord préalable des individus concernés.

Ces préoccupations sont au cœur de nombreuses réflexions chez certains professionnels de la vidéosurveillance ou de la sécurité. C’est notamment le cas de Rick Smith, fondateur de la société Axon (précédemment TASER), dans son ouvrage The End Of Killing (2019).

In fine, les forces de l’ordre devraient capitaliser sur des logiciels performants qui pourraient leur permettre de passer plus de temps sur le terrain, de manière plus sécurisée, et en réduisant le temps consacré à des tâches administratives. De plus, si les logiciels sont un avantage indéniable pour traiter des rapports et la gestion des preuves, l’utilisation de la data peut également améliorer l’équipement lui-même et les armes à disposition des forces de l’ordre.

Ces outils sont déjà utilisés et maîtrisés à l’étranger. Face à ce bilan, il semble nécessaire et urgent d’ouvrir le débat sur l’équipement des forces de l’ordre et de la justice.