"Le logiciel dévore le monde" : un siège au banquet pour les mainframes !

L'efficacité reconnue des grands systèmes va de pair avec une limite : ils sont technologiquement obsolescents, complexes et lourds à maintenir. D'où la nécessité d'évoluer vers des architectures à base de microservices, évolutives et agiles.

En 2011, Marc Andreessen, père du légendaire navigateur internet Mosaic et co-fondateur de l'illustre Netscape, fait le buzz avec la sortie de son article, devenu très célèbre, dans le Wall Street Journal : " Pourquoi le logiciel dévore le monde ". Il y affirmait : " ma théorie personnelle est que nous nous trouvons à l'aube d'un bouleversement massif et vaste, dans lequel les sociétés logicielles sont destinées à prendre le contrôle de larges pans de l'économie ".

Les huit années qui ont suivi ont démontré combien il pouvait avoir raison ! En 2011, Uber n’était qu’une jeune pousse de 2 ans et Airbnb son aîné de seulement une année. Le tandem était encore à peu près inconnu du grand public ! Neuf ans plus tard, ces deux sociétés ont fondamentalement chamboulé deux industries majeures dans lesquelles elles sont actives : taxi, hôtellerie et hébergement, au point d’entraîner des modifications de multiples législations nationales. Et ce, sans posséder le moindre véhicule ou la moindre chambre ! Elles ne s’appuient plus du tout sur des actifs matériels à forts besoins capitalistiques : elles ont atteint leur position stratégique de point de passage obligé sur leur marché uniquement grâce à des plateformes logicielles très sophistiquées, présentes sur tous les canaux digitaux (mobile, internet, etc.) et hébergées dans le cloud

Aujourd’hui, les fintechs suivent cette trace pour essayer d’atteindre la même position sommitale dans l’industrie financière : elles cherchent à remplacer les services des agences bancaires du monde réel par des applications en ligne (mobiles le plus souvent) très riches en service et efficaces à utiliser.  Pas besoin de poursuivre ici l’énumération avec Amazon et les pans entiers du commerce de détail que la firme de Jeff Bezos a fait basculer vers l’internet, grâce à son incroyable plateforme logicielle, et avant de permettre à d’innombrables start-up de se régaler à ce festin du logiciel par ses services cloud AWS !

Dans son article, M. Andreessen étaie cet aboutissement économique et social : cette révolution logicielle est le résultat de progrès parallèles sur plusieurs décennies dans les industries du logiciel, du matériel et des télécommunications avec l’ubiquité du haut débit et des services mobiles à haut débit qui ont contribué à un internet omniprésent à tous les instants de notre vie quotidienne.

Il écrit également que "les sociétés dans toutes les industries doivent présager qu’une révolution logicielle va avoir lieu (dans leur secteur)". Il avait totalement raison : en 2020, nous devons tous admettre que cette révolution a eu lieu ou est en cours – suivant les industries. On la nomme souvent “transformation digitale” d’ailleurs ! Cette dernière résulte de son autre prédiction parfaitement valide elle aussi : celle du "combat épique des acteurs dominants historiques les opposant à l’insurrection des pure players du logiciel". Ce combat se déroule actuellement sous nos yeux !

Les entreprises dont le cœur stratégique de leur système informatique repose le plus souvent sur du mainframe, se comptent clairement parmi les rangs des acteurs dominants historiques : ils sont présents depuis bien longtemps sur leurs marchés respectifs avec une longue histoire (parfois tumultueuse) autour de leur mainframe, sur lequel fonctionnent les applications certes historiques mais toujours critiques au métier. L’efficacité reconnue de ces systèmes va de pair avec une limite : ils sont technologiquement obsolescents, complexes et manquent d’agilité.

Il faut donc aider ces acteurs historiques à prendre place à la table de ce "banquet logiciel" afin qu’ils gardent un rôle significatif !

Quelle que soit l’époque, les transformations économiques ou industrielles passées, présentes et certainement futures, la capacité à survivre et à prospérer repose essentiellement sur l’innovation !

La question suivante est alors bien sûr : comment une société peut-elle innover sur marché numérique, défini par le logiciel ? La réponse est simple : en basant son architecture informatique fondamentale sur une plateforme permettant la mise en production à très haute fréquence de nouvelles versions de ses applications. En effet, cette approche permet aux utilisateurs et clients d’utiliser rapidement les nouvelles fonctions disponibles, et donc d’en tirer le meilleur parti pour continuer à les utiliser face à celles des concurrents ! Ces nouvelles fonctions incarnent intrinsèquement l’innovation dans un monde numérique et logiciel.

Amazon est le fer de lance de cette approche : le géant du commerce publie chaque seconde, 24 heures par jour et 7 jours par semaine, des nouvelles versions de ces composants logiciels. Bien sûr, ce ne sont pas des mises à jour massives mais plutôt des ajouts fonctionnels limités et incrémentaux, petits pas vers des transformations significatives à moyen terme. Cette pratique est très différente des nouvelles versions plus massives, traditionnellement "mise en production" à un rythme trimestriel – voire plus lent – sur les systèmes de type mainframe. Mais avec 7,5 millions (3’600 x 24 x 30 x 3) de modifications finalement réalisées, Amazon produit à coup sûr au moins autant d’innovation – voire beaucoup plus – que celle des versions trimestrielles monolithiques, même si chaque changement est intrinsèquement à peine perceptible.

Cette stratégie d’évolution très incrémentale réussit à tous les grands acteurs de notre monde désormais digital : Amazon, Google, Facebook, Twitter, Netflix, etc. Ils innovent en permanence pour rester "échappés devant le peloton" et le font grâce à des mises en service ultra-fréquentes de nouvelles versions des logiciels de leur plateforme de services.

Mais, la même agilité informatique ne surgira pas brutalement et sans effort pour les sociétés historiquement en place sur leur marché : elle est le fruit de la mise en place d’une architecture informatique sous-jacente, méticuleusement conçue et implémentée, de laquelle résulte cette agilité logicielle extrême. Toutes les sociétés précédemment citées s’appuient sur une conception très similaire de leur système de base : une myriade de containers logiciels hébergeant indépendamment, à travers des microservices, les divers composants de leur application. Ces microservices collaborent étroitement pour rendre le service global attendu par le client. "Diviser pour régner" est clairement la stratégie gagnante de ces leaders.

Cependant, que l’on ne s’y trompe pas, cette architecture n’a le plus souvent pas été choisie ex nihilo. Durant leur croissance, ces acteurs en devenir ont réalisé que leur architecture logicielle monolithique initiale allait devenir leur fossoyeur en les paralysant dans leur course à l’innovation. Ils ont donc massivement transformé leur système initial – parfois à très grands frais – pour aller vers une architecture "100% microservices" qui leur confère toute la souplesse nécessaire à des avancées rapides leur permettant de régner dans « l’arène numérique ».