La visio au secours de la Justice ?

Retour sur les outils numériques mis en œuvre ou à mettre en œuvre pour porter secours à la Justice, service public dont la poursuite est essentielle à la Nation et qui a été durement paralysée par l'épidémie Covid-19.

Pour préparer le déconfinement qui débutera vraisemblablement le 11 mai, le gouvernement lance 17 chantiers prioritaires pour faire redémarrer l’Economie et les services de l’Etat, tout en limitant la propagation du virus. Aucun ne semble concerner à ce stade la Justice, service public pourtant régalien et que l’on sait déjà largement engorgé. Le Conseil National des Barreaux s’est déjà saisi de son "bâton de pèlerin" pour s’assurer notamment de la mise en place d’un plan de résorption des délais dans les tribunaux.

Retour sur les outils numériques mis en œuvre ou à mettre en œuvre pour porter secours à la Justice, qui a été frappée de plein fouet, comme la plupart des autres services publics, par l’épidémie COVID 19

Afin d’assurer la continuité du service public de la Justice, le gouvernement a, dans le cadre de l'application de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie,  immédiatement autorisé les juridictions à tenir leurs audiences par visioconférence ou à défaut par toute autre moyen de télécommunication[1].  La Garde des Sceaux a précisé lors de son audition par la commission des lois du Sénat le 9 avril dernier que 2 000 matériels de visioconférence avaient d’ores et déjà été installés au sein des juridictions[2].

En pratique, la décision de recourir à la visioconférence est laissée à l’appréciation de chaque chef de juridiction et ne semble trouver application, en matière civile et commerciale, que pour les affaires déjà en cours. En matière pénale, si les magistrats semblent avoir davantage recours au système de la visioconférence, c’est semble-t-il pour statuer sur des mesures de privation de libertés, privation justifiant que des visio-audiences s’organisent avec le prévenu à la maison d’arrêt sans attendre le retour des audiences présentielles.

Les conditions de sa mise en œuvre ne sont pas forcément aisées en ce que les principes fondamentaux de la justice doivent être crucialement respectés : le juge, en présence "distanciée" de son greffier, doit en effet essentiellement s’assurer lors de la tenue de la visio-audience,  (i) de l’identité des parties, (ii) du respect des droits de la défense par la présence notamment des conseils des parties, un temps de débat pour chaque partie, voire la présence  d’un interprète (en cas de partie étrangère), (iii) de la qualité de la transmission et (iv) de la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. Aucun moyen pour y parvenir n'a été précisé par les textes précités. Pour autant, l'on sait déjà que la solution mise en place au sein des juridictions est une solution qui a été certifiée par l'Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d'information (ANSSI), permettant l'identification des parties, la confidentialité et la sécurisation des échanges.

Des référés toujours possibles en audience présentielles, des juges d’ores et déjà saisis par assignation dématérialisée

Enfin, outre la mise en place des visio-audiences, des audiences de référés peuvent toujours être tenues dans la plupart des tribunaux de commerce, en cas d’urgence caractérisée. L’appréciation du caractère d’urgence devra être préalablement validée par le juge saisi par voie de requête en référé d’heure à heure.  De la même manière, la majorité des tribunaux de commerce peuvent, dès à présent, être saisis par voie d’assignations dématérialisées, ce procédé permettant de faire inscrire son affaire avant la fin du confinement.

A l’heure du tout digital devenu impérieux par cette épidémie et où les échanges à distance se sont généralisés, il est plus que souhaitable que la Justice, qui fait partie des activités dont la poursuite est essentielle à la Nation, mette rapidement en musique l’ensemble des moyens numériques disponibles évoqués.

[1] Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété ; Circulaire de présentation n° CIV/02/20 du 26 mars 2020.

[2] Source

Chronique de Claire Poirson, Frédéric Flatrès, associés, et Mathilde Cousteau, counsel, avocats au Barreau de Paris, Cabinet Bersay