Numérique responsable : encore un effort pour être (vraiment) vert

Présenté début octobre, le manifeste Planet Tech' Care, une initiative en faveur d'une technologie responsable lancée par le Syntec Numérique, a déjà réuni les signatures d'une centaine d'acteurs IT français, dont celle d'Axionable.

Il n’y a rien à redire aux constats et aux engagements énoncés par le manifeste Planet Tech' Care lancé par le Syntec Numérique, et l’on ne peut que se réjouir que l’écosystème ait massivement répondu à cet appel. Cette prise de conscience s’imposait tant les données sont implacables. La consommation énergétique liée aux usages du numérique croit au rythme vertigineux et insoutenable de 9% par an, causant des émissions de gaz à effet de serre désormais supérieures à celles du transport aérien (1). À lui seul, le streaming vidéo représente l’équivalent des émissions de l’Espagne (2). Et le monde croule sous les déchets électroniques (53 millions de tonnes en 2019), dont plus de 80% échappent aux filières de recyclage (3).

Pour ceux que ces chiffres ne suffiraient à émouvoir, les aiguillons se multiplient de toutes parts. Du côté des pouvoir publics avec des rapports de plus en plus insistants tels que ceux du Conseil national du numérique (4) et du Sénat (5), qui pourraient préfigurer un renforcement de la règlementation. Du côté des entreprises clientes, dont les appels d’offres accordent une place grandissante aux critères sociétaux et environnementaux. Et du côté des diverses parties prenantes – collaborateurs, partenaires, investisseurs… – de plus en plus attentives à ces questions.

Dans ce contexte, l’idée de simples manifestes apparaît un peu courte. Il est nécessaire de donner des objectifs chiffrés, d’aller plus loin que de vagues bilans et fixer des échéances, de détailler les actions à mettre en place.  L’urgence exige d’aller beaucoup plus loin que les déclarations d’intention, aussi sincères soient-elles. Ne pas prendre dès aujourd’hui le sujet à bras-le-corps, c’est repousser les mesures concrètes au mieux à 2022 et leurs bénéfices à plus tard encore.

Mais il faut reconnaître que les freins au verdissement du numérique restent forts. On peut en citer principalement trois. Le frein culturel, d’abord. Alors que l’industrie est sensibilisée de longue date aux risques et aux impacts environnementaux, l’IT les découvre à peine et n’en fait pas encore une priorité. Ainsi, les responsables RSE ont rarement leur mot à dire dans les politiques d’équipement informatique ou les spécifications des projets IT. De même, le numérique n’a dans les déclarations de performance extra-financières des entreprises qu’une présence minimale, souvent au travers d’actions ponctuelles et presque jamais sous forme d’indicateurs globaux, suivis d’année en année.

Le deuxième frein découle du modèle même du secteur, qui vit au rythme de l’innovation perpétuelle. En soi une source de pollution, avec l’accumulation accélérée d’équipements obsolètes, cette course effrénée oblige à remettre sans cesse l’ouvrage environnemental sur le métier, complique les analyses d’impact et rend plus difficile l’amortissement des mesures les plus coûteuses.

Enfin, le troisième frein est celui de la dispersion des responsabilités. Du fabricant de semi-conducteurs à l’utilisateur final d’une application, les impacts environnementaux se partagent en une multitude d’acteurs tout au long du cycle de vie d’innombrables composants matériels et logiciels. Quand c’est un peu la faute de tout le monde, ce n’est la faute de personne, surtout quand les impacts sont invisibles et/ou incontrôlables. Qui peut dire, en jouant sur son mobile, quelle est la performance énergétique du serveur qui exécute le programme ?

Ces écueils ne sont pas rédhibitoires, mais ils expliquent pourquoi les appels à la sobriété numérique ont jusqu’à présent trouvé si peu d’écho en dépit des économies qui en découlent. Et ils plaident pour une approche qui soit à la fois collective – ce qu’initie Planet Tech’ Care – et vigoureuse, c’est-à-dire basée sur des indicateurs clairs, des objectifs contraignants et des échéances ambitieuses.

Des indicateurs clairs ? Il en existe déjà, comme ceux que développent l’Institut du numérique responsable ou le Shift Project, mais il serait souhaitable que l’ensemble du secteur s’accorde sur un référentiel unique qui permettrait à chacun de se comparer et de progresser. Des mesures concrètes ? Le CNNum en préconise 50. Des objectifs contraignants ? Pourquoi ne pas tout simplement aligner les ambitions de l’IT sur celles de l’entreprise ? Des échéances ambitieuses ? Cessons de repousser davantage l’action car rien ne justifie d’attendre plus longtemps. La France est même plutôt en avance sur ce sujet et ce pourrait être, pour notre écosystème, un atout différenciant qu’il serait dommage de ne pas cultiver.

Comme le montrent les débats actuels sur la 5G, la société nourrit une défiance grandissante des vis-à-vis de la technologie, notamment en raison de l’opacité sur ses impacts. Pour ne pas risquer un rejet susceptible de briser sa dynamique d’innovation, le secteur se doit non seulement d’agir, mais aussi d’apporter des preuves tangibles de son action. Ou bien toutes les initiatives, aussi louables soient-elles, finiront par être taxées de Green IT Washing.

(1) The Shift Project, Pour une sobriété numérique, 2018.

(2) The Shift Project, Climat : l’insoutenable impact de la vidéo en ligne, 2019.

(3) UIT, Global E-waste Monitor, 2020.

(4) Conseil national du Numérique, Feuille de route sur l’environnement et le numérique, 2020.

(5) Rapport de la mission d’information du Sénat sur l’empreinte environnementale du numérique, 2020.