L'informatique quantique va-t-elle sauver la planète ?

L'informatique quantique va-t-elle sauver la planète ? Microsoft entrevoit une solution pour régler le problème du réchauffement climatique : s'appuyer sur les supercalculateurs quantiques en vue d'industrialiser la captation directe de CO2 dans l'air et sa conversion à la volée en carburant.

Microsoft, IBM, Google, et plus récemment Amazon. Les géants du numérique s'engagent les uns après les autres dans la course à l'informatique quantique. Et pour cause. Taillé pour traiter les calculs au niveau atomique, un processeur quantique double sa puissance de calcul à chaque nouveau qubits (ou quantum bits). La promesse ? Traiter en quelques secondes un calcul demandant plusieurs milliers années à un supercalculateur traditionnel. De nombreux domaines pourraient en bénéficier : intelligence artificielle, chiffrement, météorologie, modélisation... Mais pour que la vision se concrétise, il faudra d'abord créer des qubits suffisamment stables. Selon les spécialistes du domaine, ce ne serait plus qu'une question d'années. Du coup, les R&D se mobilisent pour préparer le grand saut, et anticipent déjà la prochaine étape : l'élaboration d'applications quantiques. Et à ce jeu-là, Microsoft entend faire la course en tête. Parmi ses projets, l'entreprise compte notamment sur l'informatique quantique pour développer un catalyseur visant à capter massivement dans l'air le principal gaz à effet responsable du réchauffement climatique : le dioxyde de carbone.

Objectif : le zero emission

"Microsoft s'est engagé, à partir de 2030, à capturer l'ensemble du CO2 qu'il a émis dans l'atmosphère, de manière directe ou indirecte, depuis sa création en 1975, avec comme date butoir 2050. Tenir cet engagement de zero emission implique évidemment d'inventer des technologies qui n'existent pas encore", reconnait Bernard Ourghanlian, directeur technique et sécurité de Microsoft France (lire le post officiel). Pour relever ce défi, le groupe a créé en 2020 un fonds de 1 milliard de dollars dédié aux technologies dites d'émission négative, ciblant aussi bien la séquestration de carbone dans le sol que les bioénergies. Sachant que l'éditeur n'a pas attendu le coup d'envoi de cette stratégie pour avancer. Via sa R&D dédiée à l'informatique quantique (Microsoft Quantum), il planche depuis plusieurs années déjà sur un algorithme quantique taillé pour concevoir un catalyseur capable de convertir à la volée le CO2 présent dans l'air en eau et en hydrocarbure.

"Quand il s'agit d'assembler une nouvelle molécule à partir d'atomes un peu compliqués, même les supercalculateurs actuels les plus puissants ne peuvent en venir à bout"

Problème, cette catalyse pour être réalisée implique de résoudre l'une des plus célèbres équations de la mécanique quantique : l'équation de Schrödinger. "Quand il s'agit d'assembler une nouvelle molécule à partir d'atomes un peu compliqués (situés à droite de la classification périodique de Mendeleïev, ndlr), même les supercalculateurs actuels les plus puissants ne peuvent en venir à bout", reconnait Bernard Ourghanlian. D'où le projet de Microsoft de faire appel à l'informatique quantique. Et Bernard Ourghanlian de préciser : "Nous avons développé un algorithme quantique qui revient à résoudre cette équation. Nous avons décidé de l'appliquer au ruthénium. C'est un métal de transition qui permet de réagir avec les molécules de CO2 et d'hydrogène pour produire de l'eau et du méthanol (un alcool liquide, ndlr)." Microsoft Quantum a publié conjointement avec l'École polytechnique fédérale de Zurich un article qui détaille l'algorithme en question.

"Ce catalyseur nous paraît prometteur à la fois en termes d'efficacité, mais aussi de coûts, le ruthénium étant présent dans la nature en suffisamment grande quantité", commente Bernard Ourghanlian. "Quant au méthanol, il est utilisable comme carburant."

Un projet unique

Quelles formes pourraient prendre le catalyseur de CO2 envisagé par Microsoft ? "On imagine par exemple de fabriquer une peinture composée d'un dérivé de ruthénium, qui serait applicable sur la surface des immeubles pour capter et stocker le CO2 dans les villes. Ce procédé implique néanmoins de remplacer cette peinture à intervalle régulier (pour récupérer le méthanol, ndlr)", confie Bernard Ourghanlian. Autre piste évoquée : récupérer le CO2 directement à la source en installant des catalyseurs dans les villes, sur les pots d'échappement des voitures ou sur les parties arrières des réacteurs d'avion. "Il s'agit là de pistes de travail. Microsoft n'a pas pour vocation de fabriquer ce type d'équipement. Les industriels de la chimie sont beaucoup mieux placés", argue Bernard Ourghanlian.

"Le sujet nous parait tellement important qu'on ne peut pas s'inscrire dans une logique où seul le profit nous motiverait"

Force est de constater que Microsoft est le seul à plancher sur une telle solution industrielle. D'autres groupes comme United Airlines ou ExxonMobil ont certes annoncé mettre des milliards de dollars sur la table pour investir dans des technologies de direct air capture (DAC). Mais ils se contentent en général de convertir le gaz carbonique sous forme de CO2 pur stockable et réutilisable en pétrochimie. Ils ne cherchent pas à résoudre l'équation de Schrödinger, et encore moins à recourir à l'informatique quantique. A l'image du gigantesque complexe déployé par Carbon Engineering à Squamish à environ 100 km au nord de Vancouver au Canada.

En attendant, Microsoft entend placer son projet dans une logique de partage scientifique. "Notre objectif d'atteindre le zero emission d'ici 2050 est ambitieux. Mais le sujet nous parait tellement important pour le futur de la planète et le futur de la vie sur Terre qu'on ne peut pas s'inscrire dans une logique où seul le profit nous motiverait", insiste Bernard Ourghanlian. "Si nous parvenons à concevoir ce catalyseur, nous ne garderons pas cette découverte pour nous. C'est aussi pour cette raison que nous avons créé un fonds d'un milliard de dollars centré sur les technologies d'émission négative."