Bonnes feuilles : comment les voitures autonomes peuvent sauver la planète

Bonnes feuilles : comment les voitures autonomes peuvent sauver la planète Dans son dernier livre, Luc Julia évoque les véhicules automatisés et connectés comme un moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Explication.

"On va droit dans le mur", le dernier livre de Luc Julia, est publié chez First Editions. © First Editions

"La croissance de la population se produit de plus en plus dans les grandes métropoles et la mobilité devient un casse-tête, un gaspillage d'énergie et de CO2. En effet, dans les grandes zones urbaines comme l'Île-de-France, le Grand Lyon ou Londres, Madrid, etc., la population augmente à la périphérie, là où le prix du mètre carré apparaît le plus faible, quand l'activité reste surtout dans la "petite couronne", donc près du centre. Ainsi les trajets domicile-travail augmentent-ils. Et le réseau des transports en commun de type ferroviaire ne peut pas suivre. La conséquence est que l'"autosolisme" (l'usage de l'automobile avec un seul occupant à bord) se développe toujours plus. En Île-de-France, 13% des trajets font plus de 10 kilomètres mais représentent 60% des kilomètres parcourus et 60% des émissions de CO2 puisqu'ils sont surtout effectués en voiture. Pour résoudre ce problème, il faudra privilégier les "navettes" de rabattement vers les terminaux des transports publics (gares) et les voies réservées sur les autoroutes urbaines avec mutualisation des trajets et pilotage de "trains" de véhicules (véhicules particuliers et navettes). L'essor des véhicules connectés et autonomes peut alors être une solution efficace, à condition que cette dernière soit exploitée pour réduire drastiquement cet autosolisme, et qu'elle ne se concentre donc pas sur le "robot taxi" qui la plupart du temps ne transportera qu'un seul passager… en plus du chauffeur ! 

De telles initiatives démarrent aux États-Unis avec Cavnue dans le Michigan, Google en étant un des principaux acteurs, mais aussi en Chine et en France avec le projet TRAPÈZE, mené par des industriels des infrastructures, des télécommunications et une start-up de covoiturage ainsi qu'un institut de recherche. 

Ce nouveau système de mobilités utilise et optimise le recours aux véhicules et aux routes qui existent déjà afin de procurer un maximum de gains (réduction des émissions et de la congestion, diminution et fiabilisation des temps de trajet), moyennant un minimum d'investissements. Le principe est d'agir sur deux leviers :

  • améliorer l'occupation des véhicules par la mobilité partagée (covoiturage et bus/navettes de transport public) ; 
  • concentrer les flux routiers par des fonctions d'automatisation placées le long des voies plutôt que répliquées dans chaque véhicule.

Contrairement à une pensée "auto-centrée", il s'agit de concevoir l'écosystème complet de demain (technologie, infrastructure, usage, services, territoire). En somme, une alternative à l'approche conventionnelle du développement des véhicules connectés et autonomes, permettant un gain de compétitivité majeur et un niveau de performance sociétale bien supérieur.

Le projet se structure selon une introduction progressive de nouveaux services, permettant de passer graduellement d'une mobilité automobile individuelle à une mobilité collective. Cela commence par un réseau public de lignes de covoiturage autour de voies dédiées à accès régulé. Ensuite des fonctions croissantes de délégations de conduite sont proposées jusqu'à une autonomie totale qui est assurée par un pilotage des trains de véhicules par l'infrastructure, sans jamais complexifier ni renchérir excessivement les véhicules et l'infrastructure elle-même. 

Cette dernière étape consiste à concentrer progressivement les flux des grands axes routiers pour atteindre des débits de passagers de transports collectifs, mais à moindre coût. Dans ce concept de train routier sur voies dédiées, les fonctions de perception et de décision sont mutualisées et déléguées à l'infrastructure pour une autonomie coopérative entre les véhicules et l'infrastructure, inspirée de l'aéronautique et du ferroviaire. Cette approche permet d'atteindre plus rapidement l'autonomie de niveau 4 sur voies réservées avec des développements véhicules limités. D'importants gains de sécurité routière en seront également dégagés. Ce cas d'usage figure déjà parmi ceux de la Stratégie nationale de développement de la mobilité routière automatisée.

À mobilité égale, TRAPÈZE permet ainsi de diviser jusqu'à un facteur 4 les émissions de gaz à effet de serre des transports pendulaires quotidiens dans les territoires équipés, grâce à un meilleur remplissage des véhicules et à leur aptitude à circuler en convois cohérents sans à-coups."

A écouter aussi le podcast avec Luc Julia 

Avant d'intégrer Renault en avril 2021, Luc Julia a collaboré près de 10 ans chez Samsung comme vice-président mondial de l'innovation. Précédemment, il a travaillé chez Apple où il a tenu un rôle clé dans le développement de l'assistant vocal Siri. Après un DEA en intelligence artificielle à Paris 6 puis une thèse à l'école nationale des télécommunications, il décide de partir aux Etats-Unis après un passage éclair par le CNRS. Il intègre le mythique Media Lab du Massachusetts Institute of Technology. On lui confie ensuite la direction d'un laboratoire au sein de l'institut scientifique américain SRI International. Il y enchaîne les projets de recherche : interface multimodale,  réfrigérateur intelligent, interface de géolocalisation en réalité augmentée pour la voiture... Au sein du SRI, il dépose aussi les premiers brevets de "The Assistant", l'ancêtre de ce qui deviendra 10 ans plus tard Siri.