Digital Market Act : des ajouts significatifs au texte final

Les marketplaces des géants s'apprêtent-elles à vivre une révolution en Europe ? Le DMA, récemment voté par le Parlement européen apporte des ajouts substantiels au texte.

Comme mentionné dans une chronique publiée par le JDN il y a quelques semaines : l’attendue réglementation sur les marchés numériques (DMA) a fait l’objet, le 24 mars dernier, d’un accord entre les différentes institutions européennes impliquées dans la procédure législative.

Le texte résultant de l’accord ne représentait cependant pas pour autant la version finale du DMA, qui n’a été révélée qu’en fin de semaine dernière, le 14 avril. 

Le texte définitif contient plusieurs ajouts qui sont pour certains loin d’être négligeables : retour sur ces changements.

> Le Préambule affiche ses objectifs avec un effort dans les définitions

Les modifications apportées au préambule visent principalement à sécuriser et renforcer le texte en rendant plus précises les définitions des obligations légales qui en découlent, et ainsi en réduisant le risque de contestation juridique du texte.

Ainsi, par exemple, les définitions des expressions “contestabilité” (contestability) et “caractère déloyal” (unfairness) /  ont été ajoutées au préambule afin de préciser leur sens dans le cadre de l’application du DMA; il a également été indiqué que l’objectif de contestabilité des plateformes concernées par le texte pouvait concerner l’intégralité des services en ligne.

La définition explicite du caractère déloyal des relations de dépendance avec les contrôleurs d’accès est formulée, dans le texte comme  “an imbalance between the rights and obligations of business users where the gatekeeper obtains a disproportionate advantage”. Il est intéressant de noter que cette définition inclut également les services gratuits, comme les recherches sur les moteurs de recherches.

> Les précisions concernant le “Sideloading”

L’une des mesures centrales du DMA est de forcer les contrôleurs d’accès à autoriser une pratique dite de sideloading en permettant l’installation d’applications provenant de sources tierces sur leur plateforme. Dans le cadre de cette obligation, la version finale du texte ajoute que les contrôleurs d’accès doivent également permettre aux applications et magasins d’applications tiers d’être configurés comme le choix par défaut des utilisateurs. Il s’agit d’une précision de la plus grande importance : un contrôleur d’accès se serait plus autorisé à opérer en circuit fermé et devrait renoncer à toute tentation de complexifier l’accessibilité à sa plateforme ou d'empêcher une configuration de choix d’un opérateur par défaut.

> Le FRAND

Le DMA prévoit également l’obligation pour les contrôleurs d’accès de garantir un accès équitable, raisonnable et non-discriminatoire (“air, reasonable and non-discriminatory : FRAND”) à leurs services. La version finale du texte ajoute que cette obligation couvre également les pratiques déloyales qui n’existent pas encore mais pourraient voir le jour dans le futur ; un ajout assez standard en droit mais particulièrement bienvenu dans un texte qui a pour ambition de réguler les marchés numériques qui ne cessent de se transformer au rythme des innovations.

> L’utilisation indirecte des données utilisateurs

La version finale du texte introduit une obligation entièrement nouvelle liées aux conditions d’utilisation des données des utilisateurs par les contrôleurs d’accès. Ainsi, il est désormais indiqué que les contrôleurs d’accès ont l’interdiction d’exploiter les données d’utilisateurs qui utilisent un service fourni par un tiers, lorsque ce tiers utilise la plateforme du contrôleur d’accès.

Cette nouvelle obligation vise clairement à empêcher des contrôleurs d’accès tels que Google ou Facebook d’accéder aux données d’un utilisateur qui leur aurait refusé son consentement lorsque celui-ci visite un site web faisant partie de leur réseau publicitaire.

> Une interopérabilité précisée

L'interopérabilité exigée par le DMA pour les services de messagerie doit être implémentée par paliers. Dans un premier temps et dans un délai de 3 mois maximum, l’interopérabilité ne concernerait que les fonctionnalités basiques de l’application, c’est-à-dire la communication entre deux individus par l’envoi de texte, d’images, de vidéo, ou d’autres types de fichiers. Dans un second temps et sous 2 ans, cette même interopérabilité doit être étendue à la communication au sein d’un groupe d’individus. Enfin, sous 4 ans, l’interopérabilité devrait être complète et permettre la communication par voix, vidéo, messages, entre deux individus, entre un individu et un groupe, ou au sein d’un groupe.

La version finale du DMA donne également des pouvoirs plus étendus à la Commission européenne s’agissant de l’implémentation de l’exigence d’interopérabilité. Ainsi, il est précisé que la Commission pourrait adapter ou retarder les délais susmentionnés en cas de circonstances exceptionnelles ou exempter entièrement un contrôleur d’accès de ces obligations pour des raisons d’intérêt public. De plus, la Commission dispose désormais de la possibilité d’agir via une législation secondaire sur les exigences d’interopérabilité en ajoutant ou supprimant des fonctionnalités étant concernées par l’obligation, par exemple afin de suivre les évolutions des usages.

> Une inclusion plus forte des services tiers dans l’application du texte

La version finale du DMA ajoute également l’obligation, pour la Commission européenne, de faciliter la participation de fournisseurs de services tiers aux discussions réglementaires portant sur l’implémentation du texte mais aussi dans les enquêtes portant sur la non-conformité des contrôleurs d’accès au DMA.

Cette mention n’est pas négligeable, dans le sens où les contrôleurs d’accès disposent naturellement d’un pouvoir d’influence supérieur auprès des institutions législatives et exécutives européennes par rapport aux acteurs tiers qui utilisent leur plateforme. La volonté affichée d’inclure plus fortement de tels acteurs dans les discussions d’implémentation et d’application du DMA témoigne d’une prise de conscience ferme visant  opérer à un rééquilibrage des rapports de force au sein de l’architecture institutionnelle européenne.

> En conclusion 

Les ajouts apportés à la version finale du DMA ne changent pas l’essence du texte et son orientation fondamentale ; ils sont cependant loin d’être anecdotiques dans la mesure où ils viennent renforcer le texte en lui donnant plus de solidité d’un point de vue juridique, mais aussi plus de souplesse dans son application concrète, et potentiellement plus de justice dans sa mise en oeuvre institutionnelle. Un mouvement qui conforte notre première analyse, le DMA pourrait rééquilibrer les rapports de force concurrentiels et économiques incontestablement disproportionnés au sein de l’espace numérique européen.

Nous serons en mesure de nous prononcer plus précisément sur les effets escomptés une fois le texte entré en vigueur et  implémenté !