La Fédération d'échecs mise sur l'IA et le cloud pour les compétitions internationales

La Fédération d'échecs mise sur l'IA et le cloud pour les compétitions internationales Les champions français peuvent désormais compter sur une super IA en mode cloud. Une technologie qui leur permet de préparer leur tactique d'ouverture à quelques heures des rencontres, dès les adversaires connus.

En 1997, le champion du monde d'échecs, le Russe Garry Kasparov, est battu par une machine : Deep Blue. Une première. Avec 600 000 parties en mémoire, le supercalculateur d'IBM analyse 200 millions de coups par seconde. Développé en 2014 par la société Deepmind (depuis passée dans le giron de Google), AlphaGo marque un nouveau tournant. Conçue pour le Go, un jeu comptant 10600 parties possibles contre 10120 pour les échecs, elle embarque une IA articulée autour d'un réseau de neurones artificiels. Fin 2017, elle donne naissance à AlphaZero, qui balaie Stockfish, un des moteurs d'entrainement les plus populaires chez les joueurs d'échecs, alors champion du monde de la discipline dans la catégorie machine. Depuis sa version 12 sortie fin 2020, Stockfish intègre lui aussi un réseau de neurones. Dernier chapitre en date : la Fédération français d'échecs (FEE) s'est saisie de Stockfish pour l'installer sur le cloud Azure de Microsoft. L'objectif ? Bénéficier d'un supercalculateur intelligent en vue de préparer ses rencontres internationales. La FEE prévoit notamment d'y recourir lors du prochain championnat du monde d'échecs par équipes (l'Olympiade) qui aura lieu fin juillet-début août. Un outil qui pourrait bel et bien changer la donne pour les équipes de France féminine et masculine.

"Les joueurs d'échecs utilisaient depuis le milieu des années 90 des systèmes experts basés sur des moteurs de règles qui, à partir d'une position, proposent des coups en se basant sur la mise en mémoires de parties antérieures", explique Eloi Relange, président de la Fédération française d'échecs. "Avec AlphaZero et l'arrivée de l'IA, la machine a commencé à dénicher de nouvelles stratégies, pour bloquer le Roi par exemple, mais aussi de nouveaux coups." C'est la surprise. On pensait tout connaître de ce jeu né en Asie entre le troisième et le sixième siècle de notre ère. Avant d'intégrer une IA, Stockfish suivait le principe de la force brute. Pour chaque position, une arborescence des coups possibles était identifiée et évaluée. Le volume de données à analyser augmentait donc de manière exponentielle. Un effet de bord compensé par la croissance de la puissance de calcul, mais également par l'élimination des branches jugées non-pertinentes par les joueurs.

200 millions de positions analysées par seconde

Disponible en open source, Stockfish met désormais l'IA à la portée de tous les joueurs. Ne reste plus qu'à disposer de la ressource informatique nécessaire. "Avoir porté Stockfish sur le cloud de Microsoft, nous permet de nous abstraire des limitations en matière de puissance de calcul", argue Eloi Relange. La Fédération française d'échecs bénéficie des machines HB120rs du groupe américain, les plus grosses de leur catégorie (CPU). Une infrastructure qui permet d'analyser 200 millions de positions par seconde, contre 20 millions pour un ordinateur portable haut de gamme classique, estime la FFE. "Au lieu de 3-4 minutes pour obtenir une évaluation de position fiable, le temps d'attente est réduit à 15 secondes, avec à la clé une profondeur d'analyse de 40 coups. Ce qui est le temps nécessaire au cerveau humain pour comprendre la position", dévoile Eloi Relange. Résultat : un travail rapide, efficace et précis. En parallèle, la FEE continue de recourir à la version historique de Stockfish. Une brique qui se révèle certes moins créative en termes de stratégie, mais qui permet d'étudier un nombre beaucoup plus grand de positions et de possibilités du fait d'un mode de calcul plus simple et mieux optimisé (et donc plus rapide). "On optera par exemple pour cette solution dans le cas d'une ouverture proche de la finale pour explorer un maximum de pistes", précise Eloi Relange.

Lors de l'Olympiade d'échecs cet été, les préparateurs disposeront d'environ une quinzaine d'heures pour réaliser leur travail d'analyse entre le moment où les adversaires seront dévoilés et les rencontres en elles-mêmes. D'où l'intérêt de disposer d'une IA en mode cloud. Grâce au mariage des réseaux de neurones de Stockfish et de la plateforme de calcul Azure de Microsoft, ce travail sera réalisé dans les temps avec une fiabilité jamais atteinte par la France dans le cadre d'un championnat du monde d'échecs. "D'abord, le préparateur cerne le style de jeu de l'adversaire, puis sur cette base choisit une ouverture de jeu pour exploiter ses défauts. Ensuite en partant des parties référencées pour cet adversaire, il approfondit les solutions re,latives aux positions clés en tirant partie de Stockfish sur Azure. Il dresse ensuite une fiche de synthèse à destination des athlètes" détaille Eloi Relange. Le principal avantage de la machine ? Elle évitera les coups paraissant tactiquement intéressant à court terme, mais susceptibles de conduire à la défaite, au profit de coups jugés moins pertinents au première abord mais pouvant conduire à la victoire à long terme.

"En France, nous sommes parmi les premiers à offrir cette possibilité"

"En France, nous sommes parmi les premiers à offrir cette possibilité aux équipes féminines et masculines. Jusqu'ici, le calcul en mode cloud était globalement limité aux 10 premiers joueurs mondiaux", estime le président de la FEE. En attendant l'Olympiade d'échecs 2022, Alireza Firouzja est le premier français à bénéficier de la solution. Objectif : préparer le tournoi qualificatif pour disputer le titre face au champion du monde actuel (ou Tournoi des Candidats). Un tournoi qui verra se confronter les huit meilleurs joueurs mondiaux et qui se tiendra du 16 juin au 5 juillet à Madrid. Ici, l'enjeu technologique de bénéficier d'une importante puissance de calcul en un temps contraint disparait dans la mesure où les adversaires sont connus à l'avance.

Un avantage dans la compétition

"Désormais, nous aurons de facto un avantage pour gérer les ouvertures qui représentent une étape de jeu importante. Mais il ne faut pas oublier que les échecs, c'est plus que cela. D'autres facteurs entrent en ligne de compte : le mental, le physique, sans oublier la rapidité de réflexion et les phases de milieu de jeu qui sont trop improbables pour être modélisées par la machine", insiste Eloi Relange.

Pour la suite, la FFE entrevoit des marges de progression importantes. Première piste envisagée : faire se confronter les moteurs d'échecs orientés IA les uns contre les autres. Une technique encore peu ou pas utilisée en France qui permet de dénicher des stratégies et des positions inattendues du fait des styles de jeu disparates des différents moteurs. Exemple : opposer Stockfish à Leela chess Zero. Autre moteur d'échecs neuronal bien connu, Leela s'inspire d'AlphaZero et de sa technique d'apprentissage par renforcement. Sur le plan du cloud, la FEE entend améliorer les performances d'exécution de Stockfish sur Azure en vue d'extraire le maximum de chacune des instances de calcul utilisées. Autre projet envisagé : mettre à disposition le couple Stockfish-Azure aux préparateurs des joueurs de moins de 12 ans. Une tranche d'âge qui excelle avec des joueurs parmi les meilleurs du monde dans leur catégorie. De quoi préparer l'avenir.