Comment l'informatique quantique va révolutionner la recherche médicale
Si la promesse d'un ordinateur quantique ne se concrétisera pas avant, au mieux, une dizaine d'années se pose déjà la question de définir les cas d'usage associés. En s'appuyant sur des qubits qui peuvent exister simultanément dans plusieurs états, l'informatique quantique offrira une formidable puissance de calcul qui reléguera au passé les supercalculateurs actuels, reposant sur des bits traditionnels. Ce saut quantique pourra être mis à profit pour affiner les prévisions météorologiques, optimiser la gestion d'une chaîne logistique ou, dans le domaine de la cybersécurité, proposer des algorithmes cryptographiques a priori inviolables. La recherche médicale est une autre piste particulièrement prometteuse qu'il s'agisse d'accélérer la découverte de nouveaux médicaments ou de concevoir des thérapies personnalisées.
Comme le rappelle le cabinet BCG dans une note, la recherche de nouvelles molécules est "une entreprise coûteuse, longue et risquée". De sa découverte à son lancement, le processus prend généralement de 10 à 15 ans. Le coût global peut dépasser les 2 milliards de dollars pour un taux de réussite inférieur à 10% entre l'entrée en phase clinique et la mise sur le maché du médicament. Aussi, les laboratoires comptent sur "leurs quelques médicaments vedettes pour amortir les plus de 180 milliards de dollars que l'industrie dépense chaque année en R&D".
Modélisation des structures moléculaires
Cette industrie pharmaceutique fait déjà appel au calcul haute performance ou HPC (pour high performance computing). Les supercalculateurs permettent d'effectuer une modélisation des structures moléculaires, de cartographier des interactions entre une molécule et sa cible en simulant le métabolisme du corps humain. Cette modélisation computationnelle e s'applique toutefois qu'"aux structures moléculaires relativement simples", rappelle le BCG.
Comme le note un article du site Caducee.net, les molécules biologiques sont par nature d'une complexité rare. Y interagissent protéines, sucres, graisses, ADN, ARN et une infinité de marqueurs chimiques. Le tout changeant de forme ou de propriété en fonction de la température, de la pression ou de la salinité. Dans son billet, le BCG cite IBM qui a calculé que "la modélisation complète et précise de l'énergie de base de la molécule de pénicilline, composée de 41 atomes, nécessiterait un ordinateur classique avec plus de transistors qu'il n'y a d'atomes dans l'univers observable".
Pour le cabinet d'études, l'informatique quantique pourrait assurer cette simulation moléculaire mais aussi prendre en charge le "criblage virtuel" en passant en revue de vastes bibliothèques de composés puis en validant leur intérêt par rapport à la cible. À terme, elle pourrait permettre la découverte "in silico" de médicaments de bout en bout. Des start-up développent d'ores et déjà des outils de criblage virtuel qui utilisent des représentations 3D de molécules dérivées de la mécanique quantique pour déterminer les interactions entre les médicaments et leurs cibles.
Pour autant, les machines quantiques actuellement disponibles présentent, rappelle le BCG, "de graves lacunes liées à la capacité, à la stabilité et à la fiabilité". Il faudra donc patienter encore quelques années pour que l'amélioration des techniques d'atténuation des erreurs, le développement de nouveaux algorithmes et l'optimisation des plateformes matérielles permettent de prendre en charge les premières applications opérationnelles.
L'approche hybride de Qubit Pharmaceuticals
Des start-up pionnières comme ProteinQure, Qulab, XtalPi, Menten AI, Rahko (rachetée par Odyssey Therapeutics) ou BenevolentAI anticipent déjà ce saut quantique. Associées ou non à des laboratoires, elles travaillent sur des algorithmes quantiques susceptibles d'accélérer la découverte de médicaments.
Basé à Paris et à Boston, le français Qubit Pharmaceuticals fait partie des sociétés de deeptech les plus en vue. Fondée en 2020 par cinq chercheurs issus d'institutions prestigieuses en France (Cnam, CNRS, Sorbonne) et aux Etats-Unis (Université du Texas à Austin, Université de Washington à Saint Louis), la société a adopté une approche hybride, à la fois classique et quantique. Baptisée Atlas, sa plateforme logicielle entend tirer le meilleur parti des supercalculateurs existants ou émergents tout en anticipant l'arrivée des ordinateurs quantiques.
En créant des jumeaux numériques des molécules physiques, Qubit Pharmaceuticals accélère "les calculs d'un facteur 100 000 réalisant en quelques heures des calculs qui nécessitent plusieurs années par des voies conventionnelles". Alors qu'elle a récemment noué un partenariat avec Nvidia pour en utiliser les processeurs graphiques (GPU), la société se donne pour objectif de réduire par deux le temps nécessaire pour cribler et sélectionner un candidat-médicament d'intérêt tout en divisant par plus de dix les investissements à consentir.
Qubit Pharmaceuticals prévoit, par ailleurs, de construire un portefeuille de dix candidats-médicaments dans les domaines de l'oncologie et des maladies inflammatoires. En décembre dernier, la start-up a remporté le HPC Innovation Excellence Award 2022 récompensant les résultats de son programme de recherche portant sur la découverte d'inhibiteurs de la protéase principale du virus SARS-CoV-2, ce qui ouvre la voie à de nouveaux traitements contre la Covid-19.
Directeur général et cofondateur de Qubit Pharmaceuticals, Robert Marino ne croit pas une bascule en mode big bang dans le monde quantique. "Le HPC sera là encore pendant de nombreuses années. Pour autant, il s'agit d'anticiper l'arrivée de l'informatique quantique. Notre équipe pluridisciplinaire composée de mathématiciens, de chimistes, d'informaticiens travaille déjà sur l'algorithmie éligible aux futurs ordinateurs quantiques", indique-t-il.
A ce stade, Robert Marino voit trois cas d'usages où l'informatique quantique montrera tout sa pertinence. En plus de sa puissance de calcul qui permettra de gagner un temps considérable dans la recherche de nouvelles molécules, elle permettra de réduire le taux d'erreurs et de consommer moins d'énergie qu'une plateforme conventionnelle.
Diagnostic affiné et thérapie personnalisée
L'informatique quantique ne se limitera pas à la découverte de médicaments. Elle devrait être mise à contribution pour analyser des images médicales ou des résultats médicaux, affiner le diagnostic et détecter des maladies à un stade particulièrement précoce. Dans un second temps, elle permettra de définir les thérapies les plus adaptées à un patient donné en passant en revue différentes combinaisons possibles. Un scenario particulièrement pertinent pour les malades qui ne répondent pas efficacement aux traitements conventionnels.
Selon le site Inside Quantum Technology News, le Centre allemand de recherche sur le cancer (DKFZ) travaille sur cette piste afin de proposer des traitements personnalisés dans le domaine de l'oncologie. Au cours de leur maladie, les personnes atteintes de cancer accumulent souvent jusqu'à 100 To de données individuelles entre les valeurs sanguines et tumorales ou les données de séquençage. Cette information abondante n'est toutefois pas pleinement exploitée et ces patients reçoivent, finalement, un traitement standard. L'informatique quantique pourrait changer la donne.