Une dette numérique qu'il est temps de rembourser

INSIGN

Il y a quelque chose d'absurde à construire des services digitaux toujours plus perfectionnés... sans se demander s'ils sont vraiment accessibles à tous.

Dans une société numérisée à marche forcée, où l’on consulte son médecin, sa banque ou ses droits en ligne, ou ChatGPT ou Mistral deviennent des coachs en achats, organisation, planification personnelle, l’inaccessibilité numérique est un angle mort inquiétant. Et pourtant, les échéances arrivent : depuis juin 2025, les entreprises privées sont elles aussi soumises à des obligations renforcées (RGAA, European Accessibility Act). De nombreuses grandes marques ont déjà été épinglées. Et ça coûte cher ! Et la question n’est plus seulement réglementaire : elle est stratégique. Ce n’est plus un "sujet DSI", mais un levier de transformation globale.

Quand l’accès devient un privilège

On imagine souvent l’accessibilité comme une contrainte technique, ou une mise en conformité parmi d’autres. C’est une erreur. Car derrière l’accessibilité, il y a une idée simple : celle de rendre possible l’accès à l’information, aux services, aux opportunités, aux produits. Et ce qui devrait être un standard est encore trop souvent un privilège. Trop de contenus restent illisibles pour les personnes dyslexiques. Trop de formulaires sont inadaptés. Trop d’interfaces ne sont pas conçues pour être naviguées sans la vue. Et trop d’organisations découvrent le sujet a posteriori, une fois leur site ou leur application déjà en ligne. Pis, l’accessibilité vient en dernier dans les processus de conception ou de production de contenus, alors qu’ils devraient être “Accessible by design”. 

C’est un modèle à revoir. Plus de 80 % des handicaps sont invisibles. Ce sont 12 millions de Français. 12 millions de clients, de talents, de citoyens qui attendent qu’on pense à eux. Et une population vieillissante, de moins en moins à l’aise avec les codes du numérique. Penser l’accessibilité, c’est parler de performance collective, pas d’une minorité. C’est une façon de prendre soin de ses publics les plus fragiles mais aussi de tous les autres.

Changer d’échelle

Le sujet est mal réparti : dans la plupart des organisations, il reste cantonné à des experts ou à des directions support. Or il devrait irriguer la stratégie produit, les choix techniques, les politiques RH ou les feuilles de route de transformation. C’est un changement de culture qu’il faut impulser, à tous les niveaux. Ce changement, il commence tôt. Dans les écoles de développement web, de communication, de design. Dans les formations aux métiers du numérique, où l’accessibilité est encore trop peu enseignée. Et dans les appels d’offres, où l’on ne s’interroge pas assez sur la capacité des prestataires à produire des contenus inclusifs. Former les futurs professionnels, interroger ses partenaires, mesurer l’impact dès la conception : les leviers sont connus, encore faut-il les activer.

Des signaux faibles montrent que la bascule pourrait enfin s’opérer. Les grands modèles d’intelligence artificielle, en particulier les LLM (Large Language Model), facilitent l’audio-description d’images, la transcription automatique en langue des signes, la lecture des PDF, la simplification des textes complexes ou leur adaptation en FALC (Facile à lire et à comprendre). Rendre accessible devient (un peu) plus accessible. Ce n’est pas encore une révolution, mais c’est un début de mouvement à encourager.

Une dette à transformer en opportunité

Nous avons accumulé une dette d’accessibilité. Une dette de qualité, de performance, de considération. Il est temps de la rembourser. Car la rendre visible, c’est aussi pouvoir la mesurer, la piloter, la réduire. L’accessibilité n’est pas un surcoût. Elle améliore l’expérience, élargit les audiences, optimise les parcours, limite les erreurs de saisie, facilite la navigation… et améliore la performance en référencement naturel. Elle fait mieux avec ce qu’on a déjà. Elle nous oblige à concevoir des parcours plus clairs, plus sobres, plus utiles. Et donc plus efficaces. Elle permet de rendre le digital plus juste, mais aussi plus performant. Sinon demain les LLM plus simples à utiliser deviendront le point de contact central d’échange et de recommandations des personnes en situation de handicap. Au risque pour les marques de ne plus être référencées et de disparaître de leur quotidien… 

Ce n’est pas un sujet d’image. C’est un sujet d’impact. Social, sociétal et économique !