Jacques Binard (DSI, Chambre des Notaires de Paris) : "Notre objectif est de tendre vers la dématérialisation de l'ensemble des flux notariés"

La dématérialisation est au coeur des chantiers de la DSI qui a déjà mis en place un Extranet sécurisé, et tout récemment un coffre électronique de dépôt. Télésauvegarde et archivage électronique sont en préparation.

La profession notariale a la réputation d'être peu informatisée, qu'en est-il réellement ?

C'est une fausse idée qu'on se fait du notariat. La profession a commencé à s'informatiser il y a déjà plus de 25 ans, notamment dans le domaine comptable, les études gérant les fonds des clients. Cela les a contraintes à s'équiper très tôt en logiciels de comptabilité. Ensuite, comme elles produisent plusieurs millions d'actes notariés par an, les études se sont dotées d'équipements leur permettant de produire de façon informatique leurs actes.

En 1996, un schéma directeur a été défini afin de déployer ce qui ne s'appelait pas encore les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Cela a abouti en 1997 au déploiement dans les études de notaires d'accès Internet, d'abord Numeris et RTC, puis ADSL à partir de 2002. Toutes les études sont désormais connectées à un réseau VPN qui permet de bénéficier de services de messagerie électronique professionnelle, d'un extranet pour le partage d'informations confidentielles entre les notaires et leurs clients et de l'interconnexion pour la dématérialisation des échanges avec l'administration.

Le service Téléacte offre aux notaires la possibilité de dématérialiser tous les échanges des études pour la conservation des hypothèques. Cela se fait via une plate-forme d'échange qui communique directement avec la plate-forme du Ministère des Finances grâce à une sécurisation par carte à puce. Les études peuvent également dématérialiser les flux avec la DGI, mais aussi tous les flux financiers avec la Caisse des Dépôts. Nombre de services sont développés au niveau de Paris pour la communauté des notaires parisiens. Ces projets ont ensuite vocation à être déployés au niveau national.

La profession notariale est donc bien loin d'être ringarde en matière de technologies. Dans le domaine des professions réglementées, le notariat a réellement une longueur d'avance. Cela est reconnu aussi bien par les avocats que par les experts comptables.

"La demande de la clientèle était de bénéficier d'une date certaine pour leurs éléments dématérialisés"

L'ouverture d'un service de dépôt électronique s'inscrit donc dans la continuité ?

Tout à fait, c'est même une continuité historique. La première fonction de la Chambre des notaires de Paris était la conservation des informations. Tous les actes signés par notaire, comme les transactions immobilières, les contrats de mariage, les baux... sont obligatoirement détenus au sein des études durant un siècle avant d'être versés aux archives nationales.

Avec l'arrivée de l'informatique, les notaires ont été sollicités par leurs clients pour assurer la conservation d'informations et bénéficier de la preuve de l'antériorité de leur détention en cas de contentieux. C'est historiquement le métier de ces officiers publics.

L'acte notarié comporte en effet des particularités. D'abord il a force de jugement, ou force exécutoire. Au-delà de cette caractéristique, l'acte donne date certaine. Au niveau juridique, il constitue donc la meilleure preuve aujourd'hui. La demande qui était faite par la clientèle était donc de pouvoir bénéficier de cette date certaine pour leurs éléments dématérialisés. Il peut s'agir par exemple de cahiers de laboratoire au niveau industriel, de créations artistiques, de logiciels ou d'agendas de dirigeant.

Qu'est-ce qui motivait la création de ce service dématérialisé ?

Les notaires se voyaient remettre de plus en plus souvent des bandes informatiques ou des CD. Mais subsistaient des limites, comme l'absence de certitude quant à la validité du support à terme. Le dépôt électronique a donc été mis en place pour tenir compte non du contenant, mais du contenu. Le challenge était de mettre en place un service permettant au client du notaire de disposer de la preuve que le document dématérialisé était en sa possession à une date certaine et de bénéficier d'une conservation sécurisée sur support électronique et un temps donné.

Le client dispose à tout moment de ces informations, et peut par exemple en demander une copie. L'information demeure dans le coffre et le notaire peut apporter la preuve qu'il s'agit bien du document déposé par le client. Ce dernier peut également demander la restitution du coffre et alors aucune trace ne sera conservée dans le coffre.

"Des empreintes électroniques sont calculées afin de garantir l'intégrité des données"

Comment s'exécute l'acte notarié dans le cadre de la dématérialisation ?

La meilleure preuve étant recherchée, il y avait la nécessité d'apporter un acte authentique. C'est cet acte qui vis-à-vis de l'Etat donne la date certaine et la meilleure preuve. Nous avons donc mis en place un système avec une architecture technique pilotée par un logiciel installé sur le poste de travail du notaire. Cette application pilote la création de l'enveloppe électronique déposée dans un coffre électronique totalement sécurisé.

En même temps que le dépôt est réalisé un ensemble de documents établissant un lien total, ou irréfragable, d'une part entre l'acte produit et les données conservées par ailleurs. Un document d'empreinte est généré qui comprend un listing de toutes les informations apportées par le client, la liste des documents, les répertoires, leur taille, etc.

Des empreintes électroniques sont calculées afin de garantir l'intégrité des données. La clef publique du signataire nécessaire pour déchiffrer les informations permet de recalculer l'empreinte et de vérifier la concordance avec la signature d'origine, et ainsi de prouver l'intégrité des données.

Le logiciel est conçu pour mettre en place un workflow sécurisé qui va vérifier l'intégrité de l'information au début, dès extraction du support, puis au moment de générer l'enveloppe et enfin lors de l'envoi vers le coffre.

Quels algorithmes de chiffrement ont été utilisés ?

Pour chaque document dans le listing est calculée une double empreinte avec les algorithmes SHA-256 et MD5 afin de limiter tout risque de collision. Même si le risque était infinitésimal, deux documents auraient pu produire une empreinte similaire.

L'ensemble des empreintes des données apportées par les clients sont ensuite combinées avec une autre empreinte qui prend en compte les informations saisies par le notaire au moment du dépôt, comme la description du dépôt, le déposant, l'identité du notaire, son numéro de son certificat, etc. la combinaison génère alors une empreinte unique qui est celle de l'enveloppe électronique déposée au coffre. Pour obtenir copie ou restitution, celle-ci est indispensable. Le système recalculera alors l'empreinte qui sera comparée avec celle de l'acte authentique. La concordance permet au notaire d'apporter la meilleure preuve d'intégrité.

La clef du coffre est ce qu'on appelle la clef Real. C'est l'outil d'authentification forte du notariat. Cette clef lui permet notamment de valider l'envoi de documents dématérialisés à la DGI. C'est donc bien le notaire par sa clef qui accède et gère le coffre.

"La dématérialisation est la reproduction de la procédure telle qu'elle se déroule physiquement dans une étude"

Quelle solution technique avez-vous retenue pour la délivrance de ce service ?

Ces développements spécifiques ont été assurés avec la société Dictao qui travaille déjà avec l'administration française. C'est notamment le cas du coffre-fort électronique mis en place par la DGA dans lequel sont stockés les contrats militaires. La production du Journal Office est faite de façon dématérialisée en utilisant Dictao, tout comme la mécanique de délivrance des certificats électroniques du Minefi pour le paiement en ligne des impôts.

Quant à l'hébergement sécurisé, il est pris en charge par BT dans un centre de données, sur une infrastructure matérielle propriété de la Chambre des notaires de Paris. Une réplication est effectuée en simultané dans un autre coffre électronique implanté à plusieurs kilomètres du premier pour éviter toute perte d'information.

Le client du notaire peut-il effectuer les opérations à distance ?

Pour une certitude absolue, un face-à-face est nécessaire. Le dépôt se fait donc en présence du client, chez le notaire qui va vérifier l'identité du déposant et la chaîne de pouvoir s'il intervient en tant que représentant d'une personne morale, et après présentation des conditions du service.

La dématérialisation est la reproduction de la procédure telle qu'elle se déroule physiquement dans une étude lors du placement dans un coffre physique de document, comme un testament. Le face-à-face est une obligation pour être qualifié d'acte authentique et donner date certaine.

Quels autres projets informatiques sont actuellement en cours au sein de la DSI de la Chambre des notaires ?

L'objectif est de tendre vers la dématérialisation de l'ensemble des flux notariés. Nous avons commencé avec l'administration et la Caisse des dépôts. Nous allons le prolonger avec les institutions financières dans le cadre des prêts immobiliers, mais aussi avec les échanges avec les collectivités locales pour ce qui est de l'information liée à l'urbanisme et l'état civil.

Nous travaillons également sur un ensemble de services en extranet permettant aux études de notaire de disposer d'un espace fiable et sécurisé pour l'échange d'informations confidentielles avec la clientèle. Nous développons aussi une infrastructure de télésauvegarde destinée à garantir aux notaires leur continuité d'activité. Ils ont aussi besoin, directement pour eux-mêmes cette fois, d'une solution d'archivage électronique, pour le stockage par exemple de leurs emails, la messagerie électronique s'étant progressivement ajoutée aux courriers papiers dans leurs échanges avec la clientèle.