Ce que l'acquisition du Huffington Post veut dire pour les médias

La plupart des commentaires après le rachat du "HuffPo" par AOL ont porté sur la valorisation de la transaction. D'autres tendances que ce rachat met à jour mériteraient cependant d'être aussi d'être commentées.

La fin du "tout-SEO"
L'histoire de l'internet et de la génération de trafic sur les sites média a été dominée par ce que les experts du Web appellent le "SEO" pour Search Engine Optimization. En clair : comment finir premier dans les résultats de Google. Si, pour cela, il y a des pré-requis techniques dans l'architecture d'un site, cela fait longtemps que les enjeux tournent autour des contenus créés allant même jusqu'à la création d'usines à contenu ou "Content Farms".

Il y a un peu plus d'un an, le magazine Wired a publié un article sur la société Demand Media, décrivant le fonctionnement de ces « Content Farms ». Tout cela avait l'air génial. Finis les articles produits par des journalistes sans savoir qui pourrait trouver un intérêt à les lire ! Demand Media avait tout compris : analysez Google et vous saurez non seulement ce que les gens sont enclins à lire, mais également ce sur quoi les entreprises sont prêts à faire de la publicité. En poussant plus loin la rationalisation industrielle, Demand Media fait produire rapidement et à moindres coûts les contenus requis par des pigistes affamés et s'assure via des techniques SEO qu'ils apparaissent en tête des résultats de Google. Pas besoin de contenus de qualité, produit par des journalistes bien rémunérés : si vous savez comment optimiser votre référencement, votre vidéo ou « article » de mauvaise qualité, produit à la va-vite pour parfois seulement $10, figurera en tête des résultats de Google et éclipsera le trafic des autres médias.

Pousser plus loin ce modèle revient à envisager l'avenir des médias comme une usine à contenu (Demand Media et ses homologues), distribué par un algorithme de recherche (Google Search) et monétisé par une usine de publicité (Google AdSense). Effrayant pour certains...

Heureusement pour eux, ce modèle a montré ses limites et le Huffington Post est justement le contraire de cela. D'une part ces fermes de contenus apportent souvent des résultats idiots comme par exemple le "guide to playing the xylophone" qui a été tourné en ridicule par de nombreux sites, forçant Mahalo, la ferme de contenus qui l'hébergeait, à réagir. Google également, se met à investir avec toute la puissance dont il est capable, pour déjouer les ruses de ces acteurs. Mais surtout, le Huffington Post montre qu'on peut réussir autrement, sans dépendre de Google qui ne lui apporte qu'une part marginale de son important trafic (25m de visiteurs en Décembre 2010 d'après Comscore).

Les réseaux sociaux comme source de trafic
Alors d'où vient ce trafic? De Facebook et Twitter. Peut-être pas avant tous mais mieux que beaucoup, Arianna Huffington a compris l'intérêt des réseaux sociaux comme vecteur d'acquisition de trafic. Alors qu'on voit mal qui pourrait aller partager le guide sur le xylophone (à part pour s'en moquer...), les contenus du Huffington Post sont édités pour être percutants, intéressants et tentants à partager. Au delà des contenus, le site a joué l'intégration avec les réseaux sociaux avec des fonctions de partage bien faites et un développement de l'audience sur les réseaux sociaux, avec notamment plus de 800,000 followers sur Twitter.

Mais de façon peut-être encore plus importante, Arianna Huffington et son équipe ont compris l'importance de construire des relations avec des gens influents. Fondamentalement, le modèle d'acquisition de trafic du HuffPo est fondé sur ce que Jeff Jarvis appelle le "peer linking" et non sur un modèle d'émission pyramidale: ses news sont relayées, via des liens postés notamment sur Twitter, par des gens connectés et influents.

La curation comme modèle 
Une des clés pour comprendre justement la relation entre le HuffPo et ces "influents" réside dans le modèle de "curation" qu'a choisi Arianna Huffington. Loin du modèle classique qui consiste à penser que le contenu doit uniquement être créé par des entreprises de contenus qui payent des gens pour le faire, elle a compris que la valeur n'était plus tant dans la création de ces contenus que dans leur mise en forme, leur édition et leur distribution (ce qui justement définit la "curation", ce terme anglais, sans réel équivalent français, qui secoue le Web et les médias sociaux actuellement). Il y a d'autres exemples: le Drudge Report aux US ou bien Owni.fr en France. Mais le HuffPo est sans doute allé le plus loin à ce jour dans le développement d'une communauté de contributeurs indépendants et non rémunérés. Barack Obama, Madonna, Hilary Clinton, Mia Farrow, Robert Redford, ... ne sont quelques uns des 3,000 bloggers dont les articles sont soit écrits pour le site, soit repris avec leur autorisation.

Ce modèle a évidemment l'avantage de réduire considérablement les coûts d'acquisition des contenus mais ne nous y trompons pas: il est donnant donnant. La reconnaissance, l'attention et la diffusion supplémentaire constituent une valeur importante pour les bloggers partenaires, suffisante pour que la publication simultanée ou la reprise de leurs articles soient quasi-systématiquement acceptées. 
Pour le lecteur, le HuffPo constitue une média à la fois bien plus riche, avec des contributeurs venant de tous les horizons et d'une expertise inégalable, mais également une synthèse: la "curation" ou l'éditorialisation effectuée par le HuffPo ne fait pas que trier. L'équipe de journalistes du site (car il y en a bien une !) donne du sens, met en perspective, analyse, complète. 

Avec la curation comme modèle, on est passé d'un journalisme de production à un journalisme d'analyse. Et le lecteur y gagne. A l'heure où la crise des médias fait rage et où les expériences sur l'iPad sont encore loin d'avoir porté leurs fruits, on peut donc voir dans cette acquisition un formidable message d'espoir. Oui, il reste de le valeur à créer dans les médias sur internet. In a big way.