Collaboration et numérique : la confiance, seul gage de pérennité

Depuis l’avènement du Web 2.0, eldorado de l’interactivité, les technologies de l’information ont la réputation d’un facilitateur de collaboration. Mythe ou réalité ?

Selon le « Petit Robert », le mot « collaborer » signifie « travailler avec ». Une définition plus complète devrait, me semble-t-il, induire les notions de partage, de prise en compte des autres et d’un objectif commun.

La collaboration est le contraire du « silo ». Prenons l’exemple d’un directeur commercial qui a besoin de recruter une dizaine de vendeurs. S’il ne tient pas compte des capacités de recrutement de l’entreprise ou des demandes réalisées par les autres départements, il fonde un plan  tout simplement irréalisable qui peut mettre l’entreprise en danger. En revanche, à travers la collaboration, ses demandes seront prises en compte et les ajustements nécessaires seront faits, de part et d’autre, pour atteindre cet objectif devenu commun. En l’absence de collaboration, l’arbitrage sera fait « top-down » pour le meilleur comme pour le pire.

Le lien entre collaboration et numérique paraît clair : la collaboration entre deux personnes nécessite un langage commun et, au-delà de la variété culturelle et sociétale qui compose notre monde, le numérique peut y contribuer.

Le système éducatif français, historiquement centré sur les sciences et les mathématiques, a pris conscience de la nécessité de développer l’enseignement des langues. Aujourd’hui, certains collèges proposent, dès la sixième, l’apprentissage de deux langues vivantes et l’anglais a déjà franchi les portes de l’école primaire. Cependant, on ne peut se contenter de l’écrit et de la parole dans une cacophonie des interactions multiples, globales et nombreuses. Le numérique, fort de son côté universel, devient une extension du langage, ou un « supra-langage ».

En résumé, aujourd’hui, pour mieux collaborer, il faut simultanément parler la même langue que ses interlocuteurs et partager une culture numérique commune, c’est-à-dire des outils et habitudes numériques similaires.

De plus, la collaboration est un acte volontaire. S’ils ne sont pas utilisés, les meilleurs outils du marché ne servent à rien… La confiance est ici fondamentale. Le numérique ne peut s’en affranchir pour améliorer la collaboration.

Et c’est bien tout le problème aujourd’hui : le contexte politique est marqué par une méfiance accrue. Après les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance mondiale instaurée par les états, les grandes entreprises du numérique font le siège du gouvernement américain pour restreindre les droits, concédés dans le cadre du Patriot Act, à puiser dans leurs bases de données. La doléance est claire : la méfiance des internautes suscitée par cette affaire est en train de tuer purement et simplement une industrie naissante et créatrice de valeur. Un peu comme dans les appartements communautaires russes des années 50, où personne n’osait plus s’exprimer de peur d’être dénoncé par les autres, instaurant un climat de méfiance et une immense solitude. Cette méfiance peut conduire les internautes à ne plus rien partager sur les réseaux, et ce marché disparaitra.

Depuis la fin des années 90, nous avons vécu une période de « libéralisation de l’information », une sorte de « mai 68 » du numérique, où l’Internet était par essence ouvert, parfois chaotique, mais ne suscitant aucune méfiance. Alors, l’avalanche de révélations sur les pratiques des acteurs publics et privés fut un retour de bâton violent pour toutes les chemises à fleurs du numérique. Ce qu’on pensait anodin est devenu un redoutable outil de surveillance des populations.

C’est pourquoi il est indispensable de penser à sanctuariser les données personnelles. Le succès de nouveaux outils tels que Snapchat repose uniquement sur la volatilité de l’information qu’ils véhiculent (les plus jeunes se détournent de Facebook, car les informations y sont trop « persistantes »). Par extension, le droit à l’oubli, qui paraît actuellement si difficile à mettre en œuvre, doit devenir un pilier du web de demain.

Pour rétablir cette confiance, trois éléments me paraissent indispensables : l’Opt-In (ou l’adhésion volontaire), la transparence et un vrai droit à l’oubli sur ses données personnelles. Recevoir des publicités ne doit pas être assimilé automatiquement à du spam : elles ont leur utilité, car elles m’informent. L’internaute doit donc être en capacité d’accepter ou non de partager ses données avec tel ou tel annonceur. Parallèlement, le législateur doit s’emparer du sujet de la transparence aux opérateurs quant à leur utilisation des données et les contraindre à demander à tout un chacun son accord. La jeunesse doit être et informée et protégée.

Aujourd’hui, tout citoyen français a le droit de demander à Google, Facebook ou la CNIL, quelles informations ils détiennent le concernant. Un chemin de croix qui peut durer plusieurs mois, sans garantie de résultat. Pourtant, nous devrions tous être capables de rechercher les informations nous concernant et disposer immédiatement de toute information dont la source reste anonyme. Pour le reste, le droit existant pourra alors s’appliquer pour protéger les personnes contre la diffamation, et protéger leur droit à l’image… En entreprise, comme ailleurs, le problème est le même : la collaboration est avant tout une question de confiance. Pour y parvenir, et compte tenu de la mondialisation des échanges, elle nécessitera une… collaboration internationale des législateurs !