Singapour, le nouvel eldorado pour start-up en Asie
Pour son 50e anniversaire, Singapour s’offre la 10e place du classement Compass des meilleurs écosystèmes pour start-up. Il y a trois ans, elle n’était que 17e. La cité-Etat fait tout pour s’imposer comme le hub des start-up en Asie.
Bienvenue au Block 71, à l’ouest de Singapour. C’est ici dans cet immeuble bleu de 7 étages qu’ont éclos les premières start-up du cru. Aujourd’hui il y en a plus de 250, aux côtés d’accélérateurs, d’incubateurs et d’investisseurs de tout poil. En face du campus de l’Insead et à quelques encablures de l’Université Nationale de Singapour, le gouvernement façonne son quartier high-tech. Baptisé LaunchPad, il est le symbole des ambitions de la cité-Etat : devenir le hub asiatique des start-up. Au-delà du block 71 qui devrait attirer 750 start-up d’ici 2017, le block 73, mais aussi 79 hébergent les acteurs de la scène tech. D’autres espaces sont déjà en construction et devraient sortir de terre à horizon 2016 et 2017. Des projets tous azimuts qui font rentrer Singapour dans le top 10 des meilleurs écosystèmes de start-up selon une étude publiée par Compass. Une prouesse pour ce pays qui vient tout juste de fêter ses 50 ans.
En un peu moins d’une décennie, Singapour a vu son tissu de start-up se développer considérablement. Il y aurait plus d’un millier de jeunes pousses à Singapour, un chiffre qui a doublé en 5 ans seulement. " C’est véritablement ces deux dernières années que le mouvement s’est accéléré " observe Greg Unsworth, le spécialiste technologie du cabinet d’audit PricewaterhouseCooppers à Singapour. La cité-Etat peut même se targuer d’avoir engendré trois licornes (des start-up qui valent plus d’un milliard de dollars) en un temps record. Grabtaxi, le concurrent asiatique d’Uber créé il y a 3 ans à peine est déjà considéré comme la success-story d'Asie du sud-est, Garena Online, une plateforme de jeux en ligne créée en 2009 et Lazada, souvent appelé l’Amazon d’Asie du Sud-est fondé en 2012 par Rocket Internet. Mais impossible de parler de start-up à Singapour sans parler des géants comme Propertyguru, site spécialisé dans l’immobilier depuis 2006 qui vient de lever 129 millions de dollars ou encore RedMart, un supermarché en ligne présent depuis 2011 et qui vient de lever plus de 26 millions de dollars et de débaucher au passage un ancien vice-président d’Amazon.
D’autres start-up ont déjà été rachetées, c’est le cas par exemple de Zopim, créé il y a 6 ans et spécialisée dans la messagerie instantanée, acquise 30 millions de dollars par l’américain Zendesk en 2014. Mais il y a aussi le groupe français LVMH qui a mis la main sur Luxola, un site de-commerce de cosmétiques en Asie. A ce jour, le rachat le plus spectaculaire est encore celui de Viki, un spécialiste du streaming vidéo par le géant japonais Rakuten pour 200 millions de dollars.
"Ces premières start-up qui réussissent sont des modèles pour les futurs entrepreneurs et certains deviennent à leur tour des business angels, explique Arnaud Bonzom, directeur des projets spéciaux pour le fonds de capital-risque 500 Startups. Cela aide à booster l’écosystème". "Cela aide à booster l’écosystème" ajoute-t-il. Selon une étude sur le paysage des start-up qu'il a réalisée, les secteurs privilégiés des jeunes pousses sont encore le e-commerce, les logiciels et les médias. Mais la fintech commence à attirer l’attention. "Il y a un fort potentiel sur les fintech explique le Français. Singapour est déjà une place financière, donc l’évolution est naturelle". Preuve de cet engouement pour la fintech, un certain nombre d’accélérateurs s'y sont installés. C’est le cas de StartupBootcamp, l’un des accélérateurs les plus actifs d’Europe qui a lancé un programme de 3 mois à Singapour dédié aux start-up de la fintech. "Nous avions le choix entre Singapour et Hong-Kong explique Markus Gnirk, le cofondateur de l’incubateur. Mais nous avons opté pour Singapour car nous avons obtenu un large soutien de la part des autorités".
Le gouvernement : premier accélérateur de start-ups
A l’image d’Israël, le rôle du gouvernement de Singapour a été un élément pour faire émerger en un temps record l’écosystème des start-up. Le pays se rêve plus largement en "smart nation" plaçant l’innovation et les technologies au cœur de son développement économique. Une mission confiée à l’Infocomm Development Authority (IDA), organe officiel du gouvernement, qui a récemment mis en place Infocomm Investments, un fonds dotée 180 millions d’euros pour stimuler l’émergence et la croissance de start-up singapouriennes. "Il y a une très forte volonté gouvernementale d’attirer et de connecter les acteurs qui pourront stimuler l’innovation", explique Eric Saint-André, le fondateur d'Amplification Lab, une société singapourienne dont le but est d’accélérer le développement des start-up ainsi que l'innovation au sein des entreprises.
"Quand j'ai lancé Bitsmedia en 2009, l'action du gouvernement consistait principalement à donner de l'argent aux start-up, explique Erwan Macé, le fondateur de Bitsmedia, dont l'application phare Muslim Pro compte plus d'un million d'utilisateurs actifs par jour. Mais ce qui fait la force de la Silicon Valley c'est son écosystème". Singapour l'a vite compris et a alors cherché à attirer aussi bien les fonds de capital risque que les départements de recherche des grandes entreprises. Au total, ce sont plus de 10 milliards d’euros qui ont été injectés pour doper la scène tech instaurant tout un dispositif d’aides, de subventions et déroulant le tapis rouge aux investisseurs. "J’ai été invité pendant 1 mois par le gouvernement et on m’a présenté plus de 80 start-up", explique Vinnie Lauria de Global Gate Ventures, un fond de capital-risque installé à Singapour et dans la Silicon Valley. Si l’Américain a décidé de s’installer en 2012 Singapour, c’est qu’à l’époque l’Asie du Sud-Est était largement délaissée par les grands investisseurs lui préférant la Chine ou l’Inde. "Cette région de l’Asie reçoit enfin l’attention qu’elle mérite explique Dave McClure, le fondateur de 500 Startups. Et c’est justement dans cette région du monde que les investisseurs recherchent de nouvelles pépites. "Certains de mes meilleurs investissements sont en dehors des Etats-Unis comme Baidu en Chine ou Skype en Estonie. Je veux maintenant en trouver un autre en Asie du sud-est " confiait Tim Draper, le millionnaire et investisseur bien connu de la Silicon Valley au magazine VentureBeat.
Money Money
En quelques années seulement, la donne a changé. "En 2010-2011, il y avait 3-4 série A (premier tours de table de levée de fonds) par an, maintenant il y en a 3-4 par mois" observe Vinnie Lauria, qui a accueilli Eduardo Saverin, le cofondateur de Facebook (résidant à Singapour) et le fonds souverain singapourien Temasek au capital de Global Gate Ventures. Excusez du peu ! Les grands acteurs du capital-risque, comme l’Americain Sequoia, ou les japonais Softbank, Rakuten Ventures ou Gree se sont depuis posées sur les rives de la cité-Etat. Car les opportunités en Asie du sud-est commencent à aiguiser l’appétit des chinois. La start-up chinoise Didi Kuaidi et le fonds souverain chinois CIC viennent justement d’investir dans Grabtaxi. En seulement trois ans les investissements des fonds de capital-risque à destination des start-up ont été multipliés par 60, passant de 27,9 millions de dollars en 2011 à plus d’1 milliard de en 2014, selon le Wall Street Journal.
A ces fonds étrangers, viennent s’ajouter également de nouveaux fonds singapouriens comme Monk’s Hill ou RedDot Ventures. Singapour compte également sur des "anges" influents comme Eduardo Saverin ou Toivo Annus, le cofondateur de skype, attirés par la fiscalité avantageuse du pays. "Il y a un effet boule de neige observe Greg Unsworth les investisseurs s’attirent les uns les autres".
L’argent ne manque donc pas à Singapour. Mais les fonds sont surtout disponibles pour les phases d’amorçage. "Singapour, c’est le bon endroit pour démarrer et pour les serie A explique Dinesh Batiao, le fondateur de TradeHero, une application de trading avec de la monnaie virtuelle. Au-delà cela devient plus compliqué".
Pour développer son écosystème de start-up, Singapour a pu compter sur ses atouts traditionnels. N’est-elle pas depuis 8 années consécutives la ville au monde où il est le plus facile de faire des affaires ? "On peut enregistrer une entreprise en quelques heures, l’environnement fiscal est favorable et il y a de nombreuses aides de la part du gouvernement" explique Thierry de Panafieu, fondateur de Hera Capital, fonds de private equity. Sans compter sa localisation géographique stratégique au cœur de l’Asie du Sud-Est, à quelques heures d’avion seulement de la Chine et de l’Inde. Car si les start-up s’implantent à Singapour, elles visent naturellement des marchés plus grands. C’est le cas de Grabtaxi, incorporé à Singapour mais présent dans plus de 22 villes à travers 6 pays en Asie du sud-est. Le rival d’Uber a d’ailleurs annoncé début juin qu’il se lançait sur le marché indien. C’est aussi à Singapour que se concentrent les sièges sociaux des grandes multinationales. Un avantage pour Scott Montgoméry, le cofondateur de GlobeTrekker, une application destinée aux entreprises pour encourager leurs employés à développer une bonne hygiène de vie. "Mes clients sont les grandes entreprise comme Allianz ou Disney, ils sont tous présents à Singapour donc j’ai intérêt à être ici" explique l’entrepreneur néo-zélandais qui vient de lever 600 millions de dollars auprès d’investisseurs privés.
Si la scène des start-up est bel est bien en effervescence, il est encore prématuré de comparer Singapour à la SiliconValley. "Cela n’a pas de sens affirme Vinnie Lauria. Ici c’est un écosystème naissant alors que la Silicon Valley existe depuis 60 ans". Et si le gouvernement se donne tous les moyens et notamment financiers pour atteindre ses ambitions, il est conscient que son modèle économique a jusqu’à présent laissé peu de place à la culture entrepreneuriale et à la prise de risque. "Lorsque j’ai lancé ma start-up 2008, la plupart de mes camarades à l’époque voulaient plutôt travailler dans les banques ou les grandes entreprises explique Royston Tay, le fondateur de Zopim. Aujourd’hui les mentalités commencent à évoluer petit à petit". Se pose également le problème du recrutement. "L’informatique n’a jamais été considérée comme une filière prestigieuse à Singapour. Les rares développeurs de talent partent le plus souvent dans la finance, résultat il manque aujourd’hui des développeurs constate Erwan Macé. Il faut donc souvent recruter de la main d’œuvre étrangère, mais les visas sont de plus en plus difficiles à obtenir". Mais selon Dave McClure, l’un des inconvénients majeurs de Singapour reste la petite taille de son marché. "Le marché régional se développe et les investisseurs vont être tentés d’aller directement en Malaisie ou en Indonésie explique-t-il. Singapour doit donc continuer ses efforts pour développer un écosystème attractif ".