Ce que la crise de financement de l'écosystème start-up peut nous apprendre

Il y a bel et bien eu un âge d'or des start-ups innovantes, mais celui-ci est révolu. Il faut donc en tirer les leçons pour résister aux montagnes russes du marché et garder le cap de la rentabilité.

Là où l’année 2022 et ses 13 milliards d’euros levés par les jeunes pousses françaises pouvait laisser croire à un regain d’activité post-covid, les chiffres de 2023 prouvent bel et bien la nouvelle frilosité des investisseurs : 8,3 milliards d’euros, c’est une baisse de 36% par rapport à l’année d’avant. Une douche froide pour les start-ups qui avaient effectué des premières levées mirobolantes en misant sur l’hypercroissance. 

Il était difficile pour les fondateurs de garder la tête froide à l’époque de l’argent facile. Le recul dont on dispose aujourd’hui permet de disséquer le mécanisme à l’œuvre au cours de ces années-là : le vertige de l’hypercroissance et le dur retour à la réalité lorsque l’argent a brusquement tari.

Quand le marché s’enraye, la vérité éclate

Difficile de décrire la frénésie qui a touché la plupart des founders lors de la deuxième moitié de la décennie dernière. Même les plus terre-à-terre risquaient de se laisser aspirer par la course à la valorisation. Mais à trop miser sur le modèle américain de la croissance à tout prix, on crée une dynamique bullesque et on met des boîtes en déséquilibre. Lorsque l’économie s’enraye, la vérité éclate. 

Les débuts de la crise font penser à un triste jeu de chaises musicales, où chaque boîte est stoppée net dans son ascension vers le sommet du Next 40. Celles qui ont réussi à se transformer en licorne alors qu’il en était encore temps sont tirées d'affaires. D’autres, survalorisées, seront protégées par les pouvoirs publics et refinancées à tout prix avec des accords bancaires. Qu’importent leurs chiffre d’affaires ou leurs pertes : elles sont « too big to fail ». Ces boîtes-là, minoritaires, sont hors-marché. 

C’est pour le ventre mou des start-ups que les choses se corsent - le FT120 et en-deçà. Leur avenir dépend de la stratégie de financement choisie jusque-là. Les vraies « boîtes bootstrap » qui avaient résisté jusque-là aux sirènes de l’argent illimitées montrent leur résilience : elles sont à l’abri des fluctuations de marché. Elles ont été auto-financées, ou financées par de la private equity avec une croissance maîtrisée : Lucca, Hello CSE, AgoraPulse, Partoo…  

Pour ceux qui ont levé, c’est une autre histoire - et le fin mot de cette histoire dépend beaucoup de la manière dont ils ont levé. Concrètement, la perspective de séries B ou C est écartée pour à peu près tout le monde du jour au lendemain, avec des valorisations qui chutent drastiquement malgré un chiffre d’affaires en croissance. Le discours des boards, lui aussi, change du tout au tout : là où on poussait les founders à investir et croître autant que possible, on met maintenant l’accent sur la rentabilité

Que faire quand on se retrouve dans cette situation, et qu’on n’a qu’un an de trésorerie à disposition ? On peut être contraint de lever encore, en acceptant des conditions très défavorables. À coup de préférence, de nombreux fondateurs ont perdu le contrôle effectif de leur boîte. Pendant ce temps, la déroute financière menait les plus malchanceux à un rachat à la barre du tribunal. D’assez grandes startups échappent de justesse à la liquidation judiciaire, comme les assurances Luko.

Les bases solides font la différence 

Abandonner le contrôle de sa boîte au profit d’une nouvelle levée de fond ou mettre la clé sous la porte : est-ce les deux seules alternatives qui s’offrent aux founders pris dans les eaux troubles de la crise ? Non, il y en a une troisième : trouver et garder le cap de la rentabilité. Mais elle n’est pas donnée à tout le monde. Pour cela, il faut avoir posé des bases solides très tôt. Les équipes accepteront les sacrifices qui s’imposent si les valeurs d’entreprises ont toujours été dans le sens de la frugalité et de la transparence. On peut alors justifier les décisions de décroissance par des chiffres. A contrario, si les structures de l’entreprise ont toujours été opaques, il sera difficile de s’appuyer sur des chiffres qu’on a toujours cachés.

Quand les entreprises vont bien, tout va bien. Mais ce sont les moments difficiles qui permettent de se rendre compte de la réalité du projet et des personnes qui y contribuent. Les valeurs refont surface. Pour traverser les crises, venir de la culture du bootstrap et de la frugalité peut aider. En tant que fils d’agriculteur, je reconnais les valeurs qui m’ont été inculquées très tôt, au contact de mon environnement familial : celles du temps long, d’abord, mais aussi le bon sens et la qualité des relations franches, saines et fidèles. Ce sont elles qui sont la clé de la résilience, même dans un environnement d’entreprise. Leur faire la part belle dès le moment de la fondation, même lorsqu’on a le vent en poupe, c’est s’assurer une pérennité en temps de crise. 

Les récents événements politiques, notamment la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron après les élections européennes, ajoutent une couche d'incertitude. Cette instabilité pourrait ouvrir la porte à des partis politiques extrêmes prenant le pouvoir, avec des conséquences économiques potentiellement désastreuses. Une telle situation pourrait exacerber les défis financiers actuels, perturbant encore davantage le marché et rendant la résilience des entreprises plus cruciale que jamais.

On peut choisir, bien sûr, d’avoir une stratégie financière, en cycles très courts, les yeux rivés sur l’exit. Mais  rien ne vaut la stratégie du temps long et de la résilience. Et ce n’est pas seulement une question de valeurs. Il en va aussi de la survie d’un projet entrepreneurial. Résilience, transparence, frugalité : voilà ce qui permet aux entreprises de tenir leur cap malgré les fluctuations du marché.