Benoist Grossmann (Eurazeo) "Dans chaque crise il faut saisir des opportunités, et cette fois, elles sont en Europe et en France"
Benoist Grossmann, managing partner chez Eurazeo et co-président de France Digitale, décrypte la correction des valeurs technologiques à Wall Street.
JDN. En tant qu'investisseur dans la tech, comment expliquez-vous la récente déroute du Nasdaq ?

Benoist Grossmann. Nous sommes en train de vivre l'Histoire. Les 50 premiers jours de la présidence Trump marquent un tournant, notamment après l'entretien crucial dans le Bureau ovale avec le président Zelenskyy. Si le programme initial de libéralisation économique était perçu favorablement par les marchés, la politique d'instauration de droits de douane ont rapidement inquiété les investisseurs. Globalement, les droits de douane ne sont avantageux pour personne : ni pour les importateurs, ni pour les exportateurs. Des simulations d'analystes américains prédisent une récession si les mesures sont imposées. Et d'un point de vue géopolitique, Donald Trump a annoncé pour la première fois depuis 70 ans que les Etats-Unis ne défendront plus l'Europe. Une secousse qui a déstabilisé les marchés.
Ce sont principalement les géants de la tech qui ont accusé le coup. Selon vous, cela présage une vraie récession économique ou un simple rééquilibrage après un emballement ?
Il y a clairement une bulle dans l'IA. La moindre start-up qui se finance vaut une fortune. Les investisseurs sont donc prêts à payer des actifs hyper valorisés, mais dès qu'un doute s'instaure, il entraine des corrections de 10 à 40%. Et nous le voyons aujourd'hui à Wall Street. Cependant, les valeurs avaient pris une telle croissance ces derniers mois que la chute est relative. Nvidia n'a baissé que de 20% par rapport aux pics alors qu'elle avait augmenté de 3 000%. A cela s'ajoute les frasques géopolitiques de Donald Trump.
Comment réagissent les investisseurs français ?
La semaine prochaine, Eric Lombard réunit à Bercy tous les investisseurs institutionnels pour établir le financement dans la souveraineté technologie et défense. Le bousculement aux Etats-Unis est tellement violent que les Européens sont obligés de prendre des décisions très rapides pour assurer une souveraineté qui semble fondamentale.
Je vous fais un pari : là où la deuxième initiative Tibi a pris deux ans, un "Tibi défense" va éclore dans quelques semaines et se conclure nettement plus rapidement pour financer la défense dont les budgets vont doubler. Les secteurs de la défense et de la technologie française pourraient être les grands bénéficiaires de cette reconfiguration des relations transatlantiques. Dans chaque situation de crise il faut saisir des opportunités, et ici, elles sont en faveur des investisseurs en Europe et en France.
La bulle de l'IA est-elle comparable à celle d'Internet dans les années 2000 ?
J'ai vécu la bulle internet de 2000 et toutes les bulles sont différentes. La bulle internet des années 2000 était caractérisée par une euphorie collective. A la fin des années 90, nous pensions tous qu'Internet allait révolutionner le monde - ce qui s'est effectivement produit - mais nous avions surestimé la rapidité de cette transformation. Du jour au lendemain, l'enthousiasme s'est évaporé et en à peine 10 jours, tout s'est effondré.
Je ne pense pas que la chute de la bulle IA soit aussi violente que la bulle Internet. On ne sait pas encore qui seront les gagnants de cette bulle entre les modèles de fondations ou les business au niveau applicatif. Les investisseurs font beaucoup d'anticipations et au moindre accroc tout tombe à l'eau.
Dans les bulles, il y a un fondamental : le digital. Il croît de plus de 10% par an depuis 25 ans. Lors des périodes de bulle, les investisseurs projettent une croissance explosive, avant que le marché ne se rationalise et revienne à ce rythme de progression plus soutenable