La coordination des soins, urgence oubliée de notre système de santé

Depuis plusieurs années, les innovations en santé ont largement mis en avant la télémédecine et les consultations à distance.

L’objectif était clair : simplifier l’accès aux soins, réduire les délais d’attente et rapprocher les patients de leurs praticiens. Les plateformes numériques se sont multipliées, proposant un suivi immédiat et une première réponse médicale, là où le système classique montrait déjà des signes de saturation. Cette révolution numérique a permis de franchir une étape importante, mais elle reste incomplète. Car si la télémédecine répond à un besoin ponctuel, elle n’apporte pas, à elle seule, de réponse durable aux défis structurels de notre système de santé.

La véritable transformation à venir réside dans la coordination des soins. C’est elle qui permettra de décloisonner les pratiques, de fluidifier les parcours de soins et d’assurer un suivi continu, au-delà de l’acte médical isolé.

Un besoin de coordination urgent et croissant

Le vieillissement de la population est une réalité incontournable. Selon l’INSEE, un Français sur cinq aura plus de 65 ans d’ici 2030 (source : Clariane). Cette transition démographique entraîne mécaniquement une augmentation des besoins en suivi médical et en accompagnement.

Parallèlement, la France compte déjà près de 20 millions de personnes vivant avec au moins une maladie chronique, soit environ un tiers de la population (source : PMC – Chronic disease prevalence in France). Ces patients nécessitent un suivi régulier, souvent multidisciplinaire, qui ne peut se limiter à des consultations ponctuelles.

Dans le même temps, le virage ambulatoire – c’est-à-dire le développement des soins réalisés hors de l’hôpital – accentue la nécessité de solutions de coordination solides. Les patients sortent plus tôt des établissements de santé et doivent pouvoir être suivis à domicile, avec une transmission d’informations fluide entre médecins, infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes et aidants. Aujourd’hui, trop souvent, cette continuité est rompue, et le patient devient le seul "vecteur" d’information entre ses différents interlocuteurs.

Une révolution encore trop discrète

La coordination des soins consiste à aller au-delà de la simple consultation pour construire un écosystème dans lequel chaque acteur intervient en synergie, au bon moment et avec les bonnes informations. Cela signifie que les données de santé, lorsqu’elles sont partagées en toute sécurité, permettent de réduire les redondances, d’éviter les prescriptions inutiles et d’anticiper les complications.

Des modèles étrangers montrent que cette ambition est réalisable. En Suède, où le système de santé est fortement numérisé et interconnecté, la coordination permet une meilleure prise en charge des patients chroniques, tout en limitant les hospitalisations évitables (source : PMC – Digital health in Sweden). L’expérience suédoise illustre comment une approche centrée sur l’intégration des données améliore la fluidité du parcours patient et génère, à terme, des économies substantielles.

En France, l’initiative Mon espace santé constitue un premier jalon important. Lancée en 2022, cette plateforme vise à permettre à chaque citoyen de stocker et partager ses informations médicales de manière sécurisée, accessible par les professionnels autorisés (source : Ameli.fr). Mais la mise en œuvre reste encore inégale, et beaucoup de praticiens peinent à intégrer ce nouvel outil dans leur quotidien faute d’interopérabilité avec leurs logiciels habituels.

Innover pour bâtir un modèle durable

La healthtech dispose aujourd’hui d’une opportunité unique : investir dans des infrastructures numériques robustes et interopérables, capables de relier efficacement les différents acteurs du système. L’enjeu n’est pas de multiplier les services isolés, mais de bâtir des plateformes conçues comme de véritables “colonnades numériques”, soutenant l’ensemble de la chaîne de soins.

Ces solutions doivent répondre à plusieurs impératifs : garantir la sécurité et la confidentialité des données de santé dans le respect du RGPD, s’intégrer facilement dans les outils existants afin d’être adoptées par les professionnels, et rester accessibles pour éviter d’accentuer la fracture numérique entre patients.

Ce type d’innovation, centré sur le lien plutôt que sur l’acte médical isolé, représente le cœur de la prochaine révolution en santé numérique.

Une priorité dans un contexte budgétaire sous tension

La question n’est pas seulement médicale ou technologique : elle est aussi économique. Les dépenses de santé représentent près de 12 % du PIB en France, un niveau parmi les plus élevés d’Europe (source : WHO – Health System Summary France 2024). Face à des finances publiques contraintes, le gouvernement cherche à rationaliser les coûts, comme en témoignent les réformes récentes sur l’hôpital et le financement de la médecine de ville.

La coordination des soins apparaît alors comme un levier stratégique : mieux organiser le parcours permet de réduire les hospitalisations évitables, de limiter les actes redondants et de fluidifier l’utilisation des ressources médicales. Elle contribue à réconcilier deux objectifs souvent présentés comme contradictoires : améliorer la qualité des soins tout en réduisant les dépenses.

Vers une santé plus connectée et humaine

L’avenir de la santé connectée ne repose pas uniquement sur des innovations technologiques spectaculaires, comme l’intelligence artificielle appliquée au diagnostic ou les dispositifs médicaux connectés. Il dépend surtout de la capacité à créer un écosystème cohérent et collaboratif, où les systèmes communiquent et où les patients ne sont plus laissés seuls pour gérer leur parcours.

La coordination des soins est donc bien plus qu’un enjeu technique : c’est un projet collectif qui implique les pouvoirs publics, les professionnels de santé, les acteurs de la healthtech et les patients eux-mêmes. C’est aussi la condition pour que la santé digitale tienne sa promesse : celle d’une médecine plus efficace, plus humaine et plus accessible