"J'aurais pu gagner 320 000 euros" : ces business angels qui ont refusé une future licorne
Quand un investisseur effectue une jolie culbute sur une start-up, il ne se fait généralement pas prier pour raconter son coup de génie. L'inverse est plus rare. Pourtant, rater une belle opportunité fait partie de la vie d'un business angel. Deux d'entre eux, qui ont manqué Qonto et la licorne allemande n8n, racontent leur erreur.
"Je connaissais bien Alexandre Prot avant qu'il ne lance Qonto (en 2016, ndlr). Au moment de la première levée de fonds de la boîte, j'aurais pu mettre un ticket", raconte Corentin Orsini, patron de Super Capital. Pour Jérémy Goillot, désormais investisseur notamment dans Swan,, l’histoire débute de la même façon. "A l'époque, je travaillais chez Spendesk. On était l'un des premiers clients de n8n et j'étais régulièrement en contact avec le fondateur. Quand ils ont levé des fonds fin 2020, il m'a proposé d'investir.
Pourtant, nos deux interlocuteurs ont finalement refusé de sauter le pas. Et avec du recul, ils peuvent s'en mordre les doigts. Qonto, la néobanque pour les pros, est l'une des entreprises les plus connues de la French tech et a atteint une valorisation de 4,4 milliards d'euros en 2022. n8n, plateforme allemande d'automatisation de workflows, a levé 155 millions de dollars en octobre dernier sur la base d'une valorisation de 2,5 milliards d'euros. Mais à l'époque, nos deux business angels n'avaient pas imaginé un tel destin pour ces deux futures licornes.
"Sans cette histoire de cigarettes, j'aurais sans doute investi dans Qonto"
"A l'époque, l'écosystème fintech était balbutiant. On avait très peu de belles réussites comme aujourd'hui. Et moi-même, je débutais en tant que business angel", se rappelle Corentin Orsini. "Mais si je n'ai pas investi dans Qonto, c'est surtout parce que quand je côtoyais Alexandre Prot, il dirigeait une entreprise de cigarettes électroniques connectées qui ne m'inspirait pas vraiment. Je l'avais associé à ce business un peu étrange. Mais j'adorais la personne. Sans cette histoire de cigarettes, j'aurais sans doute investi dans Qonto".
"Je n’avais encore jamais investi dans une start-up allemande et j’avais sous-estimé la partie administrative : il fallait signer chez un notaire en Allemagne, et je n’avais clairement pas la motivation pour ça. Au moment de donner ma réponse au fondateur, j’étais en quarantaine dans un hôpital au Panama, positif au covid pendant mes vacances. Je lui ai donc indiqué de ne pas compter sur moi car ce serait trop compliqué", se souvient Jérémy Goillot. Le plus rageant ? L’occasion s’est présentée une seconde fois : "Six mois plus tard, le fondateur me recontacte pour remplacer un investisseur qui s’était désisté. Mais je n’étais pas convaincu par le produit. Quand j'étais chez Spendesk, ils n’avaient pas effectué les ajustements que nous leur avions demandés. Je n’allais pas mettre 10 000 euros dans un projet qui ne m’enthousiasmait pas spécialement".
Des regrets et des enseignements
Une erreur de jugement qui lui coûtera cher. "La valorisation de n8n a été multipliée par 32 depuis. J'aurais pu gagner 320 000 euros". De quoi nourrir des regrets ? "On a toujours des regrets mais en même temps c'est le jeu. J'ai aussi réussi des beaux investissements avec Swan, Hightouch ou Attio. A chaque nouvelle levée de fonds de n8n, j'ai des amis qui m'envoient un message pour me charrier. Il y a cinq ans, personne n'aurait pu savoir que la boîte allait exploser. Je n'avais pas argent illimité et j'avais des projets personnels en préparation", indique celui qui a désormais fondé The Mobile First Company, une start-up qui développe des applications business pour les PME. "Quand tu vois ce qu'est devenu Qonto, on a forcément des regrets", admet aussi Corentin Orsini, qui depuis a fondé Super Capital, un réseau de business angels. "En 2022, j'ai profité d'une vente secondaire pour rentrer au capital de l'entreprise. Mais les valorisations étaient déjà élevées. Je ferai un petit multiple, c'est toujours ça".
Malgré tout, les deux business angels ont tiré des enseignements de ces rendez-vous manqués. "Désormais, je regarde d’abord la personne plutôt que son historique entrepreneurial. Quand je rencontre quelqu'un de brillant mais qui a un business douteux, je ne vais pas me bloquer. Je vais surveiller son prochain projet", relate Corentin Orsini. "Je n'investis plus que dans des start-up américaines ou françaises, car je connais les juridictions. Surtout, je fais moins traîner mes décisions. Soit j'investis directement, soit je passe à autre chose", indique Jérémy Goillot. Pas de rendement, donc, mais un enseignement.