Alice Zagury (Co-fondatrice et CEO de TheFamily) "Nous cultivons le secret pour créer une tension chez les investisseurs"

L'ancienne manager du Camping est aujourd'hui la co-fondatrice et CEO de TheFamily. Déjà actionnaire de 42 start-up, l'accélérateur vise, à terme, la centaine de participations.

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Alice Zagury, 28 ans, est la co-fondatrice et CEO de TheFamily. © Nelly Zagury

JDN. Pourquoi créer TheFamily en se passant de fonds publics, alors que Le Camping était soutenu par la Région Ile-de-France ?

Alice Zagury. A l'époque de la création du Camping, seule une structure semi-publique pouvait tenter de créer le premier accélérateur français. C'était un risque capitalistique énorme. Depuis, de nombreuses structures privées se sont créées : Le Camping a rendu le modèle de TheFamily possible. Après avoir mené pendant plus de deux ans l'aventure du Camping, j'ai eu envie de passer à l'étape supérieure, d'accélérer plus de start-up, et surtout de devenir complètement indépendante. J'avais le goût de l'entreprenariat, et j'avais besoin de pouvoir être disruptive dans l'innovation, de transformer le paysage du secteur. Je voulais me positionner de manière clivante. Nous avons levé des fonds en février 2013 avant de nous installer dans une maison dans le Marais. Notre parti-pris : pour être radical, il faut être indépendant. En trois mois, nous avons reçu 800 candidatures.

Pouvez-vous nous présenter vos co-fondateurs ?

J'ai rencontré Oussama Amar alors qu'il était de passage à Paris. Il a appris à coder à 12 ans, a vendu deux boîtes avant d'en avoir 18. Il a ensuite monté Hypios, échec commercial mais succès d'estime. Il a levé trois millions auprès de 90 investisseurs. Il était jeune, il a fait des erreurs et a fini par se faire éjecter. Ensuite, il est resté un temps dans la Silicon Valley et a pris des tickets dans diverses start-up. Quand il est arrivé au Camping, pour une rencontre avec nos entrepreneurs, il avait 25 ans. Il a eu un impact direct sur les start-up. Il a réussi à créer une relation concrète et pragmatique qui fait de lui un très bon mentor. Très vite, les entrepreneurs ont fait la queue pour le rencontrer en "office hour" et je lui ai demandé de devenir entrepreneur en résidence. Ça a été un vrai coup de cœur professionnel. Notre ambition, quand nous avons commencé à penser à monter The Family, était d'accompagner 100 start-up par an. Impossible sans emmener dans l'aventure l'ensemble des acteurs qui comptent : les start-up, les investisseurs, mais aussi les membres du gouvernement et les grands groupes. C'est là qu'est intervenu Nicolas Collin, le troisième co-fondateur. Enarque, inspecteur des finances, expert du numérique et auteur d'un rapport sur la fiscalité du numérique... Il avait les relations dont nous avions besoin.

Qu'est-ce que TheFamily offre aux start-up ?

Une éducation et des privilèges contre 1% du capital. Nous avons déjà investi dans 43 start-up et nous leur proposons tout un pan événementiel : des rencontres avec des entrepreneurs en pleine ascension, des VC... Un cabinet législatif pensé pour les jeunes pousses les accompagne. Ensuite, l'accompagnement dépend du stade de la start-up. Le premier niveau, "phœnix", correspond au passage du problème à un produit. On se concentre alors sur des workshops collectifs et un accompagnement online. Pendant la deuxième phase, le produit est transformé en traction. L'accompagnement est alors customisé, en face à face (office hours). Enfin, quand la traction a permis de créer un business model scalable, on recherche les meilleurs experts et on organise des sessions spéciales qui peuvent durer plusieurs jours. En parallèle, nous négocions des packages, des produits et services nécessaires aux entrepreneurs et auxquels ils peuvent accéder gratuitement ou à prix réduits.

Vous cherchez même un château en Normandie pour accueillir les entrepreneurs...

A Paris, nous n'avons pas d'espace de co-working. Notre valeur ajoutée, c'est notre accompagnement, pas un bureau et un téléphone. Ceci dit, on se rend compte que les entrepreneurs ont parfois besoin, à certaines périodes de la vie d'une start-up, d'un lieu dédié pour une phase de réflexion. Pour décider d'un pivot quand ça ne marche plus, par exemple. Un endroit où ils n'ont pas à se soucier des contingences matérielles. Le business model est viable : selon nos prévisions, en accueillant des entrepreneurs pour de courtes périodes, qu'ils fassent partie de TheFamily ou non, cela pourrait être rentable en deux ans. Nous espérons pouvoir lancer cette activité d'ici neuf mois.

Vous ne révélez pas tous les noms des start-up que vous soutenez. Pourquoi ?

Nous avons choisi de cultiver le secret. Selon nous, il est primordial d'être fin prêt quand on rencontre les investisseurs. Sans compter que les investisseurs aiment être traités de façon privilégiée. Garder la liste de notre liste secrète, c'est créer de la tension parmi eux. ça nous permet aussi de n'envoyer que des messages de qualité. Tant que les entrepreneurs n'ont rien à raconter aux médias et investisseurs, on leur demande de faire profil bas. On attend qu'ils aient une vraie traction – beaucoup d'utilisateurs, par exemple-, des données concrètes pour montrer une vraie croissance de semaine en semaine. Une fois qu'on a cette force, nous allons à la rencontre des fonds d'investissement que nous apprécions (Elaia Partbners, XAnge, Partech, 360, Alven, et aussi Index Ventures, qui est aussi l'un de nos investisseurs), qui savent que l'on a totalement confiance. Nous pouvons alors nous permettre de leur demander une réponse en moins d'un mois, quand cela prend parfois 6 mois en temps normal. Le fléau de l'écosystème, c'est le temps. Les start-up sont dévoilées une fois prêtes, comme l'ont été Bunkr, Air-detox, Algolia...

Quel est votre business model ?

A long terme, nous comptons sur les tickets d'1% pris dans les start-up. Mais 90% d'entre elles échouent. Par contre, l'accélérateur crée des gens habiles, expérimentés. De plus en plus de grosses entreprises rachètent des start-up parce qu'elles ont une bonne équipe et un produit technique qui a une valeur, même s'il ne rencontre pas de clients. Nous avons déjà eu deux propositions de rachat par des PME innovantes. En tant qu'accompagnateur et créateur de l'opération, nous touchons une part de la revente (en général, moins de 10% du prix du rachat).

L'arrivée des accélérateurs est un phénomène très récent, en France...

L'écosystème français est toxique. Il fait fuir les meilleurs éléments. La raison principale est que tout ce qui a été pensé par l'Etat pour accompagner l'innovation l'a été en fonction d'une petite entreprise. Or, si une entreprise exploite un business model, une start-up le recherche encore. Les jeunes entrepreneurs ne savent pas encore comment monétiser leur service ou combien de CA ils peuvent espérer sur cinq ans. Malgré ça, en France, le potentiel pour un accélérateur est énorme. Paradoxalement, parce que les investisseurs étrangers ne veulent pas y venir, après des affaires comme Yahoo/Dailymotion. Cela crée une opportunité pour nous. On sait qu'il existe des start-up prometteuses et que les barrières culturelles (la peur du risque, la réticence à parler anglais...) peuvent être réversibles. Et puis, si on y arrive en France... On peut y arriver partout dans le monde !

Alice Zagury est diplômée de l'EM-Lyon. En 2008, elle rejoint Silicon Sentier pour monter l'incubateur art et technologie du 104. Elle voyage à travers l'Europe à la découverte des différents écosystèmes digitaux innovants. En 2010, elle lance le premier accélérateur français, Le Camping par Silicon Sentier. 4 saisons, 36 startups et 18 levées de fonds plus tard, elle décide de cofonder TheFamily. L'accélérateur offre un programme d'éducation et de privilèges qui adresse autant les startups, investisseurs, les corporates que les membres du gouvernement. Elle en est aujourd'hui la CEO.