Jean-Marc Tassetto (Co-fondateur de Coorpacademy) "Je lance Coorpacademy, un MOOC de formations pour entreprises"

Il a quitté la tête de Google France fin mars pour lancer un MOOC B2B. Jean-Marc Tassetto revient sur les raisons qui l'ont poussé à faire ce choix et raconte en exclusivité sa nouvelle vie au JDN.

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Jean-Marc Tassetto, ex-DG de Google, est le co-fondateur de Coorpacademy. © J-M Tassetto

JDN. Vous venez de lancer la Coorpacademy. Pouvez-vous nous présenter votre start-up ?

Jean-Marc Tassetto. Nous sommes positionnés sur la formation payante en B2B. Coorpacademy propose des MOOC aux entreprises pour former leurs employés sur des thèmes liés à la transformation de l'entreprise: management de l'innovation, formation au digital... Cela leur permet de diviser les coûts de formation par dix. J'ai créé la société le 1er juin aux côtés de deux cofondateurs, Arnaud Mitre (ex-Google) et Frederick Benichou (fondateur de la web agency Planète Interactive et de Teaminside). Nous nous sommes financés en fonds propre, d'une part pour développer la plateforme, d'autre part pour produire un premier cours, la "digital academy", et illustrer notre démarche. Nous travaillons actuellement à la recherche de prospects. Nous espérons finaliser trois ou quatre belles signatures avec de grosses entreprises d'ici fin décembre, c'est en très bonne voie. Notre objectif est de financer notre développement par l'activité commerciale. Nous envisageons aussi l'arrivée de fonds au capital en 2014 pour accélérer le développement à l'international, mais rien n'est fixé.

Comment l'idée a–t-elle germé ?

La création de CoorpAcademy est d'abord liée à des rencontres fortes chez Google, notamment avec Peter Norwig, le directeur scientifique en charge du développement de la plateforme MOOC de Google. Il a donné un cours à Stanford, en 2012, sur l'intelligence artificielle, à travers un MOOC, à 165 000 étudiants, et je l'ai rencontré peu après. Moi qui suis fils d'institutrice et ai toujours enseigné –Je suis professeur affilié à HEC Paris- ai été séduit par le concept. Cette capacité à former massivement plusieurs centaines de milliers d'étudiants avec un vrai protocole pédagogique, à élargir l'accès à la connaissance... Le grand mouvement des MOOC s'est déclenché en 2012 avec de grands portails comme Coursera, edX et la Khan Academy, qui a même fait la une de Forbes en novembre 2012. Très vite, j'ai pensé qu'il serait bon de transférer ces fonctionnalités à l'univers de l'entreprise.

Pourquoi avoir pris la décision de quitter la direction de Google France, en mars dernier, pour vous lancer dans l'entreprenariat ?

A un moment donné, j'ai été assez fou pour décider de quitter Google et de monter une entreprise. J'ai pris cette décision parce que je sentais que quelque-chose était en train de se passer avec les MOOC. J'ai senti qu'après avoir révolutionné le cinéma ou encore la presse, le Web allait bientôt modifier en profondeur le monde de l'éducation et l'apprentissage au sens large. Mes associés et moi avons voulu apporter quelque-chose au e-learning dans les entreprises à un moment où il était un peu en panne, embourbé dans un processus pédagogique top-down, trop passif. Nous voulons faire bouger les lignes.

Ma décision de partir s'est prise lentement, au travers de discussions avec des managers de Google, et aussi au sein de ma famille bien sûr. Le processus a duré environ six à neuf mois... Mais, avec le recul, je me rends compte que c'est sûrement l'aboutissement d'une réflexion de 30 ans ! J'ai eu envie de consacrer le dernier tiers de ma carrière à des projets entrepreneuriaux et de gagner en indépendance. Après avoir travaillé dans des grands groupes pendant des années (Lesieur, Danone, puis SFR en tant que directeur général de la division grand public et marketing, et enfin Google France, ndlr), c'est important. J'ai toujours eu la fibre entrepreneuriale, et être son propre boss fait partie de l'aventure. La décision de quitter Google, c'est en quelque sorte une conjonction de planètes : une carrière réussie dans des grands groupes, une opportunité sur un sujet qui fait beaucoup de sens, des rencontres décisives, et enfin l'existence d'une plateforme open source de Google pour les MOOC, Course-builder. Technologiquement, des solutions étaient déjà disponibles pour créer des outils. Sans ça, je ne sais pas si je me serais lancé. Coorpacademy crée des modules, des fonctionnalités qui correspondent à notre vision au-dessus de cette plateforme open-source : nous n'avions pas à partir de zéro.

Pourquoi vous être installé en Suisse ?

Nous avons basé notre start-up dans l'EPFL Innovation Park pour être au cœur d'un écosystème extrêmement favorable à notre projet, avec une dynamique et de nombreux grands experts autour des MOOC. L'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne est l'université la plus avancée en la matière. Pierre Dillenbourg, qui y est professeur, fait partie de ces cautions pédagogiques. Par ailleurs, l'équipe de la plateforme Course-builder de Google est basée à proximité, à Zurich. Nous avons également des bureaux commerciaux à Paris, Villa Guizot.

Passer d'un grand groupe à une start-up... Comment l'avez-vous vécu ?

Etre entrepreneur n'était pas totalement nouveau pour moi : dans les années 1980, alors que j'étais installé dans la technopole Sophia Antipolis en tant que professeur au CERAM, j'ai lancé une start-up liée au marketing relationnel et aux programmes de fidélisation. J'ai même intégré l'incubateur du sénateur Pierre Lafitte. Cette période m'a laissé un très bon souvenir. L'entreprenariat, j'ai ça en moi.

Quelles compétences développées au cours de votre carrière vous avantagent dans votre création d'entreprise ? Lesquelles vous manquent ?

Je capitalise bien sûr sur ma connaissance de l'entreprise développée au fil des années. J'ai pu constater en travaillant chez Google à quel point la culture digitale des entreprises est hétérogène. Ça nous a aidés à faire des choix sur les cours avec lesquels démarrer, par exemple. Nous avons commencé par proposer un cours de formation au digital, un thème important lié à la transformation des entreprises. Par contre, en me lançant dans l'entreprenariat, il a fallu que j'apprenne à me débrouiller seul, sans assistant, avec une équipe réduite. Il faut prioriser, aller à l'essentiel. Chaque minute compte, encore plus que dans les entreprises par lesquelles je suis passé. La focalisation est très importante. Lancer une start-up, c'est s'y consacrer nuit et jour, week-end compris, sans se disperser. Mis à part quelques mandats d'administrateur dans des entreprises technologiques, dont Fullsix, j'ai mis de côté toute autre activité.

Jean Marc Tassetto est diplômé de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris(ESCP) et titulaire d'un DEA de Sciences de Gestion. Il a commencé sa carrière en tant que chef de marque pour Lesieur, puis Danone, et a ensuite occupé la fonction de directeur marketing à Danone. Il rejoint ensuite SFR en 1997, où il devient directeur général Grand Public. En 2010, il devient Président de Google France. Il quitte ses fonctions en 2013 pour créer la Coorpacademy. Il a aussi enseigné, un temps, au sein du département marketing du CERAM de Sophia Antipolis. Jean-Marc Tassetto est professeur affilié à HEC-Paris et membre de l'advisory board de l'ESCP Europe.