Niklas Zennström (Atomico) "Une bulle ? Il ne faut pas comparer la situation actuelle aux années 2000"

Fondateur de Kazaa, Skype ou Joost, Niklas Zennström est désormais à la tête du fonds d'investissement star Atomico. Il livre au JDN son analyse de l'évolution du Web et de ses dernières tendances.

Quelle est la stratégie d'investissement de votre fonds, Atomico ?

Niklas Zennström est le fondateur d'Atomico © Atomico

Lorsque nous avons créé Atomico Ventures il y a dix ans, nous pensions que les fondateurs de start-up à succès étaient les plus à même de conseiller et d'aider la future génération. Parmi ces entrepreneurs de renom, je peux citer Bret Hoberman (Lastminute et Made.com), Ikka Paananen et Mikko Kodisoja (Supercell) ou encore Alex Asseily (Jawbone).

Notre focus est d'investir dans des entreprises qui ont l'ambition de devenir des leaders dans leur secteur. Nous n'apportons pas simplement de l'argent aux entrepreneurs, nous leur fournissons aussi des conseils pour leur permettre de scaler leur start-up à l'international. Si l'Europe est historiquement le marché de prédilection d'Atomico, nous avons également réalisé des investissements ailleurs, comme aux US, en Amérique latine et en Asie.

 

Quel regard portez-vous sur l'écosystème des start-up en Europe, et plus particulièrement en France ?

L'écosystème européen s'est relativement bien développé ces dernières années, et c'est également vrai pour la France. Une ville comme Paris ne comptait par exemple qu'une poignée de business angels il y a trois ans. Historiquement, notre regard se portait plutôt sur des villes comme Berlin, Londres et Stockholm. Mais aujourd'hui, beaucoup de belles entreprises sont aussi créées à Paris.

 

On parle beaucoup de la réalité virtuelle comme d'une véritable révolution. Quel est votre point de vue ?

Les premières plateformes de réalité virtuelle viennent tout juste d'arriver sur le marché. Considérant le nombre de casques de réalité virtuelle, de type Oculus, qui ont été vendus, le marché est aujourd'hui limité en termes de volume. Néanmoins je pense que nous n'en sommes qu'au tout début et que les ventes de ces casques devraient progresser au cours des 5 prochaines années. Les appareils deviendront sûrement moins onéreux, plus puissants et plus facilement transportables.

C'est donc évidemment un secteur que nous regardons avec attention. Tous ceux qui ont testé ces casques décrivent une expérience fantastique. Malgré tout, même s'il est possible que la réalité virtuelle fasse partie de notre quotidien d'ici une dizaine d'années, ce n'est pas encore le cas aujourd'hui.

 

Avec l'explosion actuelle du nombre de licornes, pensez-vous que nous soyons actuellement dans une bulle ?

Il ne faut pas comparer la situation actuelle à celle des années 2000. A cette époque, il y avait énormément d'attentes, mais pas d'infrastructure. On dénombrait alors 280 millions d'internautes, contre plus de 3 milliards aujourd'hui. Depuis, l'e-commerce est devenue une industrie à part entière et des modèles de monétisation ont fait leurs preuves. Chaque année, de plus en plus de start-up sont créées et de smartphones sont vendus. Nous passons également plus de temps sur Internet. En clair, ce n'est pas comme si une entreprise du Web allait faire faillite parce qu'il n'y avait pas de demande.

 

Comment expliquez-vous alors les valorisations exorbitantes de certaines start-up ?

"Le modèle de Spotify semble fonctionner"

Il ne faut pas confondre ce qui se passe sur les marchés financiers avec le reste. Les valorisations dont vous parlez existent surtout aux Etats-Unis où un nombre croissant d'investisseurs se sont mis à investir en Late Stage. Il se peut donc que nous assistions à des ajustements de certaines valorisations, mais ces corrections de prix concerneront principalement les Etats-Unis où énormément de capital circule. Cela sera beaucoup moins le cas en Europe où les valorisations sont moins importantes

 

Pensez-vous que l'achat de musique a de l'avenir ou bien que le modèle du streaming musical va devenir prédominant ?

Je pense qu'en effet le modèle consistant à acheter séparément des morceaux ou des albums de musique est en train de basculer vers le streaming. Si vous y pensez, dépenser 7 ou 10 euros par mois pour avoir un accès illimité à la musique du monde entier revient quasiment au même prix que de payer 3 cafés dans un Starbucks. Et les gens ne s'y trompent pas.

De plus, les leaders du marché, comme Spotify, ont réussi à mettre en place des modèles freemium qui semblent fonctionner, en convertissant des utilisateurs gratuits en payants. Malgré tout, ces modèles de monétisation évolueront sûrement avec le temps et différeront selon les marchés.

 

Pensez-vous que Deezer ait les capacités et ressources pour se faire une place sur le marché compétitif du streaming musical ?

"Le peer-to-peer" est un modèle person-to-person"

Je ne peux pas vraiment faire de commentaire sur Deezer dans la mesure où je n'ai pas particulièrement suivi l'entreprise. Néanmoins, je ne pense pas que le marché du streaming musical soit nécessairement un marché "one winner takes all". Il y a, à mon sens, de la place pour plusieurs acteurs. Pour autant, c'est un marché qui nécessite un développement à grande échelle.

 

En tant que spécialiste des modèles peer-to-peer, quelles tendances observez-vous actuellement ?

Si vous mettez le côté technologique de côté, le peer-to-peer est en fait un modèle person-to-person. Cette notion de partage est aujourd'hui très présente dans le Web, ce qui est une bonne chose. Je pense par exemple à certains services financiers qui permettent à des particuliers de se prêter de l'argent et ainsi éviter de faire appel aux banques. Je crois beaucoup en ces modèles et je pense que cette tendance va perdurer.

De la même manière, des plateformes comme Airbnb ou Blablacar qui permettent à des personnes de partager leurs ressources, tout en gagnant de l'argent, sont intéressantes. Les comportements sont en train de changer et c'est une bonne nouvelle pour le monde. Il s'agit pour moi d'une évolution naturelle.

 

Lorsque vous avez créé Skype, quelle a été votre stratégie pour acquérir vos premiers utilisateurs ?

"Ne craignez pas l'échec"

A l'époque du lancement de Skype, nous avions la chance de bénéficier d'une certaine notoriété car nous étions connus pour avoir créé Kazaa (une plateforme de téléchargement P2P créée en 2001, ndlr). Lorsque nous avons lancé Skype, nous avons donc eu l'idée de le présenter à la presse comme "un service de téléphonie P2P développé par les fondateurs de Kazaa". Cela nous a permis d'obtenir plusieurs parutions dans les médias, et d'attirer nos premiers early-adopters. Skype était aussi un service viral par défaut : si vous vouliez l'utiliser avec vos amis, il fallait qu'ils l'installent également.

 

Quel regard portez-vous sur Skype depuis son acquisition par Microsoft ?

Je suis vraiment fier de la croissance qu'a connue Skype depuis sa création. A chaque fois que je voyage, je rencontre beaucoup de personnes qui me disent utiliser Skype régulièrement pour communiquer avec leurs proches. Certes, le service a connu quelques améliorations et mises à jour depuis, mais il est globalement resté identique à que ce qu'il était à ses débuts.

 

Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs ? Envisagez-vous de vous lancer dans une nouvelle aventure entrepreneuriale ?

D'être audacieux, de ne pas craindre l'échec et surtout de suivre leur instinct ! Me concernant, une création d'entreprise n'est pas à l'ordre du jour. Mon objectif est au contraire d'aider des entrepreneurs à réussir via Atomico. Si je détecte une opportunité, mon réflexe serait plutôt de trouver le bon entrepreneur et de l'accompagner dans le développement de son entreprise.

 

Niklas Zennström est le CEO d'Atomico, un fonds d'investissement basé à Londres qu'il créé en 2006. Il est également connu pour être l'un des fondateurs de Skype. L'entreprise sera vendue à eBay en 2005 pour 3,1 milliards de dollars et il en restera le CEO jusqu'en septembre 2007. Avant Skype, il avait également cofondé la plateforme de téléchargement P2P Kazaa. Il fondera par la suite d'autres entreprises parmi lesquelles Joost et Joltid. En 2006, Niklas Zennström a été cité par le magazine Times parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde. Il est diplômé d'un MSc en Physique et Science Informatique de l'Université d'Uppsala en Suède.