Station F va-t-il faire de l'ombre aux accélérateurs de start-up ?

Station F va-t-il faire de l'ombre aux accélérateurs de start-up ? Le projet de Xavier Niel veut réunir tout un écosystème entrepreneurial sous un seul et même toit. Une offre qui ne sera pas sans effet pour les accélérateurs en place.

Xavier Niel a beau délivrer les interviews au compte-goutte, l'homme a un talent certain pour attirer la lumière. Son dernier projet en date, Station F, inauguré en grandes pompes par le président Macron, ne fait pas exception. Car l'ambition de Xavier Niel est à la mesure de la superficie de l'espace de 34 000 m2 : colossale.

Son but est de réunir tout un écosystème entrepreneurial sous un seul et même toit. Comptoir Urssaf, guichet La Poste, bureaux de fonds de capital-risque… tout est à portée de main pour le millier de start-up attendues. Une proposition inédite qui risque de rebattre les cartes du marché florissant de l'accompagnement des start-up. Station F va-t-il siphonner tous les jeunes talents qui se tournaient jusque-là vers les pépinières d'entreprise, incubateurs et accélérateurs du microcosme parisien ?

La réponse parait évidente pour les deux premières typologies d'acteurs dont la valeur ajoutée se trouve d'abord du côté de l'infrastructure qu'ils proposent. "L'offre imbattable de Station F va surtout faire du tort aux pépinières et aux espaces de coworking. Je pense notamment à WeWork où le poste de travail se monnaie deux fois plus cher", juge Romain Cochet, directeur de l'accélération au sein de Numa. Il faut dire que Station F n'a pas pour vocation à gagner d'argent, mais seulement à s'autofinancer, d'où un coût de 195 euros par mois seulement par poste de travail.

En ce qui concerne les accélérateurs comme Numa, 50Partners, The Family ou encore Day One Entrepeneurs & Partners (anciennement l'Accélérateur),  il est beaucoup plus difficile de mesurer l'impact de l'arrivée de Station F, dont le gros de l'offre n'est pas encore opérationnel. Deux options s'offriront aux pensionnaires : intégrer le "Founders Program" dirigé par l'équipe de Station F ou rejoindre l'un des 26 programmes d'accélération chapeautés par des entreprises comme Facebook, Vente-Privée ou Microsoft.

Il en coûtera 195 euros par mois et par poste de travail aux 200 start-up sélectionnés ans pour rejoindre le "Founders Program". Un tarif qui leur donnera accès dès janvier 2018 à toutes les prestations du site (60 salles de réunion, événements, coaching d'entrepreneurs, wi-fi illimité...). Avec une profession de foi chevillée au corps : "90% des problèmes des entrepreneurs trouvent une solution… chez les autres entrepreneurs". Une déclaration qui prend le contrepied du système de mentoring prôné par les acteurs de l'accélération. Et la tentation peut être grande pour une start-up qui compte trois membres de débourser 600 euros par mois pour intégrer le programme… plutôt que de lâcher entre 3 et 5% de son capital à un accélérateur.

"Station F, c'est l'Amazon Web Services de l'écosystème start-up"

Pour Boris Golden, principal en charge de l'amorçage chez Partech, l'offre de Station F diffère pourtant de celle des accélérateurs. "Station F, c'est l'Amazon Web Services de l'écosystème start-up, analyse-t-il. C'est-à-dire une infrastructure de base et un cadre structurant. La valeur ajoutée d'un accélérateur est plus centrée sur le business lui-même, nous explique celui qui est à la tête d'un fonds d'amorçage de 100 millions d'euros. Elle réside dans son programme de mentoring et sa capacité à aider l'entrepreneur à trouver sa proposition de valeur : un produit en adéquation avec les attentes de ses clients.

Station F risque tout de même de drainer vers lui une partie des entrepreneurs qui se tournaient jusque-là vers ce type d'acteurs. "Certains entrepreneurs qui ne recherchent pas prioritairement l'accélération y vont pourtant car ils y ont l'assurance d'avoir un environnement structurant et start-up friendly", estime Boris Golden. Mais réticents à lâcher du capital pour une offre dont ils ne profiteront pas complètement, ils privilégieront Station F.

"Impossible de proposer un accompagnement aussi fin qu'un accélérateur classique quand on traite 200 start-up"

Reste que ce qui fait de Station F une offre aussi impressionnante, à savoir la quantité de start-up qu'elle va accompagner, est aussi la raison pour laquelle son offre s'éloigne du métier de l'accélération. "Ça me parait impossible de proposer un accompagnement aussi fin et appuyé qu'un accélérateur classique quand on traite 200 start-up", juge Jérôme Masurel. Le dirigeant de 50Partners ne compte pas les heures passées pour chacun des 5-6 pensionnaires qui rejoignent son giron chaque année. Les chiffres sont aussi incomparables du côté de Numa avec 8 start-up par promotion tous les 9 mois.

Les programmes lancés par les entreprises partenaires de Station F s'inscrivent toutefois dans des volumétries qui se rapprochent de celles des accélérateurs. Le "Start-up Garage" de Facebook va accueillir 12 jeunes pousses. "Impulse by Vente-privée" ambitionne d'en héberger 20 pendant 9 mois...

Si les termes d'accélérateur sont évoqués dans les programmes de présentation, Romain Cochet plaide la confusion sémantique. "Le 'start-up Garage' de Facebook est un programme de partenariat qui ambitionne d'aider les start-up à opérer au sein de la plateforme… et au passage y dépenser plus", s'amuse-t-il. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un œil aux start-up membres. Avec entre autre, Welcome to the jungle, Jam, Mapstr ou encore Alan. Des noms reconnus de la scène tech parisienne qui ont déjà fait de belles levées d'amorçage voir de série A… et ont clairement passé la case "accélération". Le spécialiste de l'IA, Jam, a d'ailleurs construit son offre alors qu'il était élève du Numa.

"L'accélération est un savoir-faire que peu d'entreprises maîtrisent vraiment, estime Romain Cochet.  C'est une activité exigeante où il faut savoir repérer les start-up qui ont du potentiel et ont un vrai besoin d'accompagnement." C'est précisément l'ambition de Vente-privee Impulse. L'e-commerçant détache pour ce faire 5 collaborateurs qui seront présents à temps plein pour aider les 20 start-up qui rejoindront à terme l'aventure. A sa tête, Ilan Benhaim, cofondateur et  directeur de l'Innovation de Vente-privee.

"L'accélération est un savoir-faire que peu d'entreprises maîtrisent vraiment"

Sur le papier un vrai programme d'accélération donc. Mais l'effort n'est pas suffisant pour convaincre un expert du sujet. "Je comprends l'intérêt de ces entreprises qui veulent être au cœur de l'écosystème et identifier, bien en amont, les services qui vont bousculer leur secteur. Mais je suis plus sceptique sur ce qu'elles peuvent apporter à leurs alumni, en termes de mentoring et d'accélération", tempère notre anonyme.

Le cofondateur de Vente-privee Jacques-Antoine Granjon n'élude pas l'intérêt direct de son entreprise lorsqu'il explique que "l'accélérateur est une brique concrète de plus pour nourrir notre R&D et notre veille permanente de nouveaux outils." Mais l'e-commerçant ne vient pas non plus chez Station F les mains vides. "Nous allons leur permettre de tester leurs solutions sur Vente-privee pour leur générer une crédibilité et des KPI clés, les mettre en relation avec notre réseau de 6 000 partenaires pour leur carnet de commande et leur assigner un membre de notre Comex comme mentor pour les encadrer sur toute la période d'accélération." Le tout sans contrepartie financière. Et à la clé, l'opportunité de pitcher au comité d'investissement Vente-privee.

S'il estime  qu'il est difficile de parler d'accélération, Romain Cochet souligne la complémentarité de ces offres. "Ce genre d'initiatives permet d'étoffer l'offre en matière d'accompagnement des start-up, estime-t-il. La mission de Numa diffère de celle d'un Facebook ou Vente-privee car nous accompagnons les start-up qui sont "pré-scale", sur le point de connaître une phase de forte croissance et de déploiement."

Station F va permettre de mettre Paris au dessus de Berlin et Londres

Jérôme Masurel estime que l'arrivée de Station F va contribuer à rendre l'offre d'accompagnement des start-up plus lisible. "Le marché va se structurer entre d'un côté les pépinières et de l'autre les accélérateurs", prédit-il. Romain Cochet reconnait lui que ce nouvel acteur va inciter Numa à améliorer sa proposition de valeur. "C'est à nous d'évangéliser le marché et d'expliquer ce que nous pouvons apporter." On peut déjà lire un billet médium qui explique comment l'un de ses élèves Califrais est passé à 100 000 euros de chiffre d'affaires en l'espace de 3 mois.

Une certitude, Station F va vite devenir incontournable. Numa va d'ailleurs y installer un programme baptisé Numa Scale Hub qui se veut une porte d'entrée à destination des start-up étrangères vers le marché français. Boris Golden sera lui aussi présent dans l'enceinte de la Halle Freyssinet, un jour par mois, pour prendre le pouls d'un écosystème en perpétuelle évolution. Un écosystème qui va permettre de faire de la France une start-up nation. "C'est l'occasion de placer Paris au-dessus de la mêlée et de concurrents comme Berlin et Londres", reconnait Romain Cochet.