Economie collaborative : une refonte de la réglementation fiscale est indispensable

Les nouvelles règles fiscales régissant les plateformes de l'économie collaborative handicapent injustement une majorité des acteurs de l'économie collaborative qui génèrent des revenus modestes.

Conformément aux dispositions de l’Article 242 bis du code général des Impôts, la campagne de transmission à la DGFiP par les plateformes de l’économie collaborative des informations sur les transactions réalisées par leurs utilisateurs a eu lieu pour la première fois le mois dernier. Suivant en cela la loi du 23 octobre 2018 relative à la fraude, les plateformes de l’économie collaborative doivent désormais transmettre annuellement à l’administration fiscale les informations relatives à leur activité. Ces éléments "doivent préciser le montant des transactions imposables à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en France réalisées par leurs utilisateurs et fournir des informations complémentaires quant à l'identification de ces derniers".

Le principe de fonctionnement est donc le même que pour les salaires (transmis au fisc par l'employeur) et les revenus de l'épargne (transmis au fisc par les banques) qui apparaissent déjà sur une déclaration pré-remplie. Une mesure drastique pour éviter les fraudes fiscales, entrée en vigueur depuis le 1er Janvier 2019, qui s’avère malheureusement disproportionnée et contre-productive, tant pour les plateformes que pour les utilisateurs

S’il est vrai que l’économie collaborative a parfois brouillé les frontières et le cadre fiscal entre particuliers, amateurs et professionnels, pour autant, la définition de l’économie collaborative fournie par l’administration est à la fois trop restreinte et trop large. : "une économie qui repose sur le partage ou l’échange entre particuliers de biens […], de services […] ou de connaissances […], avec échange monétaire (vente, location, prestation de service) ou sans échange monétaire (dons, troc, volontariat), par l’intermédiaire d’une plateforme numérique de mise en relation". Trop restreinte, car la mesure ne passe pas la porte des sites de vente d’occasion (qui pourtant proposent parfois des services proches, sans toutefois avoir le même suivi) et trop large car elle met à la même enseigne des géants comme Uber et Airbnb et des plateformes plus petites et spécialisées.

Car, qu’est-ce que l’économie collaborative au juste ? Au-delà des géants, qui sont plutôt des exceptions que des règles dans ce secteur, il s’agit pour l’essentiel de plateformes proposant des services d’entraide et de mise en relation entre particulier, pour sortir des logiques traditionnelles de la surconsommation. Cela peut prendre la forme de prêts, de trocs, mais aussi de rétributions symboliques. C’est le cas d’une personne aidant un voisin à déménager ou celui d’un bricoleur du dimanche qui fait des petits dépannages dans le quartier. Quand ce n’est tout simplement pas quelqu’un qui prête sa perceuse après avoir vu une annonce.

Qu’on parle d’économie collaborative, de pair à pair ou de partage, c’est avant tout un nouveau modèle de consommation et d’entraide qui a émergé ces dernières années pour sortir du tout-consumériste. Une révolution des mentalités, certes facilitée par les nouvelles technologies, mais dont les racines sont beaucoup plus profondes et relève d’une quête de sens ainsi que d’une volonté de réparer un tissu social durablement abîmé par le tournant consumériste de nos sociétés au siècle dernier. En créant des barrières fiscales et des chicaneries administratives pour ses usagers, le gouvernement met malheureusement des bâtons dans les roues à une véritable tentative de changement de modèle économique.

Ce qui est d’autant plus dommageable, c’est que pendant que l’on demande à toutes les plateformes collaboratives de livrer au fisc des informations sur leurs usagers, on réalise que la charge fiscale qui pèse réellement sur les vrais géants de l’économie numérique, de Facebook à Amazon en passant par Uber et Airbnb, demeure toujours aussi ridiculement faible, et que ces méga-groupes trouvent facilement les parades aux arsenaux juridiques nationaux pour accroître leur rentabilité. La réglementation fiscale actuelle ne fait donc souffrir que les acteurs jouant réellement le jeu de l’économie collaborative.

Des acteurs de bonne foi à qui on demande donc de déclarer les activités d’usagers ayant prêté une voiture, alors que les ventes d’occasion effectuées sur des sites spécialisés dans les ventes de voiture d’occasion par exemple, ne sont, elles, pas soumises à l’impôt. C’est un non-sens pour les plateformes mais aussi et surtout pour leurs usagers, qui doivent inclure ces micro-prestations de service sur leurs déclarations d’impôt.

Mais le plus étrange reste sans doute la question suivante : pourquoi n’y-a-t-il aucune harmonisation législative sur ce sujet à l’échelle européenne ? Consciente du problème que pose ces demandes fiscales sur les petites entreprises, la Belgique a par exemple mis en place un régime de franchise fiscale de la TVA pour les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur ou égal à 15 000 € (hors TVA). Mais comment justifier aux contribuables qu’un pays européen voisin aurait cette particularité et pas la France, à moins de mettre en concurrence les cadres législatifs ?