Xavier Lorphelin (Serena Capital) "Serena Capital boucle un nouveau fonds de 300 millions d'euros"

Cofondateur et managing partner de la société de capital-risque française, Xavier Lorphelin présente la stratégie du fonds pour les prochaines années et revient sur les tendances dans l'écosystème.

JDN. Vous lancez un nouveau fonds d'investissement doté de 300 millions d'euros pour investir dans les start-up françaises et européennes. Quel a été le retour sur investissement de votre fonds précédent ?

Xavier Lorphelin est le cofondateur et managing partner de Serena Capital. © Louis Bourjac

Xavier Lorphelin. Nous ne communiquons pas dessus, mais il est bon, c'est pour cela que nous avons été en mesure de plus que doubler sa taille pour le porter à 300 millions d'euros. Nous avons réalisé une vingtaine de sorties, notamment en vendant une partie de nos parts dans Dataiku à Alphabet ou en cédant notre capital dans des sociétés comme Lengow, Aramis Auto et Qualtera dans le cadre d'acquisitions. Le précédent fonds était doté de 130 millions d'euros, et le premier de 94 millions. Nos investisseurs (Bpifrance, la banque européenne d'investissement, des banques et assurances comme BNP et Allianz, ainsi que des caisses de retraite) ont augmenté leurs participations de 50% en moyenne. 

Dans quels secteurs investissez-vous en priorité ?

Sur le précédent fonds, nous nous sommes beaucoup concentrés sur les logiciels Saas et les marketplaces. Aujourd'hui, nous sommes plus focalisés sur la fintech et l'insurtech. Nous avons notamment investi dans Ibanfirst ou dans Descartes Underwriting (le fonds n'était pas encore bouclé, mais a commencé à financer des investissements l'année dernière, ndlr). Nous sommes aussi assez présents sur la healthtech par l'angle de la donnée, du logiciel et de l'intelligence artificielle, par exemple avec notre investissement dans Ifen, une start-up montée par un ancien de Critéo pour faciliter le partage d'informations médicales et analyser automatiquement les comptes-rendus via l'IA. Nous avons investi dans 13 start-up de data et d'IA en 2019 et 2020. Nous nous intéressons aussi au gaming, mais plutôt via les outils qui vont aider à l'acquisition de nouveaux clients, comme la solution Powder, qui permet de se filmer et de faire un montage automatique repérant les meilleures séquences de jeu. 

Ces choix reflètent là où vont l'innovation et l'argent en ce moment, vers des domaines plus complexes et pointus, après une phase de numérisation grand public. Ce sont des secteurs dans lesquels nous investissions moins il y a cinq ou dix ans, car ils n'étaient pas aussi numérisés. La santé, l'assurance, la banque, sont d'immenses marchés qui sont en train de passer au numérique. Le terrain de jeu est énorme pour les start-up 

Quelle est votre stratégie d'investissement ?

"La santé, l'assurance, la banque... D'immenses marchés sont en train de passer au numérique. Le terrain de jeu est énorme"

Nous investissons principalement en phase d'amorçage sur des tickets d'un à deux millions d'euros, avec des prises de participation comprises entre 15 et 25% du capital. Nous pouvons aussi investir en série A ou B jusqu'à 10 millions d'euros. Et même au-delà, jusqu'à 25 millions d'euros, pour suivre plus longtemps nos sociétés les plus prometteuses et ne pas nous faire diluer lors de leurs prochaines levées. C'est ce que nous avions par exemple choisi de faire pour Dataiku (250 millions de dollars levés, valorisée 1,4 milliard, ndlr). Nous prévoyons d'investir dans 18 à 20 start-up en quatre ou cinq ans via ce fonds Serena III, ce qui donne un investissement moyen de 15 millions d'euros par société.

D'après le baromètre des levées de fonds du JDN, vous avez participé à moins d'opérations en 2020 qu'en 2019. Avez-vous concentré vos investissements sur moins de start-up ou simplement réduit l'allure à cause du covid ?

Il est vrai que nous avons levé le pied en mars-avril, mais avons fortement recommencé à partir de juin. Des investissements sur lequel nous travaillions l'année dernière sont toujours en cours ou pas encore annoncés, il y a un toujours un décalage. Nous avons été très actifs sur la deuxième moitié de 2020 et avons plutôt augmenté notre ticket moyen de participation. Nous en avons encore dans les tuyaux, avec au total 11 investissements réalisés via ce nouveau fonds, contre 4 ou 5 au même moment l'année dernière. 

Est-ce ce décalage qui explique la frénésie de levées de fonds annoncées depuis le début de l'année ?

 "La crise permet de prendre des parts de marché car les gros acteurs innovent moins"

C'est l'une des explications. Il y a aussi une sorte de rattrapage des deux mois perdus l'année dernière en mars-avril, qui sont une période de forte activité habituellement, car beaucoup de start-up veulent boucler leur levée avant l'été. L'autre raison est que le marché est de plus en plus compétitif, avec davantage de fonds étrangers qui viennent prospecter en France, ce qui gonfle les montants levés et les valorisations. Le marché s'est rééquilibré par rapport à l'année dernière lorsque l'accès au capital s'était restreint. En ce moment, un entrepreneur peut trouver plusieurs fonds intéressés et une valorisation qui a du sens pour son projet.

Grâce aux aides de l'Etat et à leurs investisseurs, les start-up ont plutôt traversé 2020 sans encombre. Pourront-elles rester imperméables à la crise qui se profile dans le reste de l'économie quand les soutiens publics s'arrêteront ?

Les start-up ont bénéficié des prêts garantis par l'Etat, mais les ont gardés comme un coussin de sécurité au cas où la situation serait compliquée. Quant aux risques qu'elles finissent par être touchées par la crise, je ne le pense pas. Les périodes basses pour l'économie, comme celle que nous vivons, offrent pour les start-up des opportunités de prendre des parts de marché, car les gros acteurs font profil bas et innovent moins. 

Xavier Lorphelin a cofondé le fonds d'investissement en capital-risque Serena Capital en 2008 après six ans passés à la branche capital-risque de la Société Générale. Il a débuté sa carrière aux Etats-Unis, où il a obtenu un diplôme d'ingénieur de l'université de Stanford et fondé une start-up de solutions de paiement en 1997, avant de rentrer en France en 2000.