Tezos : après l'âge sombre, la renaissance d'une blockchain

Tezos : après l'âge sombre, la renaissance d'une blockchain Longtemps délaissée par l'écosystème Web3, la plateforme Tezos se démarque aujourd'hui par une activité artistique effervescente, illustrée par un partenariat avec Art Basel, le plus gros acteur de l'art contemporain au monde.

Lancée en 2018, à l'issue d'une ICO de 232 millions de dollars réalisée en 2017 (un record à cette époque), la blockchain Tezos a longtemps été synonyme d'ennuis judiciaires, qu'il s'agisse du conflit entre ses créateurs, les franco-américains Arthur et Kathleen Breitman, et la fondation responsable des fonds, ou de la class action engagée sur le sol américain par des investisseurs contre ces trois parties et finalement résolue en 2020.

En 2020, justement, son réseau générait péniblement 11 000 transactions mensuelles, une activité somme toute modique au regard de sa valorisation de l'époque (2 milliards de dollars) et de l'effervescence constatée sur la plateforme Ethereum au même moment (entre 18 et 39 millions de transactions par mois, selon les relevés de The Block). "C'était un peu une blockchain morte. On peut même dire qu'il n'y avait rien dessus, tout simplement", se souvient Gaspard Broustine, responsable de la branche NFT chez Ledger. "Jusqu'à l'apparition de Hicetnunc, la première plateforme NFT de Tezos".

Une plateforme privilégiée pour son accessibilité

Fondée en mars 2021 par un jeune développeur brésilien dénommé Rafael Lima, la marketplace NFT hicetnunc.xyz, Hen pour les intimes, sonne en effet le renouveau d'une blockchain jusqu'ici quelque peu à l'abandon. "L'art a explosé sur Tezos en 2021 avec hicetnunc, créé de façon totalement organique", reconnait Arthur Breitman, créateur de Tezos. "Bien entendu, Tezos dispose de bons outils et de guides pour les développeurs, il y a tout un environnement qui facilite la création de projets mais ce sont des projets indépendants et ils ont trouvé un chez-eux sur Tezos."

Capture du site hicetnunc.xyz © hen

Deux mois à peine après sa création, Hen dépassait Opensea en nombre de transactions et d'utilisateurs, lesquels sont séduits par l'environnement Tezos alors plus accessible qu'Ethereum, dont le réseau est congestionné et les transactions onéreuses. "Les frais de transaction sur Ethereum étaient très importants, donc ça mettait une barrière à l'entrée directement pour de nombreux artistes, surtout dans les pays en développement", poursuit Gaspard Broustine, approuvé par Diane Drubay, directrice du département art et culture chez TZConnect, studio berlinois de développement sur Tezos : "L'initiative de Raphaël Lima a permis d'ouvrir la blockchain et d'offrir un accès au marché de l'art à des communautés beaucoup plus diversifiées, sans devoir payer des frais onéreux de transaction et sans impact catastrophique sur l'environnement", résume-t-elle.

Arthur Breitman, cofondateur de Tezos. © TF

Dès sa genèse et donc quatre ans avant Ethereum, le réseau Tezos a en effet adopté un consensus dit de liquid proof-of-stake, une variation de la preuve d'enjeu, moins énergivore que celui de la preuve de travail de Bitcoin et encore à l'époque, Ethereum. "Le proof-of-stake a été un facteur important pour attirer des utilisateurs. Ce n'est pas un hasard si nous sommes le sommes depuis le début car d'un point de vue culturel, c'était impensable de faire semblant pendant des années de nous intéresser à cette méthode de consensus", assure au JDN Arthur Breitman, manière d'épingler la mise à jour tardive d'Ethereum. 

Même si hicetnunc a aujourd'hui disparu, d'autres plateformes ont pris la relève, comme Objkt.com ou la marketplace dédiée à l'art génératif et fondée par le Français Baptiste Crespy, FXHash. De leur côté, la fondation Tezos et ses divisions localisées à travers le monde promeuvent la marque en soutenant matériellement les initiatives artistiques locales. "Il y a régulièrement des grands événements pour célébrer la communauté : Nine Nights en Asie ; le Proof-of-People à Londres ; j'organise régulièrement des meetup à Berlin. Il y a beaucoup de programmes de mise à dispositions de lieux d'exposition, de ressources en ligne, de mentoring et de subventions pour que les artistes utilisent Tezos", explique Diane Drubay. Située dans le Marais à Paris depuis 2010, la galerie d'art contemporain Charlot a décidé de lancer en octobre sa plateforme de vente NFT en ligne sur le réseau Tezos. Une évidence selon sa propriétaire Valérie Hasson-Bénillouche, qui estime que "la fondation Tezos est très à l'écoute et présente au moindre besoin. C'est une des plateformes que les artistes utilisent le plus, elle apporte une très belle visibilité." Visible, la fondation Tezos l'était particulièrement lors de l'édition inaugurale de Paris+ par Art Basel avec trois jours d'événements au Bal de la Marine. Elle est d'ailleurs également partenaire d'Art Basel Miami en décembre, plus grosse foire d'art contemporain au monde, le signe d'une légitimité acquise.

"Tout le monde parle d'hiver crypto mais pas sur Tezos"

Aujourd'hui, l'activité sur la plateforme n'a plus rien à voir avec celle qu'elle générait il y a encore deux ans : selon la base de données BetterCallDev, le réseau enregistre entre 3 et 5 millions d'appels de smart contract (les interactions avec des programmes autonomes) par mois en 2022 contre 200 000 à 400 000 en 2020. "Depuis l'avènement des NFT sur Tezos, l'activité est en pleine croissance", insiste Gaspard Broustine. "Tout le monde parle d'hiver crypto mais sur Tezos, on a vu le nombre de transactions augmenter et certaines des plus belles ventes se faire. Tout simplement parce que l'on parle d'art", renchérit Diane Drubay.

Diane Drubay, responsable du département art et culture à TZConnect. © Evelyn Bencicova

Pourtant, la blockchain n'est toujours pas supportée par le leader des marketplaces, OpenSea, malgré les promesses de ce dernier, bénéficiaire d'un don de 200 000 dollars en 2021 pour ce développement technique. "C'est déplorable qu'ils n'aient jamais rien fait mais ce n'est pas un problème pour nous. OpenSea est un mauvais élève du domaine et il y a des marketplaces de bien meilleure qualité pour Tezos, comme Objkt", lance Arthur Breitman. Outre Objkt et fxhash, les plateformes d'échanges pullulent sur le réseau : Teia.art issue du code de hicetnunc, Typed.art dédiée aux NFT… textuels ou encore la nouvelle née Minteed, créée en France pour favoriser la création sans connaissance technologique et notamment soutenue par FNAC Darty lors d'une levée de 3 millions d'euros en juillet dernier. En France toujours, l'incubateur Lezar House de la startup PyratzLabs a quant à lui lancé en octobre dernier ArtOS, plateforme dédiée aux projets liant numérique et physique.

La musique et le jeu, après l'art visuel ?

Néanmoins, l'activité reste toujours plus conséquente sur Ethereum ou même Solana. Ces deux réseaux ayant adopté la preuve d'enjeu, la question est de savoir si Tezos restera pertinente. "Sur Tezos, il n'y a pas d'arrêt de la blockchain, contrairement à Solana (régulièrement stoppée en raison de problèmes techniques, ndlr) et quand on demande si les artistes vont passer sur Ethereum 2.0, la réponse est souvent négative.

Oeuvre intitulée In Motion, listée sur Objkt.com © Eclectical

Il y a une communauté solide, solidaire et qui va rester sur Tezos. Elle s'est créée organiquement avec des développeurs qui donnent de leur temps. J'aime bien dire que les NFT sur Ethereum, c'est New York et que sur Tezos, c'est Berlin. C'est plus underground, plus expérimental. Même les artistes présents sur les deux plateformes font un travail plus libre sur Tezos. Tu trouves des choses qui sortent des sentiers battus", analyse Gaspard Broustine. Un sentiment évidemment partagé par Diane Drubay et Arthur Breitman. La galeriste Valérie Hasson-Bénillouche est quant à elle plus nuancée car si "les artistes apprécient l'accompagnement de la fondation Tezos, au bout du compte, cela dépendra surtout de la manière dont les collectionneurs se positionnent et quelle plateforme ils privilégieront."

Reste que, sur Tezos comme sur les autres plateformes, l'activité du marché NFT se tarit lors de ce troisième trimestre 2022. Les seuls crypto-art et art génératif suffiront-ils à générer de l'activité à l'avenir ? Arthur Breitman a son idée sur la question et nous glisse les futurs axes d'expansion de sa plateforme : "La musique est la forme d'art qui touche le plus de gens dans le monde et de ce point de vue, il y a un vecteur de popularisation qui me parait très important. Il en va de même pour le jeu : aujourd'hui, un jeu médiocre a plus d'utilisateurs qu'une blockchain qui a un succès massif. C'est donc aussi un secteur qui fédèrera".