Le Web3 n'est pas un no man's land juridique : condamnation aux USA pour contrefaçon de marque par NFT
1er round : Hermès remporte aux Etats-Unis le procès autour des NFTs MetaBirkin. Une décision qui arrive à point nommé pour réguler les marchés des NFT, de l'art et du métaverse.
Contrefaçon ou liberté d'expression artistique ? Telle était la question qui était posée aux juges du Tribunal Fédéral de l’Etat de New York dans l’affaire MetaBirkin qui opposait la maison de luxe française, Hermès.
Retour sur cette affaire judiciaire qui a défrayé les chroniques du métaverse et qui nous apporte quelques enseignements juridiques tant pour les artistes de NFT (jetons non fongibles) que pour les titulaires de droits de propriété intellectuelle.
Rappel des faits : deux projets NFT successifs utilisant le nom ‘Birkin’ et reproduisant le sac iconique d’Hermès.
En 2021, l’américain Mason Rothschild, fonde un studio de création spécialisé dans le Web3 et crée notamment pour son lancement le NFT "Baby Birkin" avec l'artiste 3D Eric Ramirez : une image animée représentant un sac Hermès Birkin et un fœtus à l'intérieur, qui s'est vendue 23 500 dollars. Quelques mois plus tard, l’artiste lance le projet "Meta Birkin", en déclinant cette fois un sac Birkin en 100 exemplaires, vendus une nouvelle fois sous forme de NFT. Les ventes auraient dépassé 1,1 million de dollars selon Hermès. À aucun moment, l'artiste n'a demandé à Hermès l'autorisation d'utiliser son design ou ses marques pour ces deux projets. En janvier 2022, Hermès poursuit l'artiste devant les tribunaux de l’Etat de New York pour contrefaçon du modèle Birkin, de la marque correspondante et cybersquatting, réclamant l'arrêt du projet, la récupération du nom de domaine Metabirkin ainsi que le versement de dommages et intérêts.
Le Tribunal américain opte pour la contrefaçon
La maison de luxe française accusait l’artiste américain d’avoir commis des actes de contrefaçon, d’atteinte à son image de marque et de cybersquatting à travers la création et la commercialisation d’œuvres d’art sous forme de NFT reproduisant son sac Birkin et sa marque. De son côté, Mason avait bâti sa défense sur la liberté d’expression, laquelle est érigée en droit constitutionnel par le premier amendement de la constitution américaine. Le créateur souhaitait, selon ses dires, transmettre un message artistique et dénoncer les souffrances animales. C’est finalement l’argumentaire d’Hermès qui l’emporte. Le jury a en effet estimé que le créateur de NFT ne pouvait se prévaloir du régime tolérant l'utilisation des marques protégées dans les œuvres d'art. Le Tribunal a donc reconnu l’artiste coupable de contrefaçon, de dilution de la marque et de cybersquatting et l’a condamné à payer 133 000$ de dommages et intérêts à Hermès. On peut d’ailleurs se demander si le jeu n’en vaudrait pas la chandelle au regard du buzz médiatique généré par l’affaire et du montant alloué par le Tribunal ? On aurait effectivement pu penser que le jury ait la main un peu plus lourde sur le montant des dommages et intérêts en application du principe des punitives damages (principe selon lequel le tribunal peut allouer des dommages et intérêts plus conséquents et souvent largement supérieurs aux gains encaissés pour « punir » le contrefacteur).
Les premiers enseignements juridiques à en tirer
En tout état de cause, cette décision risque de faire jurisprudence aux USA et pas que ! A l’instar de la décision du Tribunal civil de Rome sur l’affaire Juventus qui a enjoint en juillet dernier la société Blockeras de cesser la création, la promotion et la mise en vente des NFTs et contenus numériques associés qui reproduisait les marques de la célèbre équipe sportive, il est fort à parier que, dans des cas similaires, nos juges français adopteront une lecture semblable afin de protéger la propriété intellectuelle des ayant-droit. L’interprétation ici faite par les juges doit donc inciter les artistes du web3 à faire preuve de prudence en respectant les droits de propriété intellectuelle de tiers. Pour les titulaires de droits de propriété intellectuelle, une marque peut être protégée dans le métaverse sans nécessairement avoir été déposée pour ce service. Un bémol, toutefois, la marque devra être une marque de renommée, c’est-à-dire une marque qui jouit d’une telle réputation qu’elle n’a plus besoin d’être enregistrée dans toutes les classes de protection. A défaut d’une telle renommée, les titulaires de droits de propriété intellectuelle devront continuer à déposer leurs signes en classes couvrant le Web 3.0.
Mason Rotschild a déjà indiqué sur les réseaux sociaux faire appel de la décision. L’affaire n’est donc pas terminée et risque encore de faire couler beaucoup d’encre, au plus grand plaisir des juristes...