De la finance au vin, la tokenisation des actifs du monde réel s'accélère

De la finance au vin, la tokenisation des actifs du monde réel s'accélère Plusieurs annonces sont venues confirmer l'adoption croissante de la blockchain pour échanger des actifs aussi variés que les actions, les biens immobiliers ou les bouteilles de grands crus.

La tokenisation, procédé qui transforme un actif en tokens numériques liés à une blockchain, où chaque token représente une fraction de sa propriété, s'accélère à un rythme exponentiel.

Celle-ci concerne tant les actifs intangibles tels que les droits d'auteur ou les brevets, que les actifs tangibles comme l'immobilier, l'art et même le vin. Elle peut se faire via des blockchains publiques comme Ethereum, ou privées comme Aura Blockchain Consortium, la blockchain lancée par le groupe LVMH en partenariat avec d'autres marques.

Alors que l'essor de la tokenisation a démarré en 2018, près de 3 milliards de dollars d'actifs ont déjà été tokenisés, selon une étude récente de la GFMA. Et la même étude prévoit que plus de 16 000 milliards de dollars d'actifs réels seront tokenisés d'ici 2030. DE son côté, un rapport de la Bank of America, BofA Global Research, prévoit que "la tokenisation des actifs traditionnels refonde l'infrastructure financière et non financière ainsi que les marchés financiers publics et privés au cours des 5 à 15 prochaines années".

Une opportunité pour le monde de la finance

Soucieuses de ne pas rater le coche, plusieurs grandes institutions financières ont ainsi annoncé leur volonté d'explorer la blockchain. Début septembre, le London Stock Exchange révélait son ambition de lancer sa propre plateforme blockchain pour les transactions tokenisées. Auparavant, JP Morgan avait déja lancé sa propre initative de tokenization. Et Larry Fink, le PDG de BlackRock, avait admis l'année dernière que "l'avenir pour les marchés, l'avenir pour les titres, passera par la tokenisation des titres."

Mais l'innovation provient aussi de start-ups comme Securitize, enregistrée aux Etats-Unis auprès de la SEC en tant qu'agent de transfert de titres. L'entreprise a lancé cet été en Europe les premiers tokens représentant des titres financiers, après avoir déja émis des tokens représentant des parts dans le fonds d'investissement  immobilier espagnol Mancipi Partners.

Il faut dire qu'échanger des titres financiers sous forme de tokens présente plusieurs avantages. Traditionnellement, les titres privés ne pouvaient être échangés sur les marchés secondaires qu'après avoir fait appel à un grand nombre d'intermédiaires et en suivant des réglementations strictes et parfois complexes. La blockchain apporte un gain de temps, tout en simplifiant les processus en réduisant le travail administratif, voire en les automatisant via les contrats intelligents, réduisant ainsi les coûts.

 "Cette technologie offre de la transparence, de la sécurité et la possibilité d'être utilisée à grande échelle", explique Jamie Finn, PDG et cofondateur de Securitize, au Journal du Net. "Sa nature immuable permet en outre d'obtenir des détails précis sur la propriété et l'historique des transactions, facilitant le commerce et le prêt de titres". Autre avantage, le fait de transposer les marchés secondaires sur blockchain permet une liquidité accrue grâce à un marché ouvert non-stop. Enfin, l'utilisation des contrats intelligents permet d'intégrer des systèmes de vote via la blockchain, afin de donner aux titulaires de tokens la possibilité d'influer sur les décisions liées à leur investissement.

Selon une étude publiée par Citigroup, l'adoption massive de la blockchain devrait également être stimulée par l'adoption de monnaies numériques (CBDC) par les banques centrales. Les experts prévoient que plus de 5 milliards de dollars de CBDCs circuleront dans le monde d'ici 2030. "La clé pour qu'une nouvelle technologie soit adoptée est le fait qu'elle soit plus rapide, meilleure et moins chère", résume Jamie Finn. "Et c'est le cas de la blockchain".

De plus, l'avènement d'une nouvelle génération née ayant grandi avec Internet devrait contribuer à accélérer la tendance actuelle. "Un énorme transfert de capital de l'ancienne génération vers les millennials et la génération X est en cours, représentant plus de 25 millliards de dollars", explique Jamie Finn. "Ces nouvelles générations ont grandi dans un monde numérique et ne voient aucun avantage à posséder un bout de papier".

Immobilier, vin… des secteurs à fort potentiel

La tokenization de bien tangibles constitue l'autre pan majeur de la mutation en cours. L'immobilier est ainsi considéré comme le secteur le plus prometteur. Constituant d'ores et deja un marché estimé à 200 millions de dollars, les tokens immobiliers représentent près de 40% du marché des valeurs mobilières numériques, selon une étude publiée par le cabinet Dentons. Les avantages sont clairs. La tokenization immobilière ouvre l'investissements aux petits portefeuilles, augmente la liquidité en permettant des revendre facilement ses parts d'un bien.

L'une des entreprises les plus connues dans le secteur est RealT, fondée en 2019. Elle propose d'acheter des tokens liés à des propriétés immobilières résidentielles et commerciales, notamment aux Etats-Unis. Les investisseurs peuvent acheter des fractions de propriété pour une somme minimum de 50 dollars, et bénéficier ainsi de potentiels rendements liés aux loyers et aux reventes de propriétés.

Mais d'autres actifs plus surprenants bénéficient de la technologie blockchain. Ainsi le domaine du vin a été l'un des premiers à franchir le cap. Wine Bottle Club s'est lancé dans le commerce du vin tokenizé dès 2022, en proposant des NFT représentant une véritable bouteille de grand cru.

Château Edmus est l'un des domaines utlisant cette plateforme pour vendre des bouteilles. Son propriétaire, le néo-vigneron Laurent David, est également président de la WineTech, après une carrière dans le monde des nouvelles technologies. Une expérience qui lui a permis de comprendre immédiatement le potentiel de la blockchain. "Après les mondes du luxe, de l'art, celui du vin sera l'un des plus impactés par cette technologie", estime-t-il. "C'est totalement adapté au monde du vin. Cela améliore considérablement la tracabilité, permet de lutter contre la contrefaçon, et donne la possiblité d'échanger des bouteilles sans que celles-ci ne bougent…"

Concrètement, chaque achat d'une bouteille inclut son jumeau numérique, sous forme de NFT. Le détenteur a la possibilité de le conserver dans son portefeuille et de l'afficher dans sa cave virtuelle, alors que la bouteille physique reste chez le producteur ou dans l'entrepôt accrédité de la start-up. Un avantage certain, lorsqu'on sait qu'en moyenne, un grand cru est échangé entre 6 et 7 fois avant d'être consommé, ce qui pose des défis en matière de transports et produit une empreinte carbone importante.

Les détenteurs peuvent également les revendre sur le marché secondaire, la bouteille restant, elle, en dépôt. Enfin, il est possible de "brûler" le NFT pour recevoir en échange la version physique de la bouteille, livrée directement à son domicile. De plus, les NFT peuvent fair office de carte de membre, et offrir aux investisseurs des avantages comme des visites de châteaux ou des offres exclusives.

Laurent David rappelle qu'au cours des vingt derniers mois, une dizaine de start-ups issues du monde du Web3 ont fait irruption dans le monde du vin, levant des fonds dans une proportion rarement vue dans le secteur. "On a une nouvelle génération de vignerons qui arrive, née avec Internet, qui se montre curieuse envers ces nouvelles technologies", justifie Laurent David. "Et on a aujourd'hui des grands domaines qui font des tests. Mais on est encore tout en bas de la courbe d'adoption, moins de 10% pour le moment". Un taux qui selon lui a intérêt à augmenter : "Si la France veut rester leader dans le monde du vin, cela passera par le Web3".