Tokenisation des actifs du monde réel : que dit la loi ?
Alors que le marché des cryptomonnaies traverse une période difficile, la technologie blockchain voit son usage progresser auprès des entreprises et institutions. La tokénisation des actifs réels (Real-World Assets - RWAs) connaît une montée en flèche dans des secteurs aussi variés que la finance, la viticulture, l'art et l'immobilier.
Les actifs réels tokénizés sont des tokens représentant des valeurs ou des droits liés à des actifs sous-jacents. Ces actifs peuvent être des biens ou des services existants ou à venir. Selon une récente étude de 21.co, ils pourraient représenter un marché de plus de 10 milliards de dollars avant la fin de la décennie.
Il est important de différencier la fractionalisation, qui intervient lorsqu'un bien est divisé en un nombre déterminé de parts symbolisées par des tokens, de la tokénisation simple, dans laquelle un bien est associé à un jeton non fongible (NFT). Une entreprise comme Wine Bottle Club commercialise ainsi des NFT donnant des droits sur des bouteilles de grands crus, alors que RealT propose d'acquérir des parts dans des biens immobiliers, dont les loyers sont ensuite redistribués aux co-propriétaires.
La tokénization des actifs réels ouvre des opportunités d'investissement jusqu'alors inaccessibles au grand public, à l'image d'une participation dans un bien immobilier pour un investissement modeste. De plus, elle favorise l'activité sur les marchés d'échange secondaires, boostant les transactions. Enfin, elles apporte transparence et sécurité grâce aux caractéristiques de la blockchain, immuable et consultable par tous.
Cependant, l'un des défis majeurs demeure l'établissement d'un cadre législatif approprié. Si certains pays comme les Etats-Unis naviguent encore en eaux troubles, d'autres, à l'instar de la France, sont en train de mettre en place des législations adaptées.
Un cadre juridique encore flou
En France, si la loi est relativement claire concernant les cryptomonnaies, elle reste encore à l'état d'ébauche concernant les actifs réels tokenizés. "Le visa de l'AMF a été pensé pour les ICO, c'est à dire les ventes de tokens utilitaires, pas pour les STO, qui concernent notamment la création d'actifs financiers par tokenization des actifs du monde réel," explique Matthieu Quiniou, avocat au barreau de Paris, spécialiste de la blockchain, au Journal du Net.
Aujourd'hui, les actifs numériques comme les cryptomonnaies sont encadrés par la loi PACTE, et bientôt par la loi européenne MiCa. La réglementation actuelle s'avère relativement souple par rapport à celles qui s'appliquent sur les marchés financiers traditionnels. "On a parfois l'impression qu'il y a une rigidité règlementaire par rapport à d'autres domaines du droit financier avec les cryptoactifs, alors qu'en réalité les régimes applicables aux cryptoactifs sont plus favorables que ceux applicables aux instruments financiers , assure Matthieu Quiniou. "Il s'agit de régimes assouplis par rapport aux marchés financiers classiques. Certes, le marché secondaire est de plus en plus encadré avec le PSAN (le statut sur les prestataires de service sur les actifs numériques), mais cela reste peu exigeant par rapport aux marchés réglementés comme Euronext."
Cependant, le cadre devient plus incertain lorsqu'on aborde les actifs réels. Par défaut, les actifs réels sont encadrés en tant que tels, en fonction de la législation qui s'applique au type d'actifs et à leur mode de titrisation. Une entreprise souhaitant fractionnaliser des titres de propriété d'appartements devra par exemple acquérir le bien via une SAS immobilière, en passant par un notaire. Les tokens représenteront ensuite des parts dans cette SAS.
Le cadre est moins clair pour les oeuvres d'art au format NFT, notamment concernant le droit de suite. Elle sont par exemple exclues des dispositifs fiscaux avantageux s'appliquant aux oeuvres d'art traditionnelles. Pour autant celles-ci, lorsqu'elles ne sont pas fractionnées, ne sont généralement pas qualifiables d'instrument financier.
Les RWA, tout comme les autres crypto actifs, doivent également se conformer aux lois relatives au blanchiment d'argent et au financement des activités illégales.
Une règlementation en construction
Actuellement, des débats sont en cours au niveau européen afin de distinguer clairement actifs numériques (jetons et autres crypto-actifs en droit de l'UE) et produits d'investissement (type produits dérivés ou produits financiers structurés). "L'Autorité européenne des marchés financiers Esma devrait publier des lignes directrices couvrant ces sujets et ce, dans la perspective de l'entrée en application de Mica prévue en janvier 2024," explique Karima Lachgar, CEO de Olky Wallet, head of group legal & regulation strategy chez OlkyPay.
Comme le rappelle la dirigeante, en France, l'AMF a rappelé récemment que des jetons ou crypto-actifs inscrits en DLT (sur blockchain) et incorporant des droits de créance sur des biens corporels (comme des revenus futurs sur biens immobiliers) ou incorporels étaient susceptibles d'être requalifiés en instruments financiers comme titres de créance, et donc en security tokens. En parallèle, la définition des actifs numériques telle qu'on la connait en droit français grâce à loi Pacte (article L.54-10-1 du Code monétaire et financier) devrait disparaître au profil de celles prévues par MiCa.
"Par conséquent, les jetons utilitaires 'purs' de même que les NFTs 'purs' ne devraient plus relever que du droit commun ou de réglementations ad hoc", explique Karima Lachgar. Elle fait notamment référence au vote, mardi 17 octobre, par l'Assemblée Nationale de la loi introduisant le régime des JONUMs, qui qualifie les tokens émis par des sociétés de gaming natives Web3 qui ont fait l'objet d'une réglementation spécifique par la loi SREN.
Il faudra ainsi patienter encore un peu avant de voir émerger une réglementation complète. Le législateur ne devra toutefois pas trop tarder, s'il ne veut pas être dépassé par le rythme de la croissance du marchés des actifs réels tokenizés.