Paiements et stablecoins : le rachat de Bridge marque-t-il une nouvelle ère ?

L'acquisition récente de Bridge par Stripe pour 1,1 milliard de dollars illustre une transformation profonde des infrastructures de paiement à l'échelle mondiale.

Par Patrick Mollard, CEO de Fipto

Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique plus large, où des initiatives telles que BRICS Pay et les projets de monnaies numériques des banques centrales (MNBC) dessinent un paysage en pleine mutation. Les systèmes de paiement régionaux performants, comme SEPA en Europe ou PIX au Brésil, cherchent désormais à s’interconnecter, et les stablecoins apparaissent comme des catalyseurs de cette révolution.

Selon Juniper Research*, le nombre de paiements internationaux utilisant des CBDC pourrait être multiplié par 2400 % d’ici 2031, passant de 307 millions à 7,8 milliards de transactions. Ces innovations pourraient générer jusqu’à 45 milliards de dollars d’économies pour les échanges internationaux. Ce potentiel s’explique par une tendance de fond : l’interconnexion de réseaux de paiements locaux, préservant l’autonomie régionale tout en renforçant l’interopérabilité mondiale.

C’est ici que les stablecoins trouvent leur rôle. Longtemps perçus avec une certaine vigilance, ils bénéficient aujourd’hui d’une reconnaissance accrue, soutenue par des cadres réglementaires solides comme la réglementation MiCA en Europe. Déjà bien implantés dans les univers des cryptomonnaies et de la finance institutionnelle, ils accompagnent l’essor des CBDC développées par 96 % des banques centrales, à l’instar de la BCE avec l’euro numérique, de l’e-krona en Suède, de l’e-Peso en Uruguay, du eNaira en Afrique ou de l’e-AUD en Australie.

Les stablecoins s’imposent ainsi comme une infrastructure clé pour de nouveaux produits financiers. Les prestataires de services de paiement (PSP) jouent un rôle central dans cette transformation, en tirant parti de ces innovations pour surmonter les limitations historiques des systèmes actuels. Comme le souligne le dernier rapport du FSB***, les stablecoins répondent à des défis critiques tels que des coûts élevés, une lenteur des transactions, un manque de transparence et une complexité réglementaire.

L’un de leurs principaux atouts est leur capacité à résoudre le problème dit du dernier kilomètre en connectant efficacement les réseaux de paiement locaux, à condition de garantir une facilité d’utilisation suffisante pour assurer leur adoption.

Cette évolution s’accompagne d’une adoption croissante des monnaies numériques par les institutions financières. Aux États-Unis, des initiatives telles que le lancement du JPM Coin par JP Morgan, le Citi Coin par Citigroup, ou encore le stablecoin de PayPal, témoignent de cet engouement. Parallèlement, l’approbation des ETF Bitcoin par la SEC illustre un intérêt accru pour intégrer ces actifs dans le cadre financier traditionnel. Ces avancées renforcent la crédibilité des monnaies numériques auprès des investisseurs institutionnels et des entreprises, accélérant ainsi leur adoption à grande échelle.

Loin de la volatilité qui caractérise les cryptomonnaies comme le Bitcoin, les stablecoins jouent désormais un rôle clé dans les flux de paiements réels, notamment dans les transactions transfrontalières. Selon les données de Visa On Chain Analytics, le volume des transactions en stablecoins oscille entre 400 et 600 milliards de dollars par mois, atteignant un total de 1 600 milliards de dollars sur les trois derniers mois. Ces chiffres illustrent leur adoption croissante en tant qu’infrastructure financière. Offrant aux entreprises des solutions fiables, sécurisées et conformes aux réglementations, les stablecoins répondent à une demande croissante pour des transactions plus flexibles et efficaces.

Pour que les stablecoins réalisent pleinement leur potentiel, il est indispensable de bâtir un écosystème suffisamment large et robuste. Si leur rôle stratégique dans l’avenir des paiements semble évident, il appartient désormais aux dirigeants et aux institutions financières européennes de les considérer avec le sérieux qu’ils méritent.

Ne serait-il pas temps d’embrasser cette révolution pour garantir la compétitivité de l’Europe sur la scène mondiale des paiements à la fois très innovante et très concurrentielle ?

Notes

*Rapport Juniper - https://www.juniperresearch.com/research/fintech-payments/emerging-payments/cbdcs-stablecoins-research-report/

** Chiffres sortis de la BRI ou BIS, la Banque des Règlements internationaux

*** Rapport FSB 2024 https://www.fsb.org/2024/10/g20-roadmap-for-enhancing-cross-border-payments-consolidated-progress-report-for-2024/