Payer en crypto chez les grandes enseignes, bientôt possible… mais vraiment utile ?

Payer en crypto chez les grandes enseignes, bientôt possible… mais vraiment utile ? Décathlon, Cultura ou encore Boulanger seront en mesure d'accepter du bitcoin au premier trimestre 2020. Mais les consommateurs ne seront pas forcément au rendez-vous.

"Cela vous fait 90 euros ou 0,01 bitcoin." Payer à la caisse d'un magasin en crypto-monnaie pourrait devenir un geste plus répandu en France dans les mois à venir. L'éditeur de logiciels pour point de vente Global P.O.S annonce ce 24 septembre qu'il permettra à plus de 25 000 points de vente en France appartenant à 40 enseignes d'accepter des crypto-monnaies (d'abord du bitcoin) comme moyen de paiement au premier trimestre 2020.  Aujourd'hui, moins d'une centaine de boutiques indépendantes le proposent, pour la plupart installées à Paris.

Parmi les 40 heureux élus (qui sont en fait déjà des clients de Global P.O.S), on compte Boulanger, Conforama, Cultura, Décathlon, Maisons du Monde ou encore Norauto. D'ici la fin de l'année, plusieurs enseignes, y compris parmi les plus connues, mais dont les noms pas communiqués, vont tester ce dispositif, assure Stéphane Djiane, fondateur de Global P.O.S, qui ajoute : "On a déjà des accords de principe de grandes enseignes pour accepter les crypto mais pas encore de validations juridiques". Aucune enseigne ne souhaite s'exprimer auprès des médias.  Même si les crypto-monnaies n'ont à ce jour pas de statut légal explicite dans l'Hexagone, et ne sont donc pas réglementées, un professionnel a le droit d'accepter des crypto-monnaies (mais aussi de les refuser), comme le rappelle le ministère de l'Economie et des Finances sur son site

"Changer les habitudes sur les moyens de paiement n'est pas simple"

Pour accepter les paiements en crypto, les enseignes n'ont aucune évolution technologique à réaliser puisque Global P.O.S a rajouté un module à la plateforme qui est connectée aux caisses de ses magasins clients. Le consommateur devra quant à lui télécharger l'application Easywallet (créée par Global P.O.S) sur laquelle il chargera ses crypto. Il indiquera ensuite le montant qu'il souhaite régler et un QR code sera généré. Le paiement sera certifié puis converti en euros et envoyé au commerçant sous 72 heures (contre 24 à 48 heures pour Visa et Mastercard). "Nous garantissons la valeur de paiement. Si le jour de la transaction, le consommateur a payé pour l'équivalent de 55 euros mais que le cours du bitcoin a baissé de 20% deux jours après, le marchand recevra tout de même 55 euros", explique Stéphane Djiane. Il n'y aura pas de montant minimum mais un montant maximum de 1 000 euros (pour l'instant). 

Pour Global P.O.S, ce projet vise à démocratiser l'utilisation des crypto-monnaies comme moyen de paiement quotidien. Mais les consommateurs français vont-ils vraiment payer en bitcoin dans leurs magasins début 2020 ? Pour Jean-Michel Chanavas, délégué général de Mercatel, un think tank dédié au commerce et à la distribution, rien n'est sûr. "Changer les habitudes sur les moyens de paiement n'est pas simple. Le paiement fait preuve d'une remarquable stabilité", note-t-il. "Quand on voit la difficulté qu'il y à réduire les chèques, je ne vois pas comment le paiement en crypto-monnaie peut prendre", complète-t-il. D'autant que le paiement mobile (en sans contact ou via un QR code) peine à décoller en France. En 2018, il a représenté moins de 1% des paiements sans contact dans l'Hexagone (10,9 millions de transactions), d'après l'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement.  

Les clients de Global P.O.S pourront afficher cet autocollant pour indiquer qu'ils acceptent les crypto-monnaies. © Global P.O.S

Selon un sondage de Kantar TNS réalisé en juin 2018, 6,7% des Français déclarent avoir déjà investi dans une crypto-monnaie. Ce chiffre est à prendre avec des pincettes puisqu'il s'agit d'un sondage. Et en tout état de cause, détenir des crypto, principalement vues comme un support d'investissement, ne signifie pas que l'on est prêt à payer des produits de grande consommation avec. En face : le nombre de cartes bancaires estampillées CB était de l'ordre de 68,3 millions en 2017. 

Autre facteur qui pourrait dissuader les consommateurs français : le coût. Global P.O.S prélèvera une commission sur la transaction qui variera en fonction du montant. La grille tarifaire n'a pas encore été finalisée mais "notre objectif est de la rendre la plus légère possible", assure Stéphane Dijane, qui la fixe avec les deux exchanges français Deskcoin et Savitar qui s'occuperont de convertir les crypto en euros. Le paiement en carte bancaire, peu importe le réseau, est plus avantageux puisqu'il est gratuit pour le consommateur. "On propose au client un moyen de paiement alternatif. Il peut trouver un intérêt à payer en crypto-monnaie", se défend Grégory Hervein, cofondateur de Moustaches, enseigne de produits pour chien et chats, qui est actuellement en test avec Global P.O.S dans ses trois magasins.

"Notre objectif est de rendre la commission sur la transaction la plus légère possible"

Côté marchands, les bénéfices sont plus palpables. En plus de n'avoir aucune évolution technique à faire, les investissements sont minimes (il faut seulement former le caissier), et le coût de la transaction est nul. Cela évite même au marchand de passer par les réseaux interbancaires (CB, Mastercard et Visa) et donc de payer des commissions, qui peuvent vite représenter une belle somme à l'échelle d'un grand groupe. Mais accepter des crypto-monnaies comme moyen de paiement n'est pas synonyme de ventes additionnelles. "Cela mérite d'être testé. Je ne sais pas combien de transactions peuvent être réalisées en crypto", avoue Grégory Hervein.

Les commerçants français ne semblent pas tous prêts à faire le test comme Moustaches. "J'ai proposé l'année dernière qu'on discute du sujet des crypto-monnaies, et cela n'a pas eu un énorme succès. J'ai remis le couvert quand il y a eu l'annonce de la libra (la future crypto-monnaie de Facebook, ndlr) et ça n'a pas eu un gros succès non plus", se rappelle Jean-Michel Chanavas. "Les commerçants ne sont traditionnellement pas de grands stratèges. Ils traitent le sujet quand il arrive. Malheureusement, dans le métier de commerce détail, on est tellement dans les opérations qu'on a du mal à être dans les anticipations", complète-t-il.

Aucune grande enseigne ne souhaite pas pour le moment communiquer publiquement sur cette initiative nationale. Mais pour les plus petites c'est clairement un moyen de faire parler d'elles. "C'est un bon moyen de communication", avoue Grégory Hervein. L'enseigne parisienne a été choisie pour faire partie de la campagne de communication de Global P.O.S, qui va effectuer une série de vidéos dans ses magasins afin de montrer comment payer en bitcoin en magasin.

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