FTX, Terra Luna, Celsius, BlockFi, Voyager, 3AC : crypto bashing ?

Après le scandale de FTX, les Cassandre des cryptos reprennent des couleurs. Mais au fait, regardons les "exploits" de la finance dite "traditionnelle" ces dernières années...

Il y a ceux qui tout heureux et contents d’eux après la débâcle de FTX clament : « je vous l’avais bien dit ! » ou encore qui disent « comment s’étonner de cette faillite dès lors que les cryptos ne sont que du vent » ou bien encore « les régulateurs n’ont rien fait ! » et surtout « les crypto ne financent pas l’économie », ce dernier argument étant considéré comme choc. 

De quoi parle-t-on ?

Tout d’abord,  en terme de capitalisation boursière, les pertes à ce jour s’élèvent à environ 2 200 milliards de dollars entre le pic de la capitalisation des actifs numériques et leur capitalisation à la date de vendredi, selon les données de Statista ; en terme de pertes nettes, il est encore trop tôt pour disposer d’un chiffre clair mais entre Terra Luna et FTX, le montant des pertes serait de 17 milliards (certains penchent plutôt pour un montant de 31 milliards, mais pour cela intègrent la baisse de valorisation des actifs bloqués sur la base Total Value Locked) + 8 milliards de dollars ; ces chiffres sont doute sous-estimés mais il est difficile d’en savoir plus à ce stade. 

Le marché des crypto représentait un peu plus de 3 000 milliards de dollars au plus haut du marché, alors que dans le même temps, la seule capitalisation boursière mondiales des entreprises (et donc du marché actions, mais en omettant le marché de la dette, le marché des dérivés, et le marché du Forex) s'élevait à plus de 35 000 milliards de dollars, selon PwC

Il convient de relativiser ce qui se passe sur le marché des actifs numériques

Mais malgré les pertes énormes du marché des cryptos, si on les compare avec les crises de la finance dite traditionnelle, et notamment celle de 2008, il convient de (largement) relativiser les effets de ce qui se passe actuellement sur le marché des actifs numériques. 

Rappels de certaines évidences : 

  • il y a des crises financières, c’est à dire des krachs boursiers environ tous les 10 à 15 ans depuis la fin des années 90, sans même parler de tout ceux qui ont eu lieu depuis le 19ème, et la première moitié du 20ème siècle ;
  • la plupart des crises boursières sont liées à de la spéculation sur l’immobilier, actif de « bon père de famille » par définition ;
  • Lehmann Brothers et autres banques d'investissement ne finançaient pas l’économie mais utilisaient leurs fonds propres pour spéculer sur les marchés financiers comme des hedge funds ;
  • la sophistication - et décorrélation - des produits financiers a été extravagante avec les CDO, conduisant à la crise des  subprimes ;
  • les faillites de Hedge funds "traditionnels" sont fréquents et potentiellement systémiques pour la stabilité du système financier mondial : on se souvient de la déroute du fonds Archegos en 2021, mais qui se souvient du fonds LTCM qui, en 1999, a failli mettre la finance mondiale à mal, et Amaranth en 2006 ? Alors que, selon le Financial Stability Board, le marché des crypto n'est pas systémique ; et l'effet contagion de ce krach sur les marchés boursiers traditionnels n'a jusqu'à présent pas eu lieu.
  • la crise financière de 2007 a conduit à des pertes boursières sur les seuls marchés américains de plus de 8 000 milliards de dollars et des pertes de valeurs d’actifs immobiliers de plus de 9 800 milliards de dollars  (Washington Post, 10 septembre 2018);
  • pendant la crise de 2008, les Etats et gouvernements ont massivement aidé le secteur bancaire et financier : le total de l’aide de l’Union européenne aux banques et au système financier lors de la crise de 2008 a été de 1 459 milliards d’euros en capital et de 3 659 milliards d’euros de trésorerie, selon la Cour des comptes européenne. Selon des recherches du M.I.T, le coût direct total des renflouements liés à la crise, sur la base de la juste valeur, s'élève pour les USA à environ 498 milliards de dollars, soit 3,5 % du produit intérieur brut en 2009. Au total, le FMI estime que le soutien public total se monte à quelque 3 500 milliards de dollars, largement répartis dans le système bancaire et aidant plus de mille banques (ce soutien se compose de 1 600 milliards de dollars d'interventions directes brutes et 1 900 milliards de dollars de garanties), alors que la crise du marché des cryptos n’a pas coûté un euro ou dollar aux Etats et gouvernements, et donc aux contribuables ;
  • les conséquences de la crise de 2008 sur les emplois dans le secteur financier ont été désastreuses : plusieurs dizaines de milliers de jobs détruits. On ne parle que de quelques centaines de pertes d'emplois dans la crise du marché des cryptos ;
  • la crise de 2008 a ouvert la voie à une explosion du chômage et des situations précaires pour des millions d'individus ;
  • lors de cette crise de 2008, de nombreuses voix, y compris politiques, se sont élevées pour mettre fin à la spéculation dans les banques et des mouvements pour stopper la spéculation (que l'on se souvienne de Occupy Walt Street): relisons les rapports Vickers, Volcker et autres rapport Liikaneen en Europe sur la fin des activités dites spéculatives dans les banques avec le "succès de mise en œuvre" que l’on connaît, notamment sous l'administration Trump ;
  • Il n’y a pas que dans les marchés des cryptos qu’il y a des fraudeurs : qui a oublié Madoff (coût de la fraude entre 20 et 50 milliards de dollars !) ? Et autres.
  • la crise de 2008 a révélé des pratiques plus que douteuses de certaines institutions financières pourtant régulées, comme le "droit d'utilisation des titres" sans l'accord des clients par leurs banques (re-hypothécation) !
  • le défaut de contrôle interne peut conduire à des pertes gigantesques dans les banques : qui a oublié Kerviel en 2008 à la Société générale (4,9 milliards de dollars de pertes pour la banque) ou encore Leeson qui, à lui tout seul en 1995, est arrivé à faire tomber la très veille et respectable banque Bearings, ou encore Yamanaka chez Sumitomo en 1996, et Stanford en 2009 et bien sûr en 20021 Enron, archétype et "nec plus extra" jusqu'à ce jour d'une gigantesque fraude organisée ?

Last but not least, si les actifs numériques financent peu voire pas l’économie dite réelle, c’est oublier qu’ils sont partie intégrante de l’économie numérique. 

Bref, de quoi s’agit il avec FTX et autres? Cela a été dit, et commence un peu à se diffuser : il s'agit d'une crise de confiance dans un marché non mature (les actifs des clients n'étaient même pas ségrégués des actifs pour compte propres !) et non suffisamment régulé (merci à l'UE d'être en cours d'adoption du projet de règlement MiCA), doublé de fraudes et escroqueries comme il y en aura toujours dès que l’argent est « facile » et les contrôles absents.

Sans relativiser l’immense scandale, regardons la poutre dans l’œil de la finance dite traditionnelle avant de regarder la paille dans l'œil du marché des crypto. 

Mais le sujet n'est pas tellement là. La question est plutôt de savoir si et comment l'industrie des cryptos sortira de ce krach : par un rebond salutaire comme en 2000 avec la Tech ? Ou par un retour aux usages du dark web des crypto avant 2015 ? Si la valeur des différentes crypto continuent de très fortement chuter, alors tout est possible. Y compris la marginalisation de cette activité.