Faire appel aux business angels pour financer l'amorçage d'une société ne s'improvise
pas. Le JDN a interrogé des professionnels de la création d'entreprise
que sont les fondateurs de Photoways, de Priceminister et de Meetic, pour recueillir
leurs témoignages sur cette expérience.
Pourquoi choisir
ce mode de financement
Au démarrage d'une société innovante, il reste souvent difficile de faire appel
aux banques ou aux fonds de capital-risque, qui réclament des garanties et de
forts retours sur investissement cadrant rarement avec la réalité des jeunes entreprises.
Autre écueil : les aides locales, régionales et celles de l'Anvar
ne sont pas toujours perçues immédiatement et sont plafonnées. Elles ne peuvent
suffire en outre à financer des besoins durables. Restent, pour l'entrepreneur,
l'investissement en fonds propres, l'appel au patrimoine familial, à l'épargne
de proximité et les business angels.
Lorsque Marc Simoncini, qui
avait pourtant déjà fait ses preuves avec la création d'iFrance qu'il a revendu
pour plus de 100 millions d'euros à Vivendi Universal, a lancé le site
de rencontres sur Internet Meetic en 2002, il a cherché à lever plusieurs millions
d'euros auprès de fonds de capital-risque pour asseoir sa nouvelle entreprise.
Ce qui s'est avéré mission impossible. "J'ai essayé de faire entrer des fonds
institutionnels pour légitimer mon activité, plus que par besoin impérieux de
financement, mais je n'ai trouvé personne. Meetic a été lancé en pleine crise
de l'Internet, et plus personne ne voulait en entendre parler. Même la banque
a refusé de cautionner nos bureaux. En fait, les investisseurs investissent quand
tout va bien, ce qui est une erreur totale." Finalement, Marc Simoncini s'est
contenté d'un investissement en fonds propres, et d'un premier tour de 1,8 million
d'euros réunis par une petite dizaine de business angels, recrutés parmi sa famille,
ses amis et son réseau.
Le recours à ces investisseurs privés peut aussi relever d'un choix plus que d'une
contrainte, notamment si l'entrepreneur cherche à s'entourer de compétences particulières
pour faire décoller son activité, ou s'il veut boucler rapidement un tour de table
en évitant les roadshows de plusieurs mois. Michel de Guilhermier, business angel
lui-même, a par exemple réactivé son réseau d'investisseurs "en une heure", en
2000, pour financer Photoways. Une dizaine de business angels et quelques fonds
ont participé au premier tour, à hauteur de 8 millions de francs.
Réactivité,
indépendance, prise de risque |
Pierre Kosciusko-Morizet, Pdg de PriceMinister, a lui aussi choisi ce mode
de financement pour son premier tour de table (700.000 euros), puis lors de son
deuxième tour (1 million d'euros). "Pour être les premiers sur le marché, il était
impératif de boucler rapidement notre premier tour. Ce que nous avons fait en
un mois et demi, en août-septembre 2000, en réunissant un peu moins d'une trentaine
de business angels. C'était le seul moyen d'aller aussi vite. L'avantage avec
eux, c'est qu'ils sont réactifs, et qu'ils ne vous poussent pas à dépenser l'argent
trop vite. L'idée, c'était aussi d'attirer des compétences. Au deuxième tour,
en juin 2001, nous voulions faire entrer des fonds. Mais ils ne comprenaient rien
au business, disaient que cela ne fonctionnerait pas. A l'époque, c'était la mode
des nanotechnologies. Donc nous avons fait un deuxième tour en faisant entrer
une dizaine de business angels supplémentaires."
Comment entrer
en contact
Pour contacter des investisseurs, les entrepreneurs font appel en premier lieu
à leur réseau personnel et à ses ramifications. "Pour réussir l'opération,
j'ai rencontré en tout près de 200 business angels, dont certains au quatrième
niveau de réseau, note Pierre Kosciusko-Morizet. Au final, Priceminister a surtout
attiré des investisseurs atypiques. Les habitués avaient déjà investi ailleurs
et s'étaient pris des grosses claques, alors ils ne voulaient plus investir."
L'importance
du réseau... et des réseaux |
Il existe d'autres moyens de trouver des partenaires. Des intermédiaires comme
Chausson Finance, Leonardo ou Aelios Finance font office de leveurs de fonds.
Ils prennent en charge la recherche de capitaux en se rémunérant sur un pourcentage
des fonds obtenus. Autre formule, moins onéreuse : les rencontres organisées
entre porteurs de projets et investisseurs par des organismes tel que Finance
et Technologie. Enfin, les réseaux de business angels, fédérés par France Angels,
organisent également des rencontres de ce type. Dans tous les cas, l'entrepreneur
doit disposer d'un business plan complet.
Comment convaincre
Aujourd'hui, l'Internet fait certainement moins rêver les investisseurs potentiels.
Mais le développement des réseaux de business angels a facilité les contacts avec
les porteurs de projets, et "les bons dossiers sont moins chers", comme le rapporte
Michel de Guilhermier. Si Marc Simoncini voit dans la maturité du secteur un facteur
négatif pour l'investissement privé, dans la mesure où il faut plus de fonds aujourd'hui
pour se lancer, Pierre Kosciusko-Morizet y voit au contraire un encouragement
: "La bulle a créé des vocations. Les statistiques montrent que les gens ont envie
de créer leur entreprise, et cela se retrouve dans les vocations de business angels.
Pour moi, il y a un vrai changement de mentalité." Rien n'est donc impossible,
même avec un projet Internet.
Sur le plan formel, les business angels ne sont pas sensibles aux mêmes arguments
que les fonds de capital-risque. Instaurer dès le départ une relation de confiance
est primordial pour la suite des événements. Pierre Kosciusko-Morizet insiste
sur ce point : "Il faut partir du principe que c'est une relation de séduction.
Il faut les faire rêver, les rassurer, en trouvant le bon équilibre. L'entrepreneur
doit savoir inspirer confiance, car au départ, il n'a rien à vendre sinon une
idée. Il doit aussi savoir s'entourer d'une bonne équipe." En d'autres termes,
les business angels sont moins demandeurs de ratios et de projections que les
fonds de capital-risque, et s'attachent bien plus à la personnalité du créateur.
Comment gérer
cette relation
Sur le plan du cadre juridique, les relations entre l'entrepreneur et les business
angels, et éventuellement les autres investisseurs, sont gérées par un pacte d'actionnaires.
Ce document, à la valeur contractuelle, détermine les conditions dans lesquelles
les actionnaires disposent de leurs actions (clauses d'inaliénabilité, de préemption...)
et participent à la gestion de l'entreprise. Il fixe également les clauses
de sortie du capital.
Sur le plan pratique, la relation dépend du nombre et de l'implication des
business angels. L'idéal est d'animer ce pool d'investisseurs de sorte que chacun
apporte quelque chose à l'entreprise. Mais l'entrepreneur n'a pas toujours des
relations poussées avec tous ses business angels. "Sur une soixantaine au total,
nous avons un-tiers de business angels très actifs, un-tiers que l'on voit une
à deux fois par an, et un-tiers que l'on voit très peu", indique Pierre Kosciusko-Morizet.
Quand enchaîner
avec le capital-risque
Réponse unanime des entrepreneurs interrogés par le JDN : il faut lever
des fonds lorsque l'on en n'a pas besoin. Facile à dire
Dans tous les cas, l'arrivée
des fonds est une étape difficile à gérer, à la fois pour le dirigeant et pour
les business angels, qui perdent de leur autonomie. Les business angels, qui sont
parfois devenus très proches des fondateurs et qui ont participé à la stratégie
de l'entreprise, voient leur influence diminuer.
Michel de Guilhermier, qui a réalisé avec Photoways un deuxième tour de 5 millions
de francs en avril 2001 auprès d'Innova France, note que depuis, pour lui, "le
management s'est corsé". Marc Simoncini, qui a levé 7 millions d'euros en octobre
2004 auprès d'AGF, ajoute que "les fonds ne font pas de cadeau". Priceminister,
qui a été démarché par des fonds lors de son troisième tour en janvier 2002, a
poliment décliné leurs avances pour ces raisons.
Le recours aux fonds est cependant nécessaire en phase de développement et
d'accélération. "Aujourd'hui, avec notre volonté de développement international,
nous nous posons la question, confie Pierre Kosciusko-Morizet. C'est un choix
stratégique, car cela implique de renoncer à une certaine flexibilité. Mais une
somme entre 5 et 10 millions d'euros est trop compliquée à rassembler auprès de
business angels."
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