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Les marchands les plus dynamiques
1. Paul-Emile Cadilhac / Le Printemps (lire)
2. Patrice Magnard / Alapage

Pour Patrice Magnard, la consécration financière est peut-être arrivée un peu trop tôt. Le "deal de l'année" -la vente de son site Alapage à France Télécom- a en tous cas superbement validé onze ans de développement dans le commerce en ligne.

Fils d'éditeur -la maison qui porte son nom a été vendue il y a quelques années à Albin Michel, après avoir "torturé des générations d'élèves avec les cahiers de vacances", plaisante-t-il-, Patrice Magnard a pris en 1986 la direction de la librairie des éditions. Il s'intéresse à la possibilité d'un "magasin ouvert 24 heures sur 24, qui pourrait vendre partout en France", et aboutit logiquement, en 1988, à la création d'Alapage sur le minitel: "Le service a connu un démarrage très lent mais sûr", se souvient-il. Il s'associe un peu plus tard à Novalis, une entreprise similaire dans le domaine du disque, que vient de créer Luigi Gropallo (celui-ci passera ensuite par la Fnac, dont il a dirigé la branche vente en ligne jusqu'au printemps dernier). "Nous avions déjà créé le concept d'affiliation qui, sur minitel, s'appelle reroutage: nous vendions par les 3 Suisses et d'autres". En 1991, les cassettes vidéo s'ajoutent au catalogue et, en 1994, les CD-Rom. En 1995, "nous avons rejoint tous les nouveaux réseaux et services: Infonie, AOL, le Kiosque Micro, MSN… On ne savait pas encore lesquels marcheraient. Puis nous avons commencé à numériser tout notre catalogue et à constituer des bases de données en format Internet". L'entreprise fait aussi du B to B, en louant ses fichiers et en réalisant des sites pour d'autres avant d'ouvrir en 1996 son site marchand.

Quadrupler les ventes en 2000
Les bases de données maison, livres et disques, sont utilisées par d'autres entreprises, concurrentes sur minitel et Internet: la Fnac (qui avec la reprise d'Alibabook va se doter de sa propre base de données livres), le Furet du Nord, Chapitre, le belge Proxis, une dizaine en tout. Une situation qui pour Patrice Magnard "relevait de la mutualisation des coûts", mais a un côté frustrant: "on a un peu l'impression de servir de tremplin aux autres". Parallèlement, Alapage ne commence ses campagnes de publicité en ligne qu'en 1998, comptant auparavant sur le bouche à oreille. La croissance est au rendez-vous: le chiffre d'affaires du site est "de quelques dizaines de milliers de francs en 1996, quelques centaines de milliers en 1997, 3,5 millions en 1998, et cette année nous prévoyons plus de 20 millions de francs". L'objectif est de multiplier ce dernier chiffre par quatre en 2000, cette fois moyennant de très gros investissements publicitaires. Comment les financer? Patrice Magnard a d'abord songé à la Bourse avant que France Télécom lui fasse une proposition auquel il semblait difficile de dire non: la rumeur dit que la "net compagnie" a payé 350 millions de francs pour le site. Patrice Magnard n'a pas pour autant renoncé à ses ambitions pour Alapage dont il reste le patron à défaut d'en être le propriétaire: "Nous dépenserons plusieurs dizaines de millions de francs l'an prochain en publicité. Ce sera assez équilibré entre le online et les autres médias"

Un développement en spirale
Alapage continue aussi à étendre son offre, qui courant septembre 99 était de 500.000 références, livres, CD, vidéo. Dans son domaine d'origine, le site s'agrandit en proposant des livres épuisés: 200.000 références fin septembre qui passeront à 400.000 fin octobre. Le 1er octobre Alapage a ouvert son rayon jeux et jouets dans la perspective d'un Noël que de nombreux acteurs prévoient très chaud. Mais, au-delà, avec la volonté de "créer un réflexe pour les occasions de cadeaux". Il y aura à terme encore de nouvelles catégories, indique Patrice Magnard: "Notre développement se fait à la manière d'une spirale, en créant des lignes de produits complémentaires tout en faisant en sorte d'avoir une offre aussi exhaustive et compétitive que possible. Nous sommes passés des livres à la culture, de la culture aux loisirs… Vous verrez la suite".

Affiliation et partenariats
Pour grandir, Alapage a aussi misé sur l'affiliation, qui a contribué à la visibilité de la librairie virtuelle. Avec 1.600 sites affiliés, son programme est de loin le premier du genre en France. Les affiliés amènent entre 25 et 30% de l'audience et du chiffre d'affaires du site, avec parmi les sites rémunérés à la commission quatre poids lourds, Voila, Le Monde, Radio France et PageFrance, loin devant les autres. Le site a aussi un contenu éditorial étoffé, grâce à sa politique de partenariats: articles du Monde (plus de 15.000 articles intégrés dans le site), du Magazine Littéraire, de la chaîne Histoire et d'autres aiguisent l'intérêt des visiteurs. Contrepartie des visites "documentaires", le taux de transformation, entre 1 et 1,5%, est jugé faible. "Nous avons encore un gros potentiel, par rapport aux sites américains qui font le double", estime Patrice Magnard.

Innover, un atout des sites "pur Internet"
Amazon est naturellement étudié avec attention chez Alapage, dont le PDG reconnaît être "très admiratif" de Jeff Bezos, le fondateur du géant américain. "Les acteurs pur Internet ont un avantage en terme de créativité, de capacité à lancer de nouveaux concepts, même s'ils sont parfois sulfureux", remarque Patrice Magnard, qui cite le système des Purchase Circles: cette innovation d'Amazon permet de savoir ce qu'achètent des groupes d'au moins 200 personnes (par entreprise, région, organisme…). "C'est un vrai service, même si la mise en place a pu sembler un peu rapide". Chez Alapage, après la liste de diffusion personnalisée (chaque semaine par e-mail, les références des livres vous intéressant par auteur, mots-clés, domaine…), la bourse aux livres de classe de la rentrée de septembre 99, la prochaine innovation sera également parascolaire: le site va ouvrir un espace éducatif, proposant des révisions en ligne gratuites (réminiscence des cahiers de vacances d'antan?). Le contenu existait déjà sur minitel, et le service a vocation à générer du trafic, utile puisque la librairie vend aussi ses espaces publicitaires.

En attendant Amazon…
S'il admire Amazon, Patrice Magnard ne doute pas que le géant débarquera tôt ou tard en France. "Il y aura encore d'autres acteurs. Mais ils auront beaucoup de mal, et il n'y aura pas beaucoup de grands acteurs. Notre ambition est d'être le meilleur et le premier." Devant la Fnac? "C'est un compétiteur plus qu'un concurrent, avec lequel il y a plaisir à être en compétition. Nous sommes plus proches de l'esprit olympique que de la guerre, vous savez". Alapage employait quatre personnes au lancement du site en 1996. L'équipe passe ces jours-ci à cinquante personnes, et le doublement de cet effectif est prévu en 2000, aussi bien pour les branches marketing et promotion en général que pour recruter des spécialistes des nouvelles lignes de produits qui seront lancées.

Un usager utilitaire du Net
Patrice Magnard n'a "pas d'usage ludique" d'Internet, dont il se sert surtout comme outil pratique, pour ses achats notamment: "Du vin et du champagne sur un site américain pour envoyer un cadeau là-bas, l'avion sur Dégriftour, des fleurs sur Aquarelle…" Forcément amateur de livres, le fondateur d'Alapage ne croit pas que le Net empêche les achats en librairies, même si "l'avantage d'Internet, c'est qu'il y a tout". Patrice Magnard ne passe pas sa vie devant les très petits écrans: "coureur du dimanche", dit-il modestement, parfois aux côtés de son compère des débuts Luigi Gropallo, il a tout de même six ou sept marathons à son actif. La course continue.


[Thierry Noisette, JDNet]


Marchands/Le gagnant :

Paul-Emile Cadilhac a fait du très vénérable Printemps un des marchands les plus remuants et les plus originaux du Web français grâce notamment à ses webcamers. Un coup de "french touch" sur une Toile qui reproduit trop souvent à l'identique les exemples américains.


 
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